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semblant d'apporter quelque secours. Il y eut grand nombre de morts parmi les Anglais; car de cinq cents chevaliers et écuyers, réputés les plus preux et les plus hardis du royaume d'Angleterre, qui étaient là avec d'autres faux Français sous les ordres de Glacidas, environ deux cents. seulement furent retenus en vie et prisonniers. En cette journée moururent Glacidas, les seigneurs de Poning et de Molyns et autres nobles d'Angleterre.

Plusieurs des plus grands capitaines français nous dirent et nous affirmèrent que, lorsque Jeanne eut dit les paroles déjà rapportées, ils montèrent le boulevard à contre-mont, comme s'il y avait eu des degrés; et ils ne savaient voir comment cela se pouvait faire ainsi, sinon par œuvre divine.

Après une tant glorieuse victoire, les cloches furent sonnées par mandement de la Pucelle qui, cette nuit, retourna à Orléans par le pont; et grâces et louanges furent en grande solennité rendues à Dieu, dans toutes les églises d'Orléans.

La Pucelle, comme il a été dit, avait été percée d'un trait à l'assaut. Avant que cela advint, elle avait annoncé qu'elle en serait percée jusqu'au sang; mais elle vint bientôt à convalescence. Aussi, après son arrivée, fut-elle diligemment appareillée, désarmée et très bien pansée. Elle ne voulut qu'un peu de vin dans une tasse, où elle mit la moitié d'eau, et elle alla se coucher et reposer.

Il est à noter qu'avant de partir, elle ouït la messe, se confessa, et reçut en très grande dévotion le précieux corps de Jésus-Christ; aussi se confessait-elle, et LE RECEVAIT-ELLE TRÈS SOUVENT. Elle se confessa à plusieurs gens de grande dévotion, et de vie austère, qui disaient ouvertement que c'était une créature de Dieu.

VI

Cette déconfiture mit les Anglais en très grande détresse, et ils tinrent grand conseil durant la nuit. Le dimanche, huitième jour de mai mil. quatre-cent-vingt-neuf, ils sortirent de leurs bastides avec leurs prisonniers et tout ce qu'ils pouvaient emporter, mettant à l'abandon tous leurs malades, tant les prisonniers que les autres, laissant leurs bombardes, canons, artilleries, poudres, pavois, engins de guerre, tous leurs vivres et biens; et ils s'en allèrent en belle ordonnance, étendards déployés, tout le long du chemin d'Orléans à Meung-sur-Loire. Les chefs de guerre d'Orléans firent ouvrir les portes vers le soleil levant, et ils en sortirent à pied et à cheval, avec de grandes forces, dans l'intention de courir sur

les Anglais; mais alors survint la Pucelle qui les détourna de la poursuite, et voulut qu'on les laissât libres de partir sans les assaillir ce jour-là, à moins qu'ils ne se retournassent contre les Français pour les combattre; mais ils tournèrent le dos en bon ordre (doubtablement); quelques-uns jetèrent leurs harnois dans les champs, et ils se retirèrent, partie à Meung, partie à Jargeau. Par cette levée du siège, les Anglais perdirent beaucoup de leur puissance, et ils se retirèrent tant en Normandie comme autre part. Après ledit désemparement, les Anglais étant encore en vue, la Pucelle fit venir aux champs les prêtres vêtus de leurs ornements, qui chantèrent à grande solennité des hymnes, des répons, et de dévotes oraisons, rendant grâces et louanges à Dieu. Elle fit apporter une table et un marbre, et dire deux messes. Quand elles furent dites, elle demanda : « Or, regardez s'ils ont les visages ou le dos tourné vers nous? » On lui dit qu'ils s'en allaient et avaient le dos tourné. A quoi elle répliqua : « Laissez-les aller; il ne plaît pas à Messire qu'on les combatte aujourd'hui ; vous les aurez une autre fois. Elle était seulement armée d'un Jesseran, à cause de la blessure de la veille.

Cela fait, les habitants d'Orléans se dispersèrent, entrant dans les bastides où ils trouvèrent largement vivres et autres biens; puis sur l'ordre des seigneurs et des capitaines, toutes les bastides furent jetées par terre; et leurs canons et bombardes retirés à Orléans. Les Anglais se cantonnerent en plusieurs places par eux conquises, le comte de Suffolk à Jargeau, et les seigneurs de Scales, Talbot et autres chefs de guerre de leur parti, soit à Meung, soit à Baugency, ou en d'autres places, dont ils étaient les maîtres.

Ils se hâtèrent de mander ces choses au régent, le duc Jean de Bedford, qui en fut très affligé et craignit qu'à la suite de cette déconfiture quelques Parisiens ne voulussent se réduire en l'obéissance du roi, et à cet effet faire émouvoir le peuple contre les Anglais; il partit de Paris en très grande hâte et se retira au bois de Vincennes, où il manda des gens de toutes parts, mais il en vint peu; car les Picards et les autres provinces du royaume, qui tenaient à son parti, se prirent à délaisser les Anglais, à les haïr et à les mépriser.

Ainsi que les Anglais s'en allaient, Étienne de Vignoles, dit La Hire, et messire Ambroise de Loré, accompagnés de cent à six-vingts lances, montèrent à cheval, et les chevauchèrent en les côtoyant, bien trois grosses lieues, pour voir et observer leur maintien; et puis ils s'en retournèrent à Orléans.

Les Anglais tenaient prisonnier en leur bastille un capitaine français nommé Le Bourg de Bar, qui était enferré par les pieds d'une grosse et pesante chaîne, tellement qu'il ne pouvait aller; et il était souvent visité par un Augustin, moine anglais, confesseur de Talbot, le maître dudit

prisonnier. Ledit Augustin avait coutume de lui donner à manger, et Talbot se fiait sur lui de le bien garder prisonnier, espérant d'en avoir grosse finance, ou par échange la délivrance d'autres prisonniers. Donc quand ledit Augustin vit les Anglais se retirer ainsi hâtivement, il demeura avec son prisonnier, résolu de le mener à la suite de Talbot son maître; et de fait il le mena par-dessous le bras, bien un demi-trait d'arc; mais ils n'eussent pu jamais atteindre les Anglais. Le Bourg, voyant les Anglais s'en aller en désarroi, connut bien qu'ils avaient eu du pire; il prit donc l'Augustin à bons poings, et lui dit qu'il n'irait pas plus avant, et que s'il ne le portait pas jusqu'à Orléans, il lui ferait ou lui ferait faire déplaisir. Aussi, quoique il y eût toujours des Français et des Anglais qui se livraient à des escarmouches, l'Augustin porta son prisonnier sur ses épaules jusqu'à Orléans, et par cet Augustin l'on sut plusieurs choses de ce qui se passait parmi les Anglais.

CHAPITRE III

LA CAMPAGNE DE LA LOIRE.

SOMMAIRE: I.

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Sa prière
Les

La Pucelle, de retour auprès du roi, repart avec le duc d'Alençon pour nettoyer la Loire. Prise de Jargeau et suites de la victoire. Comment elle presse le roi de se faire sacrer, et triomphe des oppositions de la cour. aux voix et leur réponse. Détails plus étendus sur la prise de Jargeau. assiégeants, le siège. - D'Alençon préservé de la mort par un avertissement de la Pucelle. Un coup de Jean le Canonnier. Une grosse pierre sur la tête de la Pucelle, signe de la fin de la résistance. Prise de Suffolk. Prisonniers massacrés et pourquoi? Joie du roi, actions de grâces.

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II. L'armée de la Pucelle renforcée. - Talbot quitte Baugency et va au-devant de Fastolf. L'armée française quitte Orléans, s'empare du pont de Meung, et va assiéger Baugency. Arrivée du Connétable en disgrace. - II supplie la Pucelle

de lui obtenir son pardon; elle le promet sur la garantie écrite que les seigneurs donnent de sa fidélité. Capitulation de Baugency.

III. Les Anglais, qui avaient attaqué le pont de Meung, abandonnent la ville à la suite de la reddition de Baugency.

IV. Les Français les poursuivent.

Prédiction par la Pucelle d'une victoire écla

tante. Réalisation. - Janville recouvré. V. - Retour triomphal à Orléans. - Le roi vainement attendu. mont refusée. — Le siège de Marchenoir.

Le roi à Gien.

La grâce de Riche

I

La Pucelle ne pouvant à cette heure, par défaut de vivres et de payement, entretenir l'armée, partit le mardi dixième jour de mai, accom

pagnée de hauts seigneurs. Elle s'en alla par devers le roi, qui la reçut avec de grands honneurs, et tint à Tours plusieurs conseils, après lesquels il manda ses nobles de toutes parts.

Il donna la charge de nettoyer la Loire au duc d'Alençon, qui voulut avoir la Pucelle en sa compagnie. Ils vinrent avec de puissantes forces devant Jargeau, où était le duc de Suffolk avec de forts détachements d'Anglais qui avaient fortifié le pont. Les Français mirent là le siège de toutes parts, le samedi, jour de la Saint-Barnabé, onzième jour du mois de juin, et en peu d'heures la ville fut fort endommagée par les canons et les coulevrines. Le dimanche suivant, douzième jour du même mois, la ville et le pont furent pris d'assaut; Alexandre de La Poule y fut tué avec un grand nombre d'Anglais. Furent faits prisonniers Guillaume de La Poule, comte de Suffolk, et Jean de La Poule son frère. Les pertes des Anglais furent évaluées à environ cinq cents combattants, la plupart tués; car les milices urbaines massacraient entre les mains des gentilshommes tous les prisonniers anglais qu'ils avaient pris à rançon; ce qui nécessita de mener de nuit et par eau à Orléans le comte de Suffolk, son frère, et d'autres grands seigneurs anglais, afin de leur sauver la vie. La ville et l'église furent entièrement pillées; c'est qu'elles étaient pleines de biens. Cette nuit rentrèrent à Orléans le duc d'Alençon, la Pucelle, et les chefs de guerre avec la chevalerie de l'armée, pour y prendre quelque repos; ils y furent reçus à très grande joie 1.

Quand la Pucelle Jeanne fut devant le roi, elle s'agenouilla, et l'embrassa aux genoux, en lui disant : « Gentil Dauphin, venez prendre votre noble sacre à Reims; je suis fort aiguillonnée que vous y alliez; et ne faites nul doute que vous y recevrez votre digne sacre ». Alors le roi ęt quelques-uns de ceux qui étaient devers lui, sachant et ayant vu les merveilles qu'elle avait faites, par la conduite, le sens, la prudence et diligence qu'elle avait montrés au fait des armes, autant que si elle les eût suivies toute sa vie, considérant aussi sa belle et honnête façon de vivre, quoique décidés pour la plupart à aller en Normandie, changèrent d'avis.

Le roi lui-même, et aussi trois ou quatre des principaux de son entourage, se demandaient s'il ne déplairait pas à Jeanne qu'on l'interrogeât sur ce que ses voix lui disaient. Elle le comprit et dit : « En nom Dieu, je sais bien ce que vous pensez; vous voulez que je vous parle de la voix que j'ai entendue touchant votre sacre; je vous le dirai. Je me suis mise en

1. Ici Cousinot de Montreuil ne s'est pas donné la peine de fondre son récit avec celui de son père. Il reprend au retour de Jeanne auprès du roi après la délivrance d'Orléans, et expose, avec des développements d'ailleurs intéressants, ce que son père avait dit succinctement. On remarque, quoique d'une manière moins saillante, ce même défaut dans le récit de l'assaut des Tournelles, et en d'autres endroits encore.

mon oraison en ma manière accoutumée. Je me complaignais parce qu'on ne voulait pas me croire de ce que je disais et alors la voix me dit : « Fille 1, « va, va, je serai à ton aide; va! » Et quand cette voix me vient, je suis si réjouie que merveille. » En disant ces paroles, elle levait les yeux au ciel, et montrait des signes d'une grande exultation.

Et alors on la laissa avec le duc d'Alençon. Et pour déclarer plus pleinement la prise de Jargeau et comment eut lieu l'assaut, il faut dire que lorsque le duc d'Alençon eut délivré ses otages, en versant la rançon consentie pour sa délivrance, et qu'on vit et que l'on constata la conduite de la Pucelle, le roi, comme il est dit, donna la charge de tout conduire au duc d'Alençon avec la Pucelle, et il manda des gens le plus diligemment qu'il put. Les gens accoururent de toutes parts, croyant que ladite Jeanne venait de par Dieu; et beaucoup plus pour cette cause qu'en vue d'avoir soldes ou profits du roi.

Là vinrent le bâtard d'Orléans; le sire de Boussac, maréchal de France, le sire de Graville, maître des arbalétriers; le sire de Culan, amiral de France; Gaultier de Bursac et autres capitaines, qui allèrent tous avec lesdits ducs et la Pucelle devant la ville de Jargeau, où était, comme il est dit, le comte de Suffolk. Pendant qu'on asseyait le siège, il y eut par divers jours plusieurs âpres escarmouches; les assiégés étaient puissants; il y avait comme de six à sept cents Anglais, tous gens vaillants.

Cependant on jetait de la ville, où l'on était bien muni, force décharges de canon, et de veuglaires. Ce que voyant la Pucelle, elle vint au duc d'Alençon, et lui dit : « Beau duc, ôtez-vous du lieu où vous êtes, de quelque manière que ce soil; car vous y seriez en danger d'être atteint par les canons ». Le duc crut ce conseil, et il n'était pas reculé de deux toises, qu'un veuglaire fut déchargé de la ville, et enleva net la tête à un gentilhomme d'Anjou, près dudit seigneur, et au propre lieu où il était quand la Pucelle lui parla.

Les Français furent environ huit jours devant la ville de Jargeau et la battirent fort de canons, et l'assaillirent fort âprement. Ceux du dedans se défendaient aussi vaillamment. Entre autres, il y avait un Anglais robuste, armé de toutes pièces, ayant sur la tête un fort bassinet, qui faisait merveilles de jeter de grosses pierres et d'abattre gens et échelles; et il était au lieu plus aisé à assaillir. Le duc d'Alençon, qui s'en aperçut, alla à un nommé maître Jean le Canonnier, et lui montra ledit Anglais. Ledit Canonnier ajusta sa coulevrine à l'endroit où il se trouvait et où

1 D'après la déposition de Dunois et l'aveu de Jeanne elle-même, les voix l'appelaient Fille de Dieu.

2. Deux jours seulement.

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