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très grande horreur quand ils ouïrent raconter les grandes erreurs contre la foi qu'elle avait eues et conservait encore, car on avait beau lui démontrer ses grands maléfices et ses égarements, elle ne s'en effrayait pas, elle ne s'en ébahissait pas; au contraire elle répondait hardiment aux articles qu'on proposait contre elle, en femme toute remplie de l'ennemi d'enfer. Il y parut bien, alors qu'elle voyait les clercs de l'Université de Paris la prier bien humblement de se repentir, et de rétracter de si mauvaises erreurs, et que tout lui serait pardonné, à cause de sa pénitence; que sinon elle serait brûlée devant tout le peuple, et son âme damnée au fond des enfers, et qu'on lui montrait les préparatifs et le lieu du bûcher qui devait la brûler bientôt, si elle ne se rétractait pas.

Quand elle vit que c'était tout de bon, elle cria merci, et se rétracta de bouche; son vêtement d'homme lui fut enlevé, et elle prit un habit de femme; mais sitôt qu'elle se vit en cet état, elle revint à son erreur précédente, et demanda son habit d'homme. Elle fut aussitôt par tous condamnée à mourir. Elle fut liée à un poteau sur un échafaud fait de plâtre, et le feu fut mis par-dessous. Elle fut bientôt morte et son vêtement tout brûlé. Le feu fut ensuite retiré; tout le peuple la vit toute nue avec tout ce qui peut et doit caractériser une femme, pour lui enlever toute incertitude.

Quand ils l'eurent contemplée à leur gré, bien morte, attachée au poteau, le bourreau ralluma un grand feu sur sa pauvre charogne (sic), qui fut promptement comburée, et ses os et sa chair réduits en cendres. Il n'en manquait pas là et ailleurs qui disaient qu'elle était martyre, et cela pour son droit seigneur; les autres disaient que non, et que l'on avait mal fait de la garder si longtemps. Ainsi parlait le peuple. Mais, quoi qu'il en soit de sa méchanceté ou de sa bonté, elle fut brûlée ce jour-là 1.

III

Le jour de Saint-Martin-le-Bouillant, une procession générale fut faite à Saint-Martin-des-Champs; une prédication y eut lieu, par un frère de l'ordre de Saint-Dominique, inquisiteur de la foi, maître en théologie. Il repassa de nouveau tous les faits de Jeanne la Pucelle. Il disait qu'elle avait avoué être fille de TRÈS PAUVRES GENS; que depuis l'âge de treize ans,

1. Mais quelle mauvaiseté ou bonté qu'elle eust fait, elle fut arse ce jour-là. Cette phrase semblerait prouver que l'odieux chroniqueur était moins sûr qu'il ne veut le montrer de la malice de celle qu'il a appelée une créature en forme de femme, qui était, Dieu le sait.

2. Le 5 juillet, fète de la translation des reliques de saint Martin.

elle s'était maintenue en manière d'homme'; et que dès lors son père et sa mère l'eussent volontiers fait mourir, s'ils l'avaient pu sans blesser la conscience; que pour ce motif elle les quitta possédée par l'ennemi d'enfer, et que depuis lors elle avait vécu en homicide de la chrétienté, respirant le feu et le sang, jusqu'au jour où elle fut brûlée. Il disait que si elle se fût rétractée, on lui eût donné une pénitence, quatre ans de prison au pain et à l'eau, pénitence dont elle ne fit jamais un jour, se faisant servir en sa prison comme une dame. L'ennemi lui apparaissait sous trois formes, à savoir, ainsi qu'elle le disait, sous la forme de saint Michel, de sainte Catherine et de sainte Marguerite; il avait grand'peur de la perdre; il faut entendre l'ennemi ou les ennemis sous la forme de ces trois saints; il lui dit : « Méchante créature, qui par peur du feu as laissé ton habit, n'aie pas peur, nous te garderons fort bien contre tous ». Par quoi, sans attendre, elle se dépouilla de ses vêtements de femme, et se revêtit des habits qu'elle portait quand elle chevauchait, habits qu'elle avait mis dans la paille de son lit; elle se fia tellement en l'ennemi qu'elle dit se repentir d'avoir laissé son vêtement. Quand l'Université ou ceux qui la représentaient virent qu'elle était ainsi obstinée, elle fut livrée à la justice laïque pour la mort. Quand elle se vit en ce point, elle appela les ennemis qui lui apparaissaient sous la figure de saints, mais jamais, depuis qu'elle fut condamnée, aucun ne lui apparut, quelque invocation qu'elle sût leur adresser; et alors elle se ravisa, mais ce fut trop tard.

Dans son sermon, le prédicateur disait encore quelles étaient quatre ces femmes, et que trois avaient été prises, à savoir cette Pucelle, Pierronne et sa compagne. La quatrième, nommée Catherine de La Rochelle, est avec les Armagnacs; elle dit que lorsqu'on consacre le précieux corps de Notre-Seigneur, elle voit merveilles du haut mystère de Notre-Seigneur Dieu. Toutes les quatre pauvres femmes ont été ainsi gouvernées par le Cordelier, Frère Richard, celui qui attira après lui si grande multitude, quand il prêcha à Paris, aux Innocents et ailleurs. Il était leur beau Père. Le jour de Noël, à Jargeau, il donna trois fois le corps de NotreSeigneur à cette dame Jeanne la Pucelle; ce dont il est fort à reprendre. Ce même jour, il l'aurait donné deux fois à Pierronne, d'après le témoin des aveux de ces femmes et d'après quelques-uns qui furent présents aux heures où il leur donna ainsi le précieux sacrement.

1. Si l'inquisiteur a ainsi parlé, il s'est trompé.

2. Au procès il n'y a pas trace de ce fait qu'on n'eût pas manqué d'exploiter contre l'accusée. Il est donc faux que cela résulte des aveux de Jeanne, comme le prédicateur l'aurait affirmé, à en croire Chuffart.

III.

34

IV

[En l'année 1440, à propos de la fausse Jeanne d'Arc, Chuffart parle encore de la vraie dans les termes suivants :] « En ce temps, il était très grand bruit de la Pucelle, dont il a été parlé plus haut, celle qui fut brûlée à Rouen pour ses démérites. Il y avait alors maintes personnes qui étaient abusées à son sujet, croyant fermement que, par sa sainteté, elle se fût échappée du feu, et qu'on en eût brûlé une autre, en croyant la brûler elle-même. Mais elle fut bien réellement brûlée, et toute la cendre de son corps fut bien réellement jetée en la rivière, par crainte des sorcelleries qui auraient pu s'ensuivre. »

CHAPITRE VI

LES REGISTRES DU CHAPITRE DE NOTRE-DAME.

SOMMAIRE La majorité du chapitre anglo-bourguignonne. Le 30 août, on pourvoit au remplacement des officiers qui ont rejoint la Pucelle. - Nomination de délégués convoqués par l'évêque de Thérouanne. Le 31 août on célébrera une messe à Vote d'une somme pour les frais de la guerre.

Notre-Dame extra chorum.

attribue.

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- Le

5 septembre, mesures pour la sécurité de l'église et du cloître, des reliques, du trésor. Vente du buste de la statue de saint Denis. Le 7, procession à la montagne Sainte-Geneviève. Attaque des ennemis et sanglants desseins qu'on leur Le 8, assaut très violent et très long. Repoussé. Grandes pertes des assiégeants. Grand nombre de claies, de fascines, d'échelles qu'ils avaient apportées. Ils en ramènent une partie. - Conjectures. Le 9, messe pour Charles VI, par ordre de son fils.

Les registres du chapitre de Notre-Dame de Paris ont échappé aux ravages du temps. On peut les compulser aux Archives nationales. (LL 216, fo 172). Ils présentent quelques particularités qui nous permettent de juger de l'émoi des esprits lorsque la Pucelle vint assiéger Paris. Voici les indications de quelque importance que l'on y trouve.

La majorité des chanoines était anglo-bourguignonne; mais il n'est pas douteux que la Libératrice ne comptât des partisans dans leurs rangs. Plusieurs passèrent dans son camp, lorsqu'elle arriva à Saint-Denis. Le chapitre pourvut à les remplacer, le 30 août, dans les fonctions qu'ils remplissaient. Il chargea Jean Regnaudot de distribuer les jetons de présence à la place de Jean Pinchenot, qui s'était éloigné sans permission: qui recessit sine licentiâ capituli; on confie à Jean Pétillon la charge de

garder le chef de Saint-Denis à la place de Jean Guenet, qui lui aussi est parti sans licence du chapitre. Absent aussi le chantre du chapitre. Durant l'exil de Gerson, il avait la garde du grand et du petit sceau. Chuffart investi, les sceaux lui ont été remis; mais on se demande si, en l'absence du chancelier, la garde des sceaux revient de droit au chantre.

Le chancelier de France, l'évêque de Thérouanne, avait ordonné que quelques députés de la corporation fussent envoyés au palais pour neuf heures. On en élit trois, parmi lesquels Jean Chuffart. Deux au moins répondront à l'appel.

Le lendemain, 31 août, il est décrété que, à cause des périls du temps, une messe sera célébrée tous les jours devant la Vierge, en dehors du chœur, extrà chorum.

Le conseil royal a demandé une contribution pour faire face aux dépenses de la guerre. Les trois délégués nommés la veille pourront offrir LXXX" (marcs?); et si le conseil n'est pas content, ils pourront aller jusqu'à cent.

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Le 5 septembre, trois chanoines, parmi lesquels Jean Chuffart, sont autorisés à modifier comme ils le jugeront plus convenable les mesures déjà prises pour la garde du cloître et de l'église. Ils verront s'il est expédient de déposer des provisions de vivres dans les tours pour l'entretien des chanoines qui désireront s'y retirer.

Les fabriciens prendront les mesures nécessaires pour mettre les reliques et le trésor à l'abri de la malice des ennemis.

L'on a vendu pour le prix de 56 saluts d'or le buste de la statue de saint Denis, et l'on a gardé le pied qui est d'argent, la tête et le diadème. Chuffart est autorisé à louer deux moulins qui sont in coquina Sancti Augustini (?).

Le mercredi 7 septembre une procession solennelle a été faite à Sainte-Geneviève, sur la montagne. Les chanoines du palais y ont assisté, portant la vraie croix. La procession s'est faite pour obtenir la cessation des maux présents et de l'attaque des ennemis.

Ce même jour, ces ennemis ont fait une attaque contre la ville, se promettant de mettre à mort les personnes de l'un et de l'autre sexe qui leur tomberaient sous la main, ainsi qu'ils en avaient fait le serment et qu'ils s'en vantaient. Le soir ils ont cessé leur attaque et se sont retirés.

Le lendemain, fête de la Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie, en compagnie de leur Pucelle, objet de leur confiance et comme leur Dieu, ils ont recommencé leur attaque vers une heure après midi. Attaque très violente, ils l'ont prolongée de toutes leurs forces jusques

1. Cum eorum Puella in quâ tanquam in Deum suum confidebant.

au milieu de la nuit. La résistance des bourge leur confiance en Dieu et en la glorieuse Vierg solennellement célébrée dans cette ville, a fait remporté aucun avantage. Ils ont blessé quelq Français; ils n'en ont tué qu'un très petit nom coup des leurs; on ne sait pas combien, parce les cadavres. Leur Pucelle fut blessée à la cuis croit, avec la vue de leurs morts et de leurs mo retraite. Ils craignaient d'être tués aussi.

Ils laissèrent un très grand nombre de fascine: laient combler les fossés; ils en jetèrent quel Pucelle, son étendard en mains, vint sur les bo dit-on, qu'elle fut blessée. Ils abandonnèrent, six cent cinquante échelles, et bien quatre mill bien trois cents chars pour porter ce bagage; i les traînaient chargés de matières inflammables et de claies. Ils ramenèrent à Saint-Denis plusi lesquels ils avaient étendu leurs blessés ; d'autı demain conduits dans Paris. Ils brûlèrent le reste main plus de cent roues; ce qui a fait présume retraite, ils avaient brûlé ce qu'elles devaient su contraints à une retraite ignominieuse.

Le lendemain le Dauphin, leur roi, fit célé] Saint-Denis pour le roi Charles VI, son père'.

CHAPITRE VII

LA PUCELLE D'APRÈS LE DUC DE BOURGOGNE ET SES HOMMES DE COUR.

SOMMAIRE: 1.

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La cour de Bourgogne se hâte de faire connaitre au loin la prise de la Pucelle. Lettres du duc aux habitants de Saint-Quentin, de Gand, aux ducs de Bretagne, de Savoie.

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II. JEAN GERMAIN, ÉVÊQUE DE CHALON-SUR-SAONE.

Son livre De virtutibus Philippi.

Son passage sur la Pucelle. - L'EVÊQUE JEAN JOUFFROY. Sa page déclama

toire à l'endroit de la Pucelle.

III.

Le greffier de la chambre des comptes du Brabant. Les registres noirs. EDMOND DE DYNTHER ET SA CHRONIQUE. Le sire de Rosethlaer. Sa lettre sur la Pucelle en date du 22 avril 1429. - Ce qu'Edmond de Dynther a ajouté à cette lettre. IV. LE LIVRE DES TRAHISONS DE FRANCE ENVERS LA MAISON DE BOURGOGNE. Son passage

sur la Pucelle. - Remarques.

1. Voir quelques extraits aux Pièces justificatives J.

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