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seigneur, de vouloir en disposer à son plaisir. Par suite le peuple de ce royaume, désormais à l'abri de si grands foulements et si grandes oppressions, pourra demeurer en longue paix, sécurité et repos ; ce que doivent querir et demander tous les rois et princes chrétiens, qui ont charge de gouvernement.

Faites-nous donc savoir promptement, sans plus de délai, et sans perdre le temps en écritures et en arguties, ce que vous en voudrez faire; car si par votre faute adviennent de grands maux et inconvénients, tels que continuation de la guerre, pillages, rançonnements et occisions de gens, nous prenons Dieu à témoin, et nous protestons devant lui, et devant les hommes, que nous n'en serons pas la cause, et que nous avons fait et faisons notre devoir, que nous nous mettons et voulons nous mettre en tous termes de raison et d'honneur, soit préalablement par le moyen de la paix, soit par journée de bataille, en vertu du droit des princes, puisque autrement il ne se peut faire entre puissants princes.

«En témoin de ce, nous avons fait sceller les présentes de notre

sceau.

« Donné audit lieu de Montereau-où-fault-Yonne, le septième jour d'août de l'an mil quatre cent vingt-neuf.

Ainsi signé :

<< Par Monseigneur,

« Le régent du royaume de France,

«Le duc DE Bedford 1. >>

CHAPITRE III.

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III

Comment le roy Charles de France et le duc de Bethford, et leur puissance rancontrèrent l'un l'autre vers le Mont-Espilloy. Après ces choses, le duc de Bedford, voyant qu'il ne pouvait rencontrer en une position avantageuse le roi Charles et son armée, et que plusieurs villes et forteresses lui faisaient soumission sans coup férir et sans résistance, se retira avec son armée sur les marches de l'Ile-de-France, dans le but d'empêcher que les principales villes ne se tournassent contre lui, ainsi qu'avaient fait les autres. D'autre part, le roi Charles, qui était déjà venu à Crépy, où il avait été reçu et obéi en souverain, se mit en marche à travers la Brie, en se rapprochant de Senlis. En ce lieu les armées du roi Charles et du duc de Bedford se trouvèrent l'une et l'autre fort près du Montépilloy, à côté d'une ville nommée Le Bar (Baron).

1. Cette lettre est aussi donnée par la Chronique dite des Cordeliers. L'orthographe est différente, mais le sens est le même à deux mots près.

De part et d'autre on fit des préparatifs, afin de prendre des avantages pour le combat qui semblait imminent. Le duc de Bedford prit position en un fort lieu, s'adossant par derrière et sur les côtés à de fortes haies d'épines. Au front de l'armée il disposa les archers, en bon ordre, tous à pied, ayant chacun devant eux leurs pieux aiguisés, fichés en terre. Le régent, avec sa seigneurie et les autres nobles, était près des archers; ils étaient massés en un seul corps de bataille; entre autres enseignes, on remarquait les deux bannières de France et d'Angleterre. Avec elles était l'étendard de Saint-Georges, porté ce jour-là par le chevalier Jean de Villiers, seigneur de l'Isle-Adam. Dans l'armée de Bedford, l'on comptait de six à huit cents des gens du duc de Bourgogne. Les principaux étaient le seigneur de l'Isle-Adam, Jean de Croy, Jean de Créquy, Antoine de Béthune, Jean le Fosseux, le seigneur de Saveuse, Messire Hue de Lannoy, Jean de Brimeu, Jean de Lannoy, Messire Simon de Lalaing, Jean, båtard de Saint-Pol, et plusieurs autres hommes de guerre, parmi lesquels quelques-uns furent en ce jour faits chevaliers. Le bâtard de Saint-Pol le fut de la main du duc de Bedford; les autres, comme Jean de Croy, Jean de Créquy, Antoine de Béthune, Jean le Fosseux, le Liégeois d'Humières, par les mains d'autres notables chevaliers. Toutes choses. ainsi mises sur pied, il faut savoir que les Anglais et ceux de leur nation étaient réunis dans l'armée, sur la main gauche, tandis que les Picards et ceux de la nation de France étaient à l'opposé. Ils se tinrent ainsi en ordre de bataille, comme il a été dit, par un long espace de temps; ils étaient campés si avantageusement qu'il ne pouvaient être envahis par derrière sans que les attaquants ne s'exposassent à de très grandes pertes et à grand danger; avec cela ils étaient pourvus et rafraîchis de vivres et des autres choses nécessaires par la bonne ville de Senlis, qui était près.

D'autre part, le roi Charles, avec ses princes et ses capitaines, fit ordonner ses combattants. L'on voyait dans son avant-garde la plus grande partie de ses plus vaillants et plus experts hommes de guerre; les autres demeurèrent dans le corps de l'armée, où était le roi, excepté quelquesuns qui, par manière d'arrière-garde, furent placés sur les derrières, du côté de Paris. Avec le roi se trouvait une très grande multitude de gens, bien plus sans comparaison qu'il n'en existait dans l'armée anglaise. Du côté de Charles, on voyait Jeanne la Pucelle, ayant toujours divers sentiments, tantôt voulant combattre ses ennemis, et tantôt non '.

Néanmoins les deux parties, ainsi l'une devant l'autre, prêtes au combat, furent sans se désordonner durant deux jours et deux nuits environ.

1. Monstrelet est le seul qui attribue à la Pucelle cet état d'incertitude.

Pendant ce temps il y eut plusieurs grandes escarmouches et plusieurs attaques, qu'il serait trop long de raconter dans le détail. Entre les autres, il y en eut une, âpre et sanglante qui dura bien une heure et demie, du côté des Picards. Ceux qui donnèrent du côté du roi Charles étaient en grande partie des Écossais, et d'autres, en très grand nombre, qui combattirent très fort et très âprement; spécialement les archers des deux armées firent des décharges nombreuses de leurs traits avec beaucoup de courage. Quelques-uns des plus experts des deux armées, voyant ainsi les rencontres se multiplier, pensaient bien qu'on ne se séparerait pas, sans que l'une des deux ne fût mise en déroute et vaincue. Elles se séparèrent cependant, non sans que dans les deux camps, il y eût largement des morts et des blessés. Le duc de Bedford fut grandement content des Picards qui dans l'engagement s'étaient cette fois comportés vaillamment. A leur retour de la mêlée, le duc de Bedford passa plusieurs fois devant leurs rangs, les remerciant très humblement à plusieurs reprises, disant : << Mes amis, vous êtes de très bonnes gens, vous avez soutenu grand faix pour nous; ce dont nous vous remercions très grandement; et nous vous prions, s'il nous vient quelque affaire, que vous persévériez en votre vaillance et hardiesse. >>

En ces jours les parties étaient fort animées les unes contre les autres ; aucun homme, de quelque état qu'il fût, n'était pris à rançon; mais, sans pitié ni miséricorde, tous ceux qui pouvaient être atteints, tant d'un côté que de l'autre, étaient mis à mort. Ainsi que j'en fus informé, il y eut dans ces escarmouches environ trois cents morts, les deux parties comprises; mais je ne sais de quel côté ils furent les plus nombreux. Après ces deux jours, ou environ, les deux armées se séparèrent l'une de l'autre, sans plus

rien faire.

CHAPITRE LXVII.

IV

Comment le roi Charles de France envoya ses ambassadeurs à Arras vers le duc de Bourgogne'.

Pendant ce temps, les ambassadeurs du roi Charles de France étaient venus à Arras, vers le duc de Bourgogne, pour traiter de paix entre ces deux parties. Les principaux de ces ambassadeurs étaient l'archevêque de Reims, Christophe de Harcourt, les seigneurs de Dampierre,de Gaucourt

1. Quicherat n'a pas donné ce chapitre, indispensable pour bien se rendre compte comment la mission divine fut interrompue. Aussitôt après Reims, contre les avis de la Céleste Envoyée, on se prêta à des trèves, à des négociations fallacieuses avec le duc de Bourgogne pour le séparer de l'alliance anglaise. En réalité, on lui fournit les moyens de porter à son allié le secours le plus opportun, et l'on arrêta le secours divin.

et de Fontaines, chevaliers, avec d'autres gens d'état qui trouvèrent à à Arras le duc et son conseil. A leur arrivée, ils requirent audience dudit duc, et, quelques jours après, ils se rendirent à son hôtel où, par la bouche de l'Archevêque, l'objet de l'ambassade fut exposé très sagement et authentiquement, en présence de la chevalerie, du conseil, et de plusieurs autres admis à cette audience. Il remontra, entre autres choses, la parfaite affection, le vrai désir du roi de faire la paix avec lui et d'en venir à un traité; ajoutant que, pour y parvenir, ce même roi était content de de faire des avances et de condescendre1, en faisant des offres de réparation plus qu'il n'appartenait à sa majesté royale. Il excusa le roi sur sa jeunesse de l'homicide perpétré autrefois en la personne du feu duc Jean de Bourgogne, son père, alléguant qu'en ses jeunes années il était sous le gouvernement de gens qui n'avaient pas d'égards et de considération au bien du royaume ni de la chose publique, et qu'en ce temps il n'aurait osé ni les dédire ni se les aliéner. Ces considérations et plusieurs autres fort notables, exposées par l'Archevêque, furent ouïes avec faveur par le duc et par les siens. A la fin il fut répondu aux ambassadeurs : «< Monseigneur a bien ouï ce que vous avez dit : il aura avis sur ce, et vous fera réponse dans peu de jours ».

L'Archevêque retourna à son hôtel, et avec lui ses collègues d'ambassade que toutes gens honoraient. Pour lors la plupart des gens du pays étaient très désireux de voir la paix et la concorde s'établir entre le roi et le duc de Bourgogne. Ceux du moyen et du bas état y étaient même si affectionnés que, dès lors, avant qu'il fût intervenu paix ou trève, ils allaient à la ville d'Arras, vers le chancelier de France, pour en impétrer en très grand nombre des lettres de rémission, des lettres de grâce, des offices et plusieurs autres faveurs royales, comme si le roi eût été déjà pleinement en sa seigneurie, et qu'ils en eussent été certains. Ils obtenaient du chancelier la plupart des faveurs sollicitées. Par suite, le duc de Bourgogne fut, durant plusieurs jours, en délibération avec son conseil privé, et les affaires entre les parties furent très approchées.

CHAPITRE LXIX. Comment la ville de Compiègne se rendit au roy Charles, et du retour des ambassadeurs de France, qui estoient alés vers le duc de Bourgoigne.

Après la journée de Senlis, où le roi Charles et le duc de Bedford avaient été avec toutes leurs forces l'un contre l'autre, le roi revint à Crépy-en-Valois. Là lui furent apportées les nouvelles que les habitants de Compiègne voulaient lui faire obéissance; aussi, sans nul délai, se

1. De lui commettre et condescendre.

rendit-il dans cette ville, où il fut reçu en grande liesse des habitants, et il se logea en son hôtel royal. C'est là que revinrent vers lui le chancelier et les autres ambassadeurs qu'auparavant il avait envoyés vers le duc de Bourgogne, avec lequel ils avaient tenu des conférences étroites, ainsi qu'avec ses conseillers. Cependant il n'y avait pas eu d'accord arrêté; mais, en conclusion, il avait été convenu que le duc enverrait de son côté une ambassade vers le roi Charles pour avoir son avis et continuer les conférences. Je fus alors informé que la plupart des principaux conseillers du duc de Bourgogne avaient grand désir et affection à ce que les deux parties opérassent leur réconciliation. Toutefois Maître Jean de Thoisy, évêque de Tournay, et Messire Hue de Lannoy, qui venaient présentement de vers le duc de Bedford, et étaient chargés par lui de faire des observations au duc de Bourgogne, de l'exhorter à tenir le serment fait au roi Henri, n'étaient pas bien contents que le traité se fit. C'est sur leur parole que la conclusion fut retardée, et qu'on prît une autre journée pour envoyer une légation vers le roi Charles. Elle fut confiée à Messire Jean de Luxembourg, évêque d'Arras, à Messire David de Brimeu et à d'autres notables et discrètes personnes...

[Monstrelet, pour épargner la réputation de son maître ou même celle de Charles VII, coupables, le premier d'un rôle de duplicité, le second d'imbécillité, fait ici une omission de toute importance. Des trêves qui devaient durer jusqu'à Noël, et dont la teneur fut prolongée jusqu'à Pâques, furent conclues le 28 août à Compiègne. Leur texte va être donné dans la Chronique dite des Cordeliers. Il jette le plus grand jour sur l'échec contre Paris, et sur tout le reste de la carrière de la Libératrice jusqu'à sa captivité.]

V

CHAPITRE LXX. Comment le roy de France fit assaillir la cité de Paris. Le roi Charles de France étant encore à Compiègne reçut des nouvelles d'après lesquelles le duc de Bedford, le régent, s'en allait avec une armée en Normandie pour combattre le Connétable, qui travaillait fort le pays du côté d'Évreux. Par suite, le roi Charles quitta Compiègne après un séjour de douze jours environ, y laissant Guillaume de Flavy pour capitaine. Avec son armée il alla à Senlis qui, après traité, se rendit au roi. Il se logea dans ses murs avec une grande partie de ses gens; les autres se logèrent dans les villages environnants.

En ces jours firent obéissance au roi plusieurs villes et forteresses:

1. Texte: Ils avaient tenus plusieurs destroicts parlemens.

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