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de l'Université, du parlement et de la bourgeoisie de Paris, il fut ordonné que le duc de Bedford serait gouverneur de Normandie, et que le duc de Bourgogne serait régent de France'. Ainsi il fut fait. C'est avec très grand regret que le duc de Bedford laissait son gouvernement, regret ressenti par sa femme; mais il fallut ainsi faire.

Les Anglais partirent un samedi soir et allèrent à Saint-Denis, non sans faire passablement de mal. Le duc de Bourgogne ne partit pas avec eux; il conclut des trêves avec les Armagnacs pour la ville de Paris et les faubourgs seulement. Les villages d'alentour payaient contribution aux Armagnacs; pas homme de Paris n'osait mettre le pied hors des faubourgs sans encourir la mort, la captivité, ou être rançonné plus qu'il n'avait vaillant; et il n'osait rendre la pareille. Il ne venait rien à Paris, propre à nourrir vie d'homme, qui n'eût été rançonné deux ou trois fois au-delà de sa valeur.

Le duc de Bourgogne, après avoir séjourné environ quinze jours à Paris, en partit la vigile de Saint-Luc (17 octobre). Il emmena avec lui ses Picards, qu'il avait introduits dans Paris, au nombre d'environ six mille, eux aussi fort larrons, ainsi qu'il parut bien en toutes les maisons où ils furent logés. Aussitôt qu'ils furent hors de Paris, la malheureuse guerre ayant commencé, ils ne rencontraient pas un homme sans le piller ou le battre. Quand l'avant-garde fut partie, le duc de Bourgogne fit crier, comme par manière d'apaiser les gens simples, que, si l'on voyait les Armagnacs venir assaillir Paris, l'on se défendît le mieux que l'on pourrait, et il laissa ainsi la ville sans garnison. Voyez là tout le bien qu'il fit; or les Anglais n'étaient point nos amis, parce qu'on les avait mis hors du gouvernement...

[Dans les pages qui suivent, le chroniqueur raconte les coups heureux des Armagnacs et les ravages qu'ils exerçaient autour de Paris. Il est utile de connaître certains passages de son récit; ils expliquent pourquoi la Pucelle avait hâte de quitter la cour; ils font comprendre certains mots couverts d'une de ses lettres aux habitants de Reims, et aussi en quelles circonstances elle avait voulu échanger Franquet d'Arras contre le maître de l'hôtel de l'Ours blanc.]

Rien ne venait à Paris qui ne fût rançonné deux ou trois fois; et quand c'était arrivé, il fallait le vendre si cher que les pauvres gens n'en pou

1. C'est de cette manière que le Bourguignon tenait sa promesse de livrer Paris à Charles VII, et usait du sauf-conduit pour l'aller et le retour accordé par le prince trop crédule.

2. Les trèves étaient déjà signées plus d'un mois avant la date donnée ici. Chuffard n'est pas au courant de ce qui se passait dans les régions de la politique. Il est vrai qu'elles furent amplifiées en octobre,

vaient avoir. Il en advint une grande douleur. Foison de pauvres ménagers, dont quelques-uns avaient femme et enfants et les autres non, sortirent en grand nombre de Paris, comme par manière d'aller promener ou gagner leur vie; la grande pauvreté dont ils souffraient les jeta dans le désespoir; ils s'attroupèrent avec d'autres qu'ils trouvèrent, et à la suggestion de l'ennemi (du diable), ils commencèrent à faire tous les maux que chrétiens peuvent faire. Il fut nécessaire de s'assembler pour les prendre de force. A la première fois on en prit quatre-vingt-dix-huit, et peu de jours après on en pendit douze au gibet de Paris, le 2 janvier; et le 10 on en conduisit onze aux halles, et on coupa la tête à dix. Le onzième était un très beau jeune homme d'environ vingt-quatre ans; il était déshabillé et l'on se préparait à lui bander les yeux, quand une jeune fille des halles vint hardiment le demander, et fit tant par sa bonne poursuite qu'il fut ramené au Châtelet, et à la suite ils se marièrent... Pâques fut le 16 avril...

Item.En ce temps, quelques-uns des grands de Paris, du parlement, du Châtelet, des marchands et gens de métier firent ensemble la conjuration de mettre les Armagnacs dans Paris, quelque dommage qui pût leur en arriver. Ils devaient être marqués de certain signe quand les Armagnacs entreraient dans Paris, et qui n'aurait pas ce signe était en péril de mort. Un Carme, nommé Frère Pierre d'Allée, était porteur des lettres d'un côté à l'autre. Dieu ne voulut pas souffrir que si grand homicide fût fait en la bonne ville de Paris; le Carme fut pris, et il en accusa beaucoup à la suite de la torture à laquelle on le soumit. Il est vrai que dans la semaine de la Passion, entre Pâques fleuries (le dimanche des Rameaux) et le dimanche qui précède, on en prit plus de cent cinquante, et la vigile de Pâques fleuries, l'on coupa la tête à six aux halles, on en noya, quelques-uns moururent par la violence de la torture, quelques autres s'en tirèrent par finances, il y en eut qui s'enfuirent et ne revinrent pas. Quand les Armagnacs virent qu'ils avaient failli à leur entreprise, ils furent tout désespérés, ils n'épargnaient ni femmes, ni enfants, et venaient jusques aux portes de Paris...

[Chuffart après avoir raconté quelques-uns de leurs heureux coups de main, ajoute cette phrase textuelle :] « Partout leur venoient biens, ne oncques depuis que le comte de Salsebry fust tué devant Orléans, ne furent les Anglois en place dont il ne leur convint partir à très grant dommage ou à très grant honte pour eulx. » [La haine de Chuffart contre la Pucelle l'empêche d'assigner la vraie date du revirement de fortune. La mort de Salisbury ne marqua point la fin des succès des Anglais; en preuve leur victoire de Rouvray, racontée par le chroniqueur avec un si visible accent de triomphe, et le siège d'Orléans si heureusement mené

qu'ils regardaient la ville comme leur appartenant déjà. Il aurait fallu dire depuis l'arrivée de cette Pucelle, dont il va si odieusement calomnier le martyre et la vie. On verra bientôt que Bedford est plus véridique.]

CHAPITRE V

PRISE ET MARTYRE DE LA PUCELLE.

Le 3 sep

SOMMAIRE : 1. Prise de la Pucelle; et nombre des morts, d'après Chuffart. tembre, prédication contre deux femmes qui rendaient témoignage à la Pucelle. Supplice de Pierronne de Bretagne.

-

II. Le martyre de Jeanne. Chuffart met sur les lèvres du prédicateur tous les crimes imputés à Jeanne par l'inique tribunal. — D'après son aveu, c'est l'Université de Paris qui a été l'âme du procès. Récit de la prétendue abjuration et de la prétendue rechute. - Détails sur le martyre. Sentiments divers de la foule. III. — Publication très solennelle à Paris de la condamnation.

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Récapitulation par

le prédicateur de tous les crimes imputés à Jeanne. Les quatre femmes mises sur le même pied. - Toutes dirigées par Frère Richard.

IV. La Pucelle a été bien réellement brûlée et ses cendres ont été jetées à la rivière.

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1430. Item. —Le xxш jour de mai, dame Jeanne, la Pucelle aux Armagnacs, fut prise devant Compiègne, par Messire Jean de Luxembourg et ses gens, et par bien mille Anglais qui venaient à Paris; et des hommes à la Pucelle, il y en eut bien quatre cents tant tués que noyés 1.

Item. Le troisième jour de septembre, un dimanche, deux femmes furent prêchées au parvis Notre-Dame. Il y avait environ la moitié d'une année qu'elles avaient été prises à Corbeil et amenées à Paris. La plus âgée, Pierronne, qui était de Bretagne bretonnante, disait et soutenait que dame Jeanne qui s'armait avec les Armagnacs était bonne, que ce qu'elle faisait était bien fait et selon Dieu. - Item. Elle reconnut avoir reçu deux fois en un jour le précieux corps de Notre-Seigneur. Item. Elle affirmait et jurait que Dieu lui apparaissait souvent en son humanité, et lui parlait comme un ami à son ami, que la dernière fois qu'elle l'avait vu, il était revêtu d'une longue robe blanche, et avait par-dessous une huque vermeille; ce qui est comme un blasphème 2.

1. C'est toute exagération.

2. «< fluque », courte casaque sans manches, ceinture ni boutons. (LACURNE.) Il n'y a pas l'ombre d'un blasphème. Saint Jean, dans son Apocalypse, nous dit : Vidi... similem filio hominis, vestitum podere, et præcinctum ad mamillas zona aurea.

Elle ne voulut jamais rétracter l'affirmation de ce propos qu'elle voyait souvent Dieu sous cette forme; sur quoi ce même jour elle fut condamnée à être brûlée, et elle le fut, et elle mourut en son dire ce même dimanche; l'autre fut délivrée pour cette heure.

II

Item.

En cet an, la vigile du Saint-Sacrement, qui fut le 30 mai, au dit an 1431, dame Jeanne qui avait été prise devant Compiègne et qu'on nommait la Pucelle, fut en ce jour soumise à Rouen à une prédication, alors qu'elle était sur un échafaud, où chacun pouvait la voir bien clairement, vêtue en habit d'homme. Là lui furent démontrés les grands maux et les grandes douleurs qui par elle étaient advenus en la chrétienté et spécialement au royaume de France, comme chacun sait; comment le jour de la sainte Nativité de Notre-Dame, elle était venue assaillir la ville de Paris à feu et à sang, et plusieurs grands et énormes péchés qu'elle avait faits et fait faire; comment, à Senlis et ailleurs, elle avait fait idolâtrer le simple peuple, étant cause par sa fausse hypocrisie qu'ils la suivaient comme une sainte Pucelle; car elle leur donnait à entendre que le glorieux archange saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite, plusieurs autres saints et saintes lui apparaissaient souvent, lui parlaient comme un ami parle à un ami, et non pas par révélations comme Dieu fait quelquefois à ses amis; mais corporellement, bouche à bouche, en ami avec un autre lui-même.

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Item. Il est vrai qu'elle disait être âgée d'environ dix-sept ans ; elle disait sans éprouver de honte que, malgré père, mère, parents et amis, elle allait souvent, au pays de Lorraine, à une fontaine qu'elle appelait bonne fontaine aux fées Notre-Seigneur, lieu où tous ceux du pays, quand ils avaient les fièvres, allaient pour recouvrer la santé. Ladite Jeanne la Pucelle y allait souvent sous un arbre qui ombrageait la fontaine; et là lui apparurent sainte Catherine et sainte Marguerite, qui lui ordonnèrent d'aller vers un capitaine qu'elles lui nommèrent, et elle y alla sans prendre congé ni de père ni de mère. Ce capitaine la vêtit à la manière des hommes, l'arma, lui ceignit l'épée, lui donna un écuyer et trois valets, et en cet état elle fut montée sur un bon cheval. En cet état elle vint au roi de France, et elle lui dit qu'elle était venue vers lui du commandement de Dieu, qu'elle le ferait être le plus grand seigneur du monde ; qu'il fût ordonné que tous ceux qui lui désobéiraient fussent mis à mort sans merci; que saint Michel et plusieurs anges lui avaient donné une très riche couronne pour lui, et qu'il y avait en terre une

épée pour lui, mais elle ne lui vaudroit tant que sa guerre fust faillie1. Tous les jours elle chevauchait avec le roi, avec grande foison de gens d'armes, sans aucune femme, vêtue, chaussée et armée à la guise des hommes, un gros bâton dans sa main, et quand un de ses gens se trompait, elle l'en frappait à grands coups, en femme très cruelle.

Item. Elle dit être certaine d'entrer en paradis à la fin de ses jours. Item. Elle dit être toute certaine que ce sont saint Michel, sainte Catherine, et sainte Marguerite qui lui parlent souvent, et quand elle veut; que bien souvent elle les a vus avec des couronnes d'or en tête, que tout ce qu'elle a fait est du commandement de Dieu, et ce qui est plus fort, elle dit savoir une grande partie des choses à venir.

Item. Plusieurs fois elle a pris le précieux Sacrement de l'Autel, tout armée, vêtue en guise d'homme, les cheveux arrondis, chaperon déchiqueté, gippon, chausses vermeilles attachées avec foison d'aiguillettes '. Certains grands seigneurs et dames, la reprenant de son vêtement de dérision, lui disaient que c'était peu priser Notre-Seigneur que de le recevoir en tel habit, vu qu'elle était une femme, elle leur répondit promptement que pour rien elle ne ferait autrement, qu'elle aimerait mieux. mourir que laisser son vêtement d'homme, pour défense qui lui en serait faite; que si elle voulait, elle ferait tonner, et ferait d'autres merveilles; qu'une fois on voulut lui faire déplaisir de son corps et qu'elle saillit d'une haute tour en bas, sans se blesser aucunement.

Item.- En plusieurs lieux elle fit tuer hommes et femmes, soit dans le combat, soit par esprit de vengeance, car qui n'obéissait pas aux lettres qu'elle envoyait, elle les faisait mourir sans pitié, aussitôt qu'elle en avait le pouvoir; et elle disait et affirmait ne rien faire que par le commandement que Dieu lui transmettait très souvent par l'archange saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite, qui lui faisaient ce faire; et non pas comme Notre-Seigneur faisait au mont Sinaï, mais qu'ils lui disaient en propres termes des secrets de l'avenir, et qu'ils lui avaient ordonné, et lui ordonnaient toutes les choses qu'elles faisait, soit pour son habit, soit autrement.

Telles fausses erreurs et pires encore dame Jeanne en avait quantité. Elles lui furent toutes déclarées devant le peuple; tous éprouvèrent une

1. Sic, peu intelligible. L'on ne voit nulle part que la Pucelle ait parlé d'une épée à

remettre au roi.

2. Vestue, attachée et armée à la manière des hommes. D'après LACURNE, <<< attachée »> signifie qui a des bas d'attache.

3. Les cheveulx arrondis, chapperon deschicqueté, gippon, chausses vermeilles attachées á foison aiguillettes.

4. « Quelles faulces erreurs et pires erreurs avoit assez dame Jeanne »; assez ici signifie beaucoup. Inutile d'observer combien tout ce fatras est calomnieux.

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