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Cette Pucelle était à sa venue en fort pauvre état; elle fut environ deux mois en l'hôtel du roi, lequel par plusieurs fois, ainsi qu'elle y avait été formée, elle admonesta par ses paroles de lui donner gens et aide et qu'elle rebouterait et chasserait ses ennemis, exalterait son nom et amplifierait ses seigneuries'; certifiant que de cela elle en avait eu bonne 2 révélation; mais quoiqu'elle sùt dire, en ce commencement, le roi ni ceux de son conseil n'ajoutaient pas grande foi à ses paroles et à ses instances. Et on ne la tenait alors en la cour que comme une folle desvoyée (hors de bon sens), parce qu'elle se vantait de conduire à bonne fin une si haute besogne qu'elle semblait chose impossible aux hauts princes, vu qu'eux tous ensemble n'y avaient pu pourvoir. C'est pourquoi l'on tournait ses paroles en folie et en dérision, car il semblait bien à ces princes que c'était chose périlleuse d'y ajouter foi, à cause des blasphèmes (moqueries ?) qui pourraient s'ensuivre, et des paroles ou brocards du peuple, vu que c'est une grande confusion à homme sage d'être abusé pour croire trop légèrement, spécialement en choses suspectes de leur nature.

Néanmoins, après que la Pucelle eût demeuré en la cour du roi en cet état durant un bon espace de temps, elle fut mise en avant et reçut aide ; elle arbora un étendard où elle fit peindre la figure et représentation de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Toutes ses paroles étaient pleines du nom de Dieu. C'est pourquoi une grande partie de ceux qui la voyaient et entendaient parler, en fols qu'ils étaient, avaient grande confiance et inclination (à croire) qu'elle fût inspirée, ainsi qu'elle disait. Elle fut plusieurs fois examinée par de notables clercs et gens de grande autorité, afin de s'enquérir et de savoir plus à plein son intention; mais toujours elle maintenait son propos, disant que si le roi la voulait croire elle le rétablirait en sa seigneurie. Maintenant pareil propos, elle conduisit à heureuse fin certaines besognes, qui lui valurent grande renommée, bruit et exhaussement; ce dont il sera parlé plus à plein ci-après. Lorsqu'elle vint devers le roi, se trouvaient à la cour le duc d'Alençon, le maréchal de Rais, et plusieurs autres grands seigneurs et capitaines avec lesquels le roi avait tenu conseil sur le fait du siège d'Orléans.

de se dire Pucelle, envoyée par Dieu. Monstrelet se tait sur ce qui faisait parler la Pucelle, et il n'insinue pas que c'était sans raison que Charles se disait chassé du royaume.

». Ce

1. Monstrelet se contente de dire qu'« elle exaucerait (relèverait) sa seigneurie qui n'a rien d'antichrétien, tandis que la phrase de Wavrin sent la vaine gloire et l'ambition.

2. Suffisante révélation, suffisant, propre au but. (GODEFROY.)

3. Monstrelet a mis dévoyée de santé.

4. Monstrelet n'a pas cette incise.

Cette Pucelle s'en alla bientôt avec lui de Chinon à Poitiers, où le roi ordonna que ledit maréchal mènerait des vivres, de l'artillerie et d'autres approvisionnements nécessaires audit lieu d'Orléans, avec une forte escorte. La Pucelle voulut aller avec le maréchal; elle fit donc requête qu'on lui donnât équipement pour s'armer, ce qui lui fut délivré; puis son étendard au vent, ainsi qu'il a été dit, elle s'en alla à Blois où se faisait l'assemblée, et de là à Orléans avec les autres; elle était toujours armée de toutes pièces, et dans ce même voyage plusieurs gens d'armes se mirent sous sa conduite'.

Quand la Pucelle fut venue dans la cité d'Orléans, on lui fit très bon accueil, et plusieurs furent très joyeux de la voir être en leur compagnie. Lorsque les gens de guerre français qui avaient amené les vivres dans Orléans s'en retournèrent devers le roi, la Pucelle demeura à Orléans. Elle fut requise par La Hire et quelques capitaines d'aller avec les autres aux escarmouches; elle répondit qu'elle n'irait point, si les gens d'armes qui l'avaient amenée n'étaient aussi avec elle; ils furent redemandés de Blois et des autres lieux où ils étaient déjà retirés. Ils retournèrent à Orléans où ils furent joyeusement reçus par cette Pucelle. Elle leur alla au-devant pour leur témoigner de leur bienvenue' disant qu'elle avait bien vu et considéré le gouvernement des Anglais, et que s'ils voulaient la croire elle les ferait tous riches.

Elle commença ce même jour à saillir hors de la ville, et s'en alla moult vivement assaillir une des bastilles des Anglais qu'elle prit par force; et depuis en continuant elle fit des choses très merveilleuses 3, dont il sera en son ordre fait mention ci-après.

[Au milieu de ses assertions sans preuves, contraires aux faits, haineuses, Wavrin constate les longs et sérieux examens subis par la Pucelle, les défiances qui l'accueillirent. Qui est fol de ceux qui s'étant rendus après ces interminables épreuves en ont été récompensés par les événements que Wavrin constate très émerveillables3, ou du chroniqueur qui leur accole semblable épithète ? Au chapitre suivant il raconte l'ambassade envoyée par les Orléanais au duc de Bourgogne qui par le fait coïncida avec les six premières semaines de l'entrée en scène de la Pucelle.

Il revient ensuite à la délivrance d'Orléans, non sans se répéter. ]

1. Il serait trop long de relever les inexactitudes dont fourmille tout ce passage. 2. Pour les bienvingner. Qui ne regretterait pas ce mot aujourd'hui intraduisible? 3. Très émerveillables, encore un mot aujourd'hui sans équivalent.

CHAPITRE X.

II

Comment Jehanne la Pucelle fut cause du siège levé de devant Orlyens et des bastilles qui furent prises par les François.

Les Anglais mettaient grand'peine et labeur de nuit et de jour pour mettre en l'obéissance du roi Henri la ville d'Orléans.

Les compagnons qui la défendaient se voyaient très fort oppressés par la diligence des assiégeants, par leurs engins, et par les bastilles qu'ils avaient faites autour de la ville jusqu'au nombre de vingt-deux. Par icelle continuation ils étaient en péril d'être mis en la servitude et obéissance de leurs ennemis les Anglais. Ils se disposèrent à tous les périls et conclurent de résister de tout leur pouvoir et par toutes les manières que bonnement employer ils pourraient. Pour mieux y réussir, ils envoyèrent devers le roi Charles afin d'avoir aide de gens et de vivres; de quatre à cinq cents combattants leur furent alors envoyés; et bientôt après il leur en fut bien envoyé sept mille avec plusieurs bateaux chargés de vivres, venant le long de la rivière sous la guide et conduite de ces mêmes gens d'armes, en la compagnie desquels fut Jeanne la Pucelle, dont mention a été faite ci-dessus, qui n'avait pas encore fait grand'chose qui la recommandât.

Les capitaines anglais tenant le siège, sachant la venue des bateaux et de ceux qui les guidaient, s'efforcèrent aussitôt et à la hâte de résister fortement pour les empêcher d'aborder en la ville d'Orléans; et d'autre part les Français s'évigouraient par force d'armes pour les y bouter. A l'aborder des vaisseaux pour passer, il y eut mainte lance rompue, mainte flèche décochée, et main coup d'engin (de machine) jeté; il y eut si grande noise (mêlée) faite lant par les assiégés que par les assiégeants, tant par les défendants que par les assaillants, que c'était horreur de l'ouïr; mais quelque force ou résistance que sussent faire les Anglais, les Français tout malgré eux mirent leurs bateaux à sauveté (en sécurité) dedans la ville: ce dont les Anglais furent moult troublés, et les Français bien joyeux de leur bonne aventure. Des Français, plusieurs entrèrent aussi en la ville, où ils furent les bienvenus tant pour les vivres qu'ils amenaient, comme pour la Pucelle qu'ils avaient ramenée (sic) avec eux, et ils firent de toutes parts très joyeuse chère (réjouissance) pour le beau secours que Charles leur envoyait, à quoi ils voyaient clairement la bienveillance qu'il avait pour eux; ce dont les habitants se réjouissaient grandement, faisant éclater telle allégresse qu'ils étaient clairement entendus des assiégeants'.

1. Menant tel glay que tout plainement étaient oys des assiégeants. Wavrin a, dans tout

III

Puis quand ce vint le lendemain qui était un jeudi', Jeanne, levée de fort matin, parla en conseil à quelques capitaines et chefs de chambre, leur remontrant par vives raisons, comment ils étaient venus en cette cité uniquement pour la défendre à l'encontre des anciens ennemis du royaume de France qui fort l'oppressaient, au point qu'elle la voyait en grand danger, si bonne provision n'y était promptement apportée ; qu'elle les pressait d'aller s'armer. Elle fit tant par ses paroles qu'elle leur persuada de ce faire, et leur dit que s'ils voulaient la suivre, elle ne doutait pas de porter aux ennemis tel dommage qu'à toujours il en serait mémoire, et que ces ennemis maudiraient le jour de sa venue.

Tant les prêcha la Pucelle que tous allèrent s'armer avec elle, et qu'ils sortirent ainsi en bonne ordonnance de la ville; et au partir elle dit aux capitaines «< Seigneurs, prenez courage et bon courage; avant qu'il soit passé quatre jours, vos ennemis seront vaincus ». Et les capitaines et gens de guerre présents ne pouvaient assez s'émerveiller de ces paroles.

Ils marchèrent alors en avant, et moult fièrement vinrent aborder une des bastilles de leur ennemis que l'on appelait la bastille Saint-Loup. Elle était moult forte; il s'y trouvait de trois à quatre cents combattants; en fort brief terme ils furent conquis, pris et tués, et la bastille brûlée et démolie. Cela fait la Pucelle et les siens s'en retournèrent joyeusement en la cité d'Orléans, où elle fut universellement honorée et louée de toutes manières de gens.

Derechef le lendemain qui fut vendredi, elle et ses gens sortirent de la ville, et elle alla envahir la seconde bastille qui fut aussi prise de bel assaut, et ceux qui la défendaient furent tous morts ou pris. Après qu'elle eut fait abattre, brûler et entièrement mettre à néant ladite bastille, elle se retira en la ville, ou plus qu'auparavant, elle fut honorée et exaltée par tous les habitants.

Le samedi suivant, la Pucelle sortit derechef et s'en alla envahir la bastille du bout du pont, laquelle était forte et grande à merveille, et avec cela garnie de grande quantité de combattants, des meilleurs et des

le morceau, amplifié Monstrelet qui lui sert de canevas, beaucoup par pure imagination. En transposant ici la fin du chapitre vi donné plus haut, le récit serait plus exact, ainsi que le remarque Quicherat.

1. Ce n'est ni le lendemain de son entrée, ni un jeudi, que Jeanne frappa son premier coup.

2. D'autres auteurs rapportent cette prophétie; elle n'a pas cependant été faite pour exciter à l'assaut de Saint-Loup, qui eut lieu tout autrement que ne le raconte le faux Français.

plus éprouvés parmi les assiégeants. Ils se défendirent longuement et vaillamment, mais rien ne leur valut; à la fin ils furent comme les autres déconfits, pris et morts. Parmi les morts furent le seigneur de Molins, Glacidas un moult vaillant écuyer, le bailli d'Évreux et plusieurs autres hommes nobles et de haut état. Après cette belle conquête, les Français retournèrent joyeusement en la ville.

Nonobstant que dans les trois assauts dessusdits, la Pucelle, d'après le bruit commun, emportât la renommée et l'honneur d'en avoir été la principale conductrice, néanmoins s'y trouvèrent la plupart des capitaines français qui durant le siège avaient conduit les affaires de la ville, et dont il a été fait mention ci-dessus. Aux assauts et conquêtes des bastilles, ils se gouvernèrent hautement chacun de leur côté, ainsi qu'en pareil cas doivent faire des gens de guerre tels qu'ils étaient, si bien qu'en ces bastilles il y eut de sept à huit cents Anglais pris ou tués, et que les Français y perdirent environ cent hommes de tous états.

IV

Le dimanche suivant, les capitaines anglais, à savoir le comte de Suffolk, le seigneur de Talbot, le seigneur de Scales et les autres, voyant la prise et la destruction de leurs bastilles et de leurs gens, prirent conclusion que tous s'en iraient en un seul corps d'armée, laissant le siège, logis et fortifications, et au cas où les assiégés les poursuivraient pour les combattre, il les attendraient et les recevraient; sinon ils s'en iraient en bonne ordonnance, chacun d'eux ès bonnes villes, châteaux et forteresses qui tenaient pour lors le parti d'Angleterre : cette conclusion, qui sembla à tous la plus profitable qu'on pouvait élire en la présente conjoncture, fut arrêtée, accordée et tenue.

En exécutant ce plan, le dimanche, bien matin, ils abandonnèrent toutes les bastilles, logis et fortifications où ils s'étaient tenus durant le siège, mirent le feu en certains lieux, puis se mirent en ordre de bataille, ainsi qu'il a été dit, et qu'ils l'avaient tous résolu ; ils s'y tinrent un long espace, attendant que les Français vinssent les combattre; ceux-ci ne montrèrent aucun semblant de ce faire. J'ai été informé qu'ils retardèrent et s'abstinrent par le conseil et exhortation de la Pucelle Jeanne, à laquelle ils ajoutaient grande créance.

Les Anglais donc, voyant et sachant alors de combien en vérité leur puissance était affaiblie, virent bien que continuer à séjourner en ce lieu ne serait pas pour eux chose de grand sens; ils se mirent en chemin,

s'éloignant de la ville en belle et bonne ordonnance, et quand ils se virent

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