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lement cher à la Libératrice. C'est sans doute de lui qu'elle parlait l'année suivante, à la séance du 14 mars, quand elle disait avoir pensé à échanger Franquet d'Arras, contre un homme de Paris, seigneur de l'Ours; mais qu'ayant appris que ce dernier était mort, elle avait laissé la justice suivre son cours à l'égard du brigand Franquet.

Quoique la Pucelle ne soit pas nommée dans les pièces précédentes, il est indispensable d'en tenir compte pour débrouiller bien des obscurités de l'histoire de convention que l'on nous a léguée. Les documents qui vont suivre la regardent immédiatement.

V

Indemnité donnée à Cauchon pour cent cinquante-trois jours (cinq mois) qu'il a passés en voyages et en négociations, spécialement sur le fait de la Pucelle. Sa quittance. Quicherat a fait sortir, en l'imprimant, cette intéressante pièce de l'obscurité de l'inédit où elle a reposé quatre siècles. Le parchemin original se trouve à la Bibliothèque nationale, dans la collection Gagnières (Titres scellés des évêchés, t. IV).

« Nous, Pierre, évêque et comte de Beauvais, pair de France, vidame de Gerberoy, conseiller du roi notre sire, confessons avoir eu et reçu de Pierre Sureau, receveur général de Normandie, la somme de sept cent soixante-cinq livres tournois, qui due nous était, pour sept-vingt-treize jours, que nous affirmons avoir vaqué au service du roi notre seigneur et pour ses affaires, tant en la ville de Calais, comme en plusieurs voyages, en allant devers Mgr le duc de Bourgogne et devers messire Jean de Luxembourg, comte de Guise, en Flandre, au siège devant Compiègne, à Beaurevoir, pour le fait de Jeanne que l'on dit la Pucelle, comme pour plusieurs autres besognes et affaires du roi notredit seigneur, et aussi en la ville de Rouen, par le mandement du roi notredit seigneur et de son grand conseil, iceux sept vingt treize jours commençant le premier jour de mai [mil] quatre cent trente et finissant le dernier jour de septembre suivant, dernier passé inclus, au prix de cent sols tournois par jour, à nous ordonnés, pour être pris et obtenus sur ladite recette [de Normandie], pour la moitié de dix livres tournois par jour à nous ordonnés et taxés par le roi, notredit seigneur, pour chacun des jours que nous avons vaqué et vaquerons pour ses affaires au voyage en quoi nous sommes présentement, et jusqu'à notre retour en la ville de Paris, comme il appert par les lettres de taxation du roi, notredit seigneur, données le xive jour du mois de mai, expédiées par le trésorier et général gouverneur des finances de Normandie.

<«< De laquelle somme de sept cent soixante-cinq livres tournois nous nous tenons pour content et bien payé, et en quittons le roi notredit seigneur, ledit receveur général et tous autres. En témoin de ce, nous avons mis à ces présentes notre signet et sceing manuel, le dernier jour de janvier, l'an mil quatre cent et trente (a. st.).

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Il serait intéressant de connaître par le détail l'itinéraire de cet agent si dévoué à l'Angleterre. Nous savons qu'en 1428 il était chargé de prélever l'impôt mis sur la Champagne pour réduire Mouzon, Vaucouleurs et quelques autres places qui, aux bords de la Meuse, tenaient encore pour Charles VII. En 1429, quinze jours environ après la délivrance d'Orléans, l'évêque de Beauvais était à Reims, car il est marqué comme ayant porté le Saint-Sacrement à la Fête-Dieu'. Quatre jours après il était à Châlons, dont depuis longtemps il était archidiacre 2. Le 23 juin il rentrait à Reims. Il ne semble pas douteux qu'il voyageait ainsi hors de son diocèse pour conserver sous la domination anglo-bourguignonne les pays que la Pucelle devait traverser pour conduire le roi à Reims. Les chroniqueurs nous ont dit que ces villes avaient renouvelé leur serment de fidélité au traité de Troyes. N'est-ce pas à son instigation? L'arrivée de Jeanne aux bords de la Marne et de la Seine en avril 1430 produisit grand émoi à Paris, et sur les frontières des pays encore soumis à la domination anglo-bourguignonne. Cauchon se met en voyage dès le 1er mai. Il se rend à Calais d'abord ; le roi d'Angleterre y était arrivé dès le 23 avril; le prélat a dû y aller faire sa cour. Il dit qu'il a été ensuite vers le duc de Bourgogne et Jean de Luxembourg; mais l'un et l'autre étaient occupés au siège de Compiègne, ou tout au moins à s'emparer des avant-postes. Si Jeanne, comme l'affirment quelques Chroniques, a été vendue par Flavy, le négociateur serait-il intervenu dans le marché? Les antécédents nous autorisent à poser la question, encore que nous ne puissions pas y répondre. Après un voyage en Flandre, le voilà de nouveau au siège devant Compiègne. Il y était certainement le 14 juillet ; c'est là qu'il fait sommation à Luxembourg et au duc Philippe d'avoir à livrer la captive. La dame et la tante de Luxembourg s'opposaient à l'infamie du mari et du neveu. Serait ce pour triompher de leur résistance qu'il se serait rendu à Beaurevoir? Il indique encore dans sa quittance qu'il a été à Rouen. Les États y étaient réunis au mois d'août ; et ils ont voté dix mille livres pour l'achat de la Pucelle. Était-ce encore pour les

1. Manuscrits du chanoine Cocquault, p. 642.

2. Registres du chapitre.

3. Registres communaux de Reims, p. 120.

affaires de la Pucelle qu'il s'est rendu dans cette ville? L'acompte d'un voyage qui ne semble pas encore à sa fin est du dernier jour de septembre. Or, à cette date, d'après le livre des comptes de Tournay, la victime était livrée; elle avait quitté Beaurevoir, elle était à Arras. La quittance ellemême nous autorise à poser ces questions, puisque la seule affaire spécifiée comme ayant fait l'objet de cet itinéraire de cinq mois, c'est le fait de Jeanne que l'on dit la Pucelle.

VI

Nous avons plusieurs pièces authentiques sur la manière dont s'est effectué le payement de l'achat de la Pucelle. Quicherat les a reproduites dans toute leur étendue. Il suffira de donner les passages dans lesquels intervient le nom de la martyre.

Le premier, en date du 3 septembre 1430, est tiré d'une circulaire du trésorier général Thomas Blount, et de Pierre Sureau, receveur général des finances en Normandie. Voici le texte :

<< Thomas Blount, chevalier, trésorier et général gouverneur des finances du roi notre sire en Normandie, et Pierre Sureau, receveur général desdites finances, commissaire du roi notredit seigneur en cette partie, aux élus sur le fait des aides à Argentan et Exmes, et au vicomte dudit lieu, ou à leurs lieutenants, salut.

<< Reçues par nous les lettres du roi notredit seigneur, données à Rouen, le second jour de ce présent mois de septembre, par lesquelles il nous est mandé et commis d'asseoir, faire cueillir et lever et recevoir dedans le (d'ici au) dernier jour d'icelui mois la somme de quatre-vingt mille livres pour le premier payement de l'aide de vi mil (120 000) livres tournois octroyés au roi notredit seigneur par les gens des trois États du duché de Normandie,... en l'assemblée faite à Rouen au mois d'août passé, pour tourner et convertir, c'est à savoir dix mille livres tournois au payement de l'achat de Jeanne la Pucelle que l'on dit être sorcière, personne de guerre, conduisait les ostz (armées) du Dauphin, etc. »

Ainsi c'est bien exprès, la prenière dépense à laquelle doit pourvoir l'aide extraordinaire votée par les États normands, celle qui passe même avant le recouvrement de Louviers, c'est de payer l'ACHAT de Jeanne la Pucelle. Elle a été bien réellement vendue, puisqu'elle a été achetée; la renommée publique en fait une sorcière; c'est elle qui conduit les armées du roi.

1. Procès, t. V, p. 178 et suiv.

La cassette royale s'est momentanément dépouillée de ses plus belles espèces pour donner pleine satisfaction au vendeur. C'est ce que nous apprend le reçu suivant du gardien de cette cassette.

<«< Sachent tous que je, Jean Bruyse, écuyer, garde des coffres du roi notre sire confesse avoir eu et reçu de Pierre Sureau, receveur général de Normandie, la somme de cinq mille deux cent quarante-neuf livres, dix-neuf sous dix deniers obole tournois pour le pourpaiage (reddition) et restitution de deux mille six cent trente-six nobles d'or de deux sous cinq deniers sterling, monnaie d'Angleterre, qui par lettres du roi notredit seigneur, données à Rouen le xx jour d'octobre dernier passé, expédiées par Monseigneur le trésorier de Normandie, m'ont été ordonnés être payés et (m'ont été) restitués, par ledit receveur; pour ce que, par l'ordonnance du roi notredit seigneur, je les avais baillés des deniers de ses dits coffres et trésor, pour employer en certaines de ses affaires touchant les dix mille livres tournois payées par ledit seigneur pour AVOIR Jeanne qui se dit la Pucelle, prisonnière de guerre; lesquels ont été évalués à la somme de cinq mille deux cent quarante-neuf livres dix-neuf sous, dix deniers obole tournois, à moi payée comptant, c'est à savoir en deux cents nobles d'or, et le demeurant en monnaie; je suis content et bien payé, et en quitte par ces présentes, le roi notredit seigneur, ledit receveur et tous autres. Et en témoin de ce, j'ai signé cette présente quittance de mon seing manuel et scellée de mon signet le vi jour de décembre, l'an mil CCCC trente.

Ainsi signé « JOHAN BRUYSE », avec paraphe1.

Le contrat stipulait-il que le payement serait effectué en espèces d'or? Est-ce une gracieuseté de l'acheteur? Aurait-on voulu faciliter le transport de la somme? Peu importe le ressort mis en jeu par la Providence. pour imposer au contrat ce nouveau caractère de grandeur. Si le Seigneur de Jeanne a voulu que sa fiancée fût vendue comme il l'a été lui-même, il a imprimé au contrat un caractère de solennité qu'il n'a pas voulu pour lui. Judas conclut son marché clandestinement, à vil prix, le prix d'achat d'un esclave. La vente de la Pucelle est l'objet de longues négociations; le corps savant de l'époque, l'Université de Paris intervient pour peser sur le vendeur; le prix c'est le prix que l'on paye pour un roi prisonnier; une grande province s'impose afin de parfaire la somme; et le métal est un métal deux fois royal, puisque c'est de l'or, et un or qui sort de la cassette du roi.

1. Procès, t. V, p. 191-192.

III.

36

Il ne nous reste plus qu'à entendre le grand homme politique de l'Angleterre à cette époque, confesser dans un document officiel que la fille de Jacques d'Arc a arraché la France à l'Angleterre.

VII

Les historiens citaient à l'envi quelques lignes de Bedford disant que les affaires d'Angleterre avaient prospéré en France jusqu'à l'arrivée d'un suppôt d'enfer nommé la Pucelle. Dans quelle circonstance le régent avait-il écrit ces lignes? on l'ignorait. On renvoyait à Rymer; or Rymer assigne au passage cité une date impossible, l'année 1428, alors que la Pucelle n'était connue qu'à Domrémy.

Frappé de cette anomalie, M. l'abbé Debout passa en Angleterre, compulsa les archives de 1429, 1430, 1431 et acquit la conviction que non seulement la pièce ne s'y trouvait pas, mais qu'elle n'y a jamais été. La publication de cette observation atteignait tout à la fois la valeur du document et l'autorité du célèbre annaliste anglais Rymer. Des recherches ultérieures furent faites, et, au grand plaisir de M. Debout luimême, elles ont fait mettre la main sur le document qui par sa vraie date n'en acquiert que plus de valeur. C'est ce que fait ressortir le scrupuleux chercheur dans sa plaquette: Appréciation du duc de Bedford sur Jeanne d'Arc et son œuvre. La pièce existe aux Archives anglaises (Bibl. cott. Titus, E, 5); elle était même imprimée dans les rotuli parlamentorum, appendice du tome V (p. 435). Bedford l'écrivit non pas lorsque Jeanne d'Are était sur la scène, mais quatre ans après son supplice, alors que la première impression était dissipée, et qu'il examinait froidement la cause du revirement de fortune subi par l'Angleterre. Il est manifeste que l'appréciation du grand politique n'en a que plus de poids. C'est un rapport fait au roi sur la situation de la France anglaise, terminé par la demande d'une diminution d'impôts que les peuples ne peuvent plus supporter. Le conseil délibéra sur ce rapport le 14 juin de la douzième année du règne de Henri VI. Henri VI ayant été proclamé roi d'Angleterre le 1er septembre 1422, nous sommes amenés au 14 juin 1434. On devait peu faire attendre au conseil royal de Londres les rapports et les demandes du régent de France. On en peut conclure que le régent aura rédigé et remis ce magnifique témoignage rendu involontairement à la Libératrice dans les derniers jours de mai, c'est-à-dire à l'anniversaire du martyre.

L'élégante traduction que l'on va lire est due à la plume de M. Chaulin, un de ces dignes magistrats qui sont descendus de leur siège, alors que l'on a voulu y faire asseoir l'arbitraire et la tyrannie.

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