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tout aller très mal, fut conseillé de se sauver. Il lui fut dit, moi acteur (sic) étant présent, qu'il prît garde à sa personne, car la bataille était perdue pour eux. Il voulait à toutes forces rentrer en la bataille, et là attendre le sort que Notre-Seigneur lui voudrait envoyer, disant qu'il aimait mieux être mort ou pris que fuir honteusement et abandonner ainsi ses gens, et avant qu'il voulût partir, les Français avaient rabattu le seigneur de Talbot, ils l'avaient fait prisonnier et tous ses gens étaient morts, et les Français étaient déjà si avant dans la bataille qu'ils pouvaient à leur volonté prendre ou occire (tuer) ceux que bon leur semblait. Finalement les Anglais y furent déconfits avec peu de pertes de la part des Français. Du côté des Anglais il y mourut bien deux mille hommes, et il y eut bien deux cents prisonniers.

Ainsi alla cette besogne comme vous venez de l'ouïr. Ce que voyant Messire Jean Fastolf, il s'en partit bien malgré lui à très petite compagnie, menant le plus grand deuil que jamais je visse faire à un homme. Et en vérité, il se fut remis en la bataille, n'eussent été ceux qui étaient avec lui, spécialement Messire Jean, bâtard de Thian, et autres qui l'en détournèrent. Il prit son chemin vers Étampes, et moi je le suivis comme étant mon capitaine, auquel le duc de Bedford m'avait commandé d'obéir, bien plus de servir sa personne. Nous arrivâmes une heure après minuit à Étampes où nous couchâmes, et le lendemain à Corbeil.

Ainsi, comme vous l'entendez, les Français obtinrent la victoire audit lieu de Patay où ils couchèrent cette nuit, rendant grâces à Notre-Seigneur de leur belle fortune. Et le lendemain ils partirent de Patay, qui est situé à deux lieues de Janville. Du nom de cette place, cette bataille portera perpétuellement le nom de journée de Patay. Et de là les Français s'en allèrent avec leur butin et leurs prisonniers à Orléans où ils furent universellement conjouis de tout le peuple.

Après cette belle victoire, tous les capitaines français qui s'y étaient trouvés, Jeanne la Pucelle avec eux, s'en allèrent vers le roi Charles qui moult les conjouit (félicita) et les remercia grandement de leur service et diligence. Ils lui dirent que par-dessus tout on devait savoir gré à la Pucelle qui, de cette heure, fut du conseil privé du roi'. Et là il fut conclu d'assembler le plus grand nombre d'hommes de guerre que l'on pourrait dans les pays obéissants audit roi, afin qu'il pénétrât en avant dans les pays et poursuivit ses ennemis.

1. Cette assertion que l'on ne trouve que chez Wavrin est démentie par les faits.

JEAN LE FÈVRE DE SAINT-RÉMY

REMARQUES CRITIQUES.

Jean Le Fèvre de Saint-Rémy naquit près d'Abbeville vers 1394, et mourut à Bruges vers 1474. Tout jeune il fut poursuivant d'armes sous Jean sans Peur. Il persévéra dans la carrière où il s'était engagé, et en 1422, il fut créé héraut d'armes sous le nom de Charolais. Lors de l'institution de la Toison d'Or il en devint le roi d'armes, et il échangea son nom de Charolais contre celui de Toison d'Or. Cher au duc de Bourgogne, l'un de ses plus intimes officiers, il en reçut des dons nombreux, et fut honoré de plusieurs délicates missions.

Toison d'Or était septuagénaire lorsque, en 1464, il entreprit d'écrire ses Mémoires; il en est sorti la Chronique qui porte son nom; elle s'étend de 1407 à 1460. Il confia son écrit à Chastellain qui s'en est inspiré. Le Laboureur inséra dans sa traduction de la belle Histoire de Charles VI, par le Religieux de Saint-Denis, la partie de la Chronique de Le Fèvre qui s'étend de 1407 à 1422. Buchon l'édita tout entière.

A en juger par les chapitres qui relatent les événements qui se déroulèrent sous la conduite de la Pucelle, la Chronique n'est pas seulement succincte; elle est très inexacte. Il traite l'héroïne d'une manière fort superficielle, cavalière, rapetisse sans mesure son rôle, en taisant la part qui lui revient dans les faits, et taxe de gens de folle créance ceux qui comptèrent sur elle. Les faussetés qu'il invente sur les débuts de la Pucelle donnent droit de ne pas croire ce qu'il lui plaît de narrer des promesses faites par l'héroïne avant sa sortie de Compiègne. Il est le seul à nous en parler; car Georges Chastellain n'a fait qu'embellir de sa diction la donnée fournie par Le Fèvre de Saint-Rémy, qui, venons-nous de dire, lui envoyait son écrit. Le Fèvre semble peu croire au surnaturel, l'élague ou le persifle. N'est-ce pas ce qui explique le jugement très favorable porté par Quicherat sur une œuvre pleine d'énormes faussetés, qui n'apprend rien, et nous semble être, avec celle de Wavrin de Forestel, au dernier rang des Chroniques qui traitent avec quelque étendue de Tapparition de la Libératrice?

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CHAPITRE III

CHRONIQUE DE LE FÈVRE DE SAINT-RÉMY.

SOMMAIRE: 1. Fantaisies de Saint-Rémy sur les personnages qui apparaissaient à la Pucelle, et la manière dont elle entra en scène. - Il ne donne pas idée des combats engagés pour la délivrance d'Orléans. - Il constate la frayeur des Anglais, et leur foi à une prophétie sur leur expulsion par une Pucelle. Il ne fait qu'indiquer la prise de Jargeau, la victoire de Patay, attribuée à ce que les Anglais furent surpris changeant leur position de combat.

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II. — Confiance inspirée par la Pucelle aux hommes d'armes et au Dauphin. La campagne du sacre seulement indiquée. Erreurs dans l'énumération de ceux qui y prennent part.

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Campagne après le sacre. Erreur du chroniqueur qui met Mitry près de La Victoire.

IV. La rencontre des deux armées près de Montépilloy. - Détails.

auraient été les premiers à se retirer.

-

-Les Français Les Anglais tiraient leurs vivres de Senlis. V. - Le roi à Compiègne. Les défenseurs de Paris constitués par le régent, qui va au secours de la Normandie. Le roi venant à Saint-Denis sur la promesse de

VI.

la Pucelle de lui livrer Paris. Assaut.

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Siège de Choisy. - Le passage de l'Oise à Pont-l'Évêque gardé par les Anglais. - Vive attaque de la Pucelle repoussée.

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par le duc de Bourgogne et les Anglais. chroniqueur elle aurait promis de prendre le duc de Bourgogne. Portrait de la Pucelle sortant contre les assiégeants. Le combat. La Pucelle protégeant la retraite. Sa prise. Joie du duc de Bourgogne.

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Comment la Pucelle Jehanne vint en bruit et fut amenée au siège d'Orléans. Comment elle saillit avec les Franchois sur les Anglois et fut le siège abandonné.

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Or il convient de parler d'une aventure qui advint en France, la nonpareille, je crois, qui y advint jamais. En un village sur les marches de Lorraine, il y avait un homme et une femme, mariés ensemble, qui eurent plusieurs enfants, parmi lesquels une jeune fille, qui, dès l'âge de sept à huit ans, fut mise à garder les brebis aux champs et fit longtemps ce métier.

Or, du temps qu'elle avait ou pouvait avoir dix-huit ou vingt ans, il est vrai qu'elle put dire qu'elle avait souvent des révélations de Dieu; que vers elle venait la glorieuse Vierge Marie accompagnée de plusieurs anges, saints et saintes, parmi lesquels elle nommait Madame sainte

Catherine, et David le prophète, avec sa harpe qu'il sonnait mélodieusement'. Elle disait enfin, entre les autres choses, avoir eu révélation de la part de Dieu, par la bouche de la Vierge Marie, de se mettre en armes, et que par elle, Charles, Dauphin du Viennois, serait remis en sa terre et seigneurie, et qu'elle le mènerait sacrer et couronner à Reims.

Ces nouvelles vinrent à un gentilhomme de la marche qui l'arma, la monta d'un cheval, et la mena à Orléans, à l'encontre des Anglais qui y tenaient le siège. Il y fit assembler le bâtard d'Orléans et plusieurs autres capitaines auxquels il conta ce que disait cette fille nommée Jeanne la Pucelle. De fait elle fut interrogée de plusieurs sages et vaillants hommes, qui se boutèrent en voie de la croire, et ajoutèrent en icelle si grande foi qu'ils abandonnèrent et mirent leurs corps en toute aventure (à tout hasard) avec elle.

Il est vrai qu'un jour elle leur dit qu'elle voulait combattre les Anglais; elle assembla ses gens, et se prit à assaillir les Anglais par leur plus forte bastille, que gardait un chevalier d'Angleterre nommé Cassedag (Glasdall). Cette bastille fut assaillie et prise de bel assaut par ladite Pucelle et par ses vaillants hommes, et Cassedas y fut tué; ce qui sembla chose miraculeuse, vu la force de la bastille et les gens qui la gardaient. Le bruit de cette prise courut parmi les Anglais, et finalement quand ils ouïrent que pareille entreprise était l'œuvre de la Pucelle, ils furent très épouvantés. Ils disaient entre eux avoir une prophétie contenant qu'une Pucelle devait les jeter hors de France et les défaire de tous points. Ils levèrent le siège et se retirèrent dans quelques places de leur obéissance autour d'Orléans.

Parmi eux le comte de Suffolk et le seigneur de La Poule, son frère, se tinrent à Jargeau; mais ils n'y restèrent guère que cette ville ne fût prise d'assaut. Le seigneur de La Poule et plusieurs Anglais y trouvèrent la mort. Les Anglais rassemblèrent leurs forces pour retourner à Paris vers le régent; mais ils furent suivis de si près par les Dauphinois qu'ils se trouvèrent en ordre de bataille l'un devant l'autre auprès d'un village de la Beauce qui se nomme Patay. Les Anglais, espérant trouver une place plus avantageuse que celle où ils étaient, la quittèrent; mais les Dauphinois fondirent sur eux avec tant d'impétuosité qu'ils les défirent et les déconfirent de tous points. Là furent pris le comte de Suffolk, le

1. Jeanne n'a jamais dit avoir vu Notre-Dame, ni le roi David, ni sa harpe. Sonnait mélodieusement d'après le dernier éditeur de Le Fèvre, M. François Morand, tandis que Quicherat écrit sonnait merveilleusement.

2. Inutile de faire remarquer comment tout cela est mutilé et inexact.

3. Il faut avoir pour le surnaturel l'horreur de Quicherat pour mettre au nombre des bons chroniqueurs celui qui résume avec une pareille désinvolture tout ce qui a précédé la délivrance d'Orléans, et cette délivrance elle-même.

seigneur de Talbot et tous les capitaines excepté Messire Jean Fastolf; ce dont il eut dans la suite de grands reproches étant chevalier de la Jarretière. Cependant il s'excusa fort, disant que si on eût voulu l'en croire, la chose ne fût pas ainsi advenue de leur part. Les Anglais furent. ainsi déconfits, et cette bataille se nomma la bataille de Patay.

II

Comment le duc de

CHAPITRE CLX.- Comment le Dauphin fut couronné roy de France à Reims. De plusieurs villes qui se rendirent à luy. Bethfort lui alla allencontre et présenta la bataille. Pucelle quy mena le roy devant Paris.

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Des faicts de la

Vous avez ouï comment Jeanne la Pucelle fut tellement en bruit parmi les gens de guerre, que réellement ils croyaient que c'était une femme envoyée de par Dieu, par laquelle les Anglais seraient reboutés hors du

royaume.

Cette Pucelle fut menée vers le Dauphin qui la vit volontiers, et, comme les autres, ajouta en elle grande foi'. Il fit un grand mandement (appel) auquel répondirent nombre de princes de son sang, c'est à savoir les ducs de Bourbon, d'Alençon et de Bar, Arthur, connétable de France, les comtes d'Armagnac, de Pardiac et de Vendôme, le seigneur d'Albret, le bâtard d'Orléans, le seigneur de La Trémoille, et plusieurs grands seigneurs de France et d'Écosse. Très grande fut l'armée du Dauphin avec laquelle il se tira droit à Troyes-en-Champagne; la ville lui fut promptement rendue; les habitants lui firent obéissance; ainsi firent ceux de Châlons et de Reims. En cette ville de Reims il fut sacré, oint et couronné roi de France. Ainsi Charles, septième de ce nom, fut sacré à Reims, comme vous avez ouï.

III

Après que le roi eut séjourné un petit peu de temps en la ville de Reims, il s'en alla en une abbaye, nommée Corbigny, où l'on vénère'

1. Le chroniqueur semble indiquer que ce fut seulement après la délivrance d'Orléans que Charles VII vit la Pucelle: cela suffit pour apprécier la valeur de sa Chronique.

2. Le duc de Bar, le Connétable, le comte de Pardiac n'étaient pas de la campagne du sacre.

3. Où on aoure. Le mot aoure, adorer, dans les chroniqueurs comme dans la Sainte Écriture, n'était pas, comme il l'est aujourd'hui, réservé au culte de làtrie.

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