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De tous les princes du sang, celui qui devait rendre le plus de services à la couronne était alors connu sous le nom de Jean, bâtard d'Orléans, en attendant de l'être sous celui de comte de Dunois. Qu'on ne s'étonne pas de cette appellation aujourd'hui un peu crue. La pruderie n'est pas la caractéristique de la langue du xv° siècle. C'est le nom que prend le prince dans ses actes officiels, qui commencent ainsi Jean, bâtard d'Orléans. Le mot s'applique à bien d'autres dans un siècle qui fut le tombeau des mœurs chrétiennes; les bâtards des grandes familles foisonnent dans les Chroniques du temps. L'honneur des mœurs chrétiennes s'était réfugié dans les classes populaires, comme il l'était plus tard, avant la Révolution. Le bâtard d'Orléans, alors âgé de vingt-sept ans, s'était révélé en 1427 à la rescousse de Montargis, en forçant les Anglais à lever le siège de cette importante place. Il avait à Orléans le titre de lieutenant général du roi pour le fait de la guerre; et il prenait soin des intérêts de ses frères Charles et Jean, prisonniers de l'Anglais.

Après Dunois, le représentant royal à Orléans était, en qualité de bailli, Raoul de Gaucourt, qui avait en outre le titre de grand maître de la maison du roi. Issu de l'une des plus nobles familles de Picardie, dès l'âge de treize ans il portait les armes, à la suite de Charles VI, en 1388. Jusqu'à sa mort, en 1461, il prend part à tous les grands événements du pays. Il était à Nicopolis. Le désastre d'Azincourt entraîne pour lui une captivité de dix ans, à la suite de laquelle il ne recouvre la liberté qu'au prix d'une grosse rançon. Il est présent aux grands faits de la délivrance d'Orléans; il sauve le Dauphiné, dont il est gouverneur, à la bataille d'Anthon en 1430; est fait une seconde fois prisonnier des Anglais en 1441, donne ses fils en otage de la rançon à payer, et il entre à Rouen avec Charles VII en 1449 '.

Le roi était entre les mains du sire de La Trémoille. Perceval de Cagny nous dira que « il avait seul et pour le tout le gouvernement du corps du roi, de toutes ses finances, et des forteresses de son royaume étant en son obéissance ». Il a été parlé ailleurs de cet odieux personnage 2, ainsi que du chancelier, Regnault de Chartres 3, l'homme de la diplomatie, de Gérard Machet, le confesseur du roi'. Le connétable Richemont, a-t-il été exposé aussi, pour renverser La Trémoille, avait pris les armes, lorsque la Pucelle avait fait les premières démarches auprès de Baudricourt. L'entreprise ayant avorté, les chroniqueurs nous diront à quel point il

1. ANSELME, (. VIII, p. 366.

2. La Paysanne et l'Inspirée, p. 42, 43, 44, 45.
3. La Pucelle devant l'Église de son temps, p. 57.

4. Ibid., p. 9-11.

5. La Paysanne et l'Inspirée, p. 43.

tomba dans la disgrâce du prince. Un des sympathiques personnages de l'entourage royal est Robert le Maçon, seigneur de Trèves-en-Anjou. Né dans une condition humble, ses connaissances juridiques l'avaient fait passer dans les rangs de la noblesse, que Charles VI lui conféra en 1410. En 1448 il sauva la liberté et peut être la vie au Dauphin; il en devint le chancelier, et quoique en ayant résilié les fonctions en 1422, il continua à faire partie du grand conseil jusqu'à sa mort en 14421.

Si l'on pouvait attendre de quelqu'un une fidélité à toute épreuve, c'était de celui dont le parti national portait le nom, du fils et de l'hérilier du connétable d'Armagnac. Voici quelques-uns des coups de pinceau du portrait que nous en trace Chastellain : « Régnant en son quartier de pays, prince puissant et redouté, fort et roi à l'encontre de tous ses cousins, n'écoutant personne, ni sujet ni obéissant au roi qu'à sa volonté, il possédait villes et châteaux imprenables, et avait dessous lui meubles à l'infini... Avec son orgueil, de sa propre autorité, sans conseil ni aveu du roi, il traita de sa fille avec le roi des Anglais, au grand préjudice des Français 2. >>

Le comte de Foix, un Grailly, avait pour ancêtres ces partisans de l'Anglais fameux sous le nom de « captal de Buch ». Un de ses frères s'était fait tuer à Montereau en défendant Jean sans Peur. Créé gouverneur du Languedoc par Charles VI et par Henri de Lancastre, non seulement il fut maintenu après leur mort; mais le gouvernement anglais l'avait chargé de faire prêter aux habitants de Languedoc et de Bigorre le serment le plus explicite au traité de Troyes3. En 1425 il se rallia avec Richemont au parti national, fut maintenu dans son gouvernement et s'y comporta tellement en souverain qu'il dut en demander pardon et en obtenir grâce du roi en 1436.

Un des premiers compagnons de guerre de la Pucelle, qui combattit à ses côtés jusqu'au siège de Paris, fut Gilles de Rais, maréchal de France. Il avait vingt-cinq ans. On se demande avec terreur s'il était alors le monstre, un des plus singuliers de l'histoire qui en compte de si variés, le monstre qui fut brûlé à Nantes en 1440, à l'âge de trente-six ans. Son récent historien, M. l'abbé Bossard, déclare ne pouvoir pas résoudre la question. Possesseur d'une immense fortune, abandonné à lui-même dès son enfance, fou de tout ce qui pouvait attirer sur lui le regard, guerre, magnificences en tout genre, même dans les cérémonies religieuses, la curiosité, le désir de maintenir ou de relever une fortune jetée à tous les

4. ANSELME, t. IV, p. 391.

2. CHASTELLAIN, loc. cit.

3. Voir dans RYMER, t. IV, part. IV, p. 87 et suiv. de nombreuses pièces établissant combien le comte de Foix était dans les bonnes grâces de l'Anglais.

vents, le rendirent l'adorateur du diable, et lui firent commettre assez de crimes pour mériter la mort à dix mille coupables, disait-il lui-même. Il offrait à sa divinité des sacrifices d'enfants; il lui avait tout donné, sauf sa vie et le salut de son âme. Le fait est qu'il mourut en bon larron, repentant, et en faisant des aveux dont l'histoire frissonne.

Gilles de Rais fut fait maréchal au sacre de Reims. Jean de La Brosse, seigneur de Sainte-Sévère et de Boussac, était alors depuis d'assez longues années en possession de ce titre : c'est un des plus vaillants défenseurs d'Orléans durant tout le siège. Il se trouva à la délivrance de la cité, à la victoire de Patay, à la campagne d'avant et d'après le sacre, au siège de La Charité, à la délivrance de Compiègne. Ce vaillant serviteur de la France mourut insolvable en 1433 1.

Louis de Culan, comme le maréchal de Boussac, était du Berry. Amiral de France depuis 1422, il a suivi presque constamment l'héroïne, et est mort en 1444 2.

Jean Malet, sire de Graville, seigneur normand, avait vu ses terres confisquées par les Anglais. Il était grand maître des arbalétriers depuis. 1425. C'était aussi un grand seigneur normand que le comte d'Harcourt et d'Aumale, un des conseillers influents de Charles VII 3.

Les Gascons abondaient dans les armées qui marchèrent à la suite de la Pucelle c'était le sire Raymond-Armand de Coarraze, d'une grande famille du Béarn, seigneur de Coarraze et d'Aspet, alliée aux comtes de Foix; il passa sa vie à combattre l'Anglais; c'était l'honnête d'Aulon, le maître de l'hôtel de Jeanne; c'étaient Poton de Xaintrailles, seigneur de la petite localité de même nom; Étienne de Vignolles, si fameux sous le nom de La Hire, avec son frère Amade; il devait mourir à Montauban en 1444; c'était le chevalier Thermes, de la famille d'Armagnac, qui devait déposer à la réhabilitation; c'étaient Bouzon de Fages, le sire d'Albret. Le sire d'Albret appelé dans les documents de l'époque de Lebret, était fils du connétable Charles Ier d'Albret, tué à Azincourt. Sa mère, Marie de Sully, avait été mariée en premières noces à Guy VI de La Trémoille, et de ce premier mariage avait eu, entre autres enfants, Georges de La Trémoille. Le sire d'Albret, qui commanda l'expédition de La Charité, et le tout-puissant favori de Charles VII, ou plus exactement le roi de fait de l'époque, étaient donc frères utérins *.

Le Bourbonnais était représenté par Jacques de Chabannes, seigneur de La Palisse, qui ne devait cesser de combattre qu'à l'expulsion des

1. ANSELME, t. VII, p. 71; CHARPENTIER et CUISSART, Journal du siège, p. 11. 2. ANSELME, t. VII, p. 83.

3. ANSELME, t. VIII, p. 86.

4. ANSELME, t. VI,

p. 205.

Anglais. Il devait mourir des blessures reçues à la victoire de Castillon, qui leur porta le dernier coup en 14531.

La Bretagne envoya Alain Giron avec ses cent lances, Rais, les jeunes. seigneurs de Laval, Guy et André, etc., et elle eût fourni un appoint bien plus considérable encore, si l'on avait accepté les services du Connétable, qui venait si bien accompagné.

III

Parmi les réformes que Jeanne devait opérer, et que Gerson groupe sous quatre chefs, le chancelier indique celle des milices du roi et des milices du royaume. Les milices du roi, c'étaient, ce semble, les milices nobles et les milices mercenaires; et les milices du royaume, étaient les milices bourgeoises ou municipales, celles que les chroniqueurs appellent le commun.

Le service militaire était dans l'ordre civil le premier devoir de la noblesse, créée pour faire régner la justice et l'ordre dans ses fiefs, et pour défendre le roi, le pays, toutes les causes nationales. Elle devait accourir sur le mandement du roi, chaque feudataire menant à sa suite ses vassaux et arrière-vassaux. Sous les Mérovingiens et les Carlovingiens, les nobles seuls ont fait la guerre; mais soit que la noblesse ne répondît pas assez unanimement à l'appel royal, soit qu'elle ne fût pas assez nombreuse pour résister dans certains périls extrèmes, les rois de la troisième race prennent à leur services des bandes mercenaires. Réunis sous la conduite d'un chef plus hardi, les mercenaires faisaient de la guerre un moyen d'existence libre et sans frein. S'ils pouvaient être utiles pour la bataille, ils étaient, en dehors, les fléaux du pays. Ils ont laissé, sous le nom de ribauds, de brabançons, de routiers, de compagnons, de grandes compagnies, le renom d'hommes sans aveu, ne redoutant pas les périls, il est vrai, mais prêts à tous les excès. Le nom de brigands leur fut donné dans les premières années du xv siècle; il est resté dans la langue, et tout le monde en connaît la sinistre signification; la férocité d'une brute servie par le corps et l'intelligence d'un homme. Ce ne furent pas les rois seulement qui soudoyèrent de ces bandes; les seigneurs se donnèrent aussi ce luxe dans leurs guerres privées.

Les chefs de ces bandes d'aventuriers étaient ordinairement des nobles en quête de la fortune qui leur manquait; il semble bien que La Hire

1. ANSELME, t. VIII, p. 365.

et d'autres Gascons devenus depuis si populaires ont débuté par là. Abandonné par la noblesse, le gros des forces de Charles VII à l'arrivée de la Pucelle se composait de ces bandes. Bien plus, s'il y avait des Français dans leurs rangs, les étrangers en formaient l'appoint le plus considérable. C'étaient des Espagnols, Aragonnais, Castillans, tels que Rodrigue de Villandrado, don Cernay, de Partada. C'étaient des Lombards. Dès 1423, Charles VII avait recruté en Lombardie six cents hommes d'armes, mille hommes de pied. Théaulde Valpergue, Borne Caqueran, sont des Lombards. Leur avidité avait amené la défaite de Verneuil. Vainqueurs de leur côté, ils s'étaient jetés sur les bagages des Anglais, sans se demander si la victoire était gagnée à l'aile opposée.

L'Écosse fut la principale contrée où le roi de Bourges recrutait pareils auxiliaires. Il y faisait des levées qui atteignaient quelquefois jusqu'au chiffre de six mille hommes. Ils venaient en France commandés par des membres de la famille royale, par le comte de Bucland, fils du régent Albany, par le connétable d'Écosse lui-même, le duc de Darnley. Ce n'étaient pas seulement de grosses sommes que promettait le malheureux roi, il aliénait en leur faveur jusqu'à des provinces telles que la Touraine. Ils vinrent en si grand nombre que l'on disait la France partagée entre les Anglais et les Écossais. Ils se rendirent profondément odieux par leur orgueil, leurs déprédations et leur gloutonnerie. Leurs excès ne doivent pas cependant faire oublier les services rendus, et le sang versé pour notre cause. La victoire de Baugé, en 1424, leur fut principalement due. Pour diminuer l'effet produit sur son parti par la défaite de Crevant, Charles VII écrivait qu'il n'y avait péri qu'un petit nombre de nobles Français, mais seulement des Écossais, des Lombards, et autres étrangers, qui avaient coutume de vivre sur le pays. Dans un autre volume, nous avons cité Bazin écrivant que l'on se consolait du désastre beaucoup plus grand subi l'année suivante à Verneuil, parce que les Écossais y étaient tombés en très grand nombre. On les retrouve à Rouvray; le connétable d'Écosse et son fils y périssent, comme avait péri à Verneuil le comte de Bucland, devenu connétable de France. Il y avait des Écossais autour de Jeanne d'Arc; ils devaient jouer un rôle capital dans une conspiration ourdie à Paris pour livrer la ville au roi, lorsque Jeanne rentrait en scène à la fin de mars 1430. Un Écossais pénètre auprès d'elle dans la prison d'Arras, et lui montre son portrait. Il n'est pas invraisemblable que c'était lui qui l'avait fait.

Leurs excès ne furent pas toujours sans excuses. Ils n'étaient pas régulièrement payés; ils l'étaient mal, ou pas du tout; encore devaient-ils vivre. Ils mouraient pour la France; pareil souvenir doit tempérer les sévérités de l'histoire. En récompense de leurs services, les rois firent

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