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Ad. Franck. — La Kabbale ou la philosophie religieuse des Hébreux. Nouvelle édition, 1 vol. in-8°. 314 pages. Paris, Hachette. 1889.

M. Franck vient de rééditer l'ouvrage qu'il a publié, en 1843, sur la Kabbale et qui depuis longtemps était épuisé. Depuis 1843, les travaux de Graetz, de Hamburger, de Jellinek, de Munk, etc., ont apporté de nouveaux éléments à la critique historique. Mais qu'on admette avec M. Franck que Simon ben Jochaï a enseigné la doctrine religieuse et métaphysique du Zohar, ou qu'on incline à croire avec les récents interprètes qu'il faut placer le Livre de la Création au Vie ou au viie siècle et le Zohar au xine, il n'en reste pas moins établi que la Kabbale nouvelle se rattache au mouvement mystique et gnostique qui se produisit chez les Juifs au temps de Saturnin et de Basilide.

L'écrivain le plus récent qui se soit occupé de la Kabbale, M. Loeb, auteur d'un remarquable article pour la Grande Encyclopédie dont M. Hartwig Derenbourg a bien voulu nous communiquer les épreuves, s'est borné, pour la faire connaître, à l'analyse du Livre de la Création et du Zohar. Sans doute il y aurait grand intérêt à déterminer à quelle époque exacte il convient de rapporter chacun des éléments principaux dont se compose la littérature kabbalistique, mais comme le dit M. Loeb, la question n'a pas été suffisamment étudiée pour qu'on puisse la résoudre. Ce qu'on peut utilement faire, et ce qui serait peutêtre un excellent moyen de travailler à la solution de la question précédente, — c'est de comparer les doctrines kabbalistiques avec les doctrines théologiques ou philosophiques qui se sont produites depuis le 11° siècle avant J.-C. jusqu'au VIe siècle de l'ère chrétienne. A ce point de vue on étudiera avec profit le livre de M. Franck, dont la seconde partie est une analyse du Livre de la Création et du Zohar, dont la troisième est consacrée aux rapports de la Kabbale avec la philosophie de Platon, avec l'école d'Alexandrie, la doctrine de Philon, avec le christianisme, avec la religion des Chaldéens et des Perses.

Tous ceux qui se sont occupés de l'histoire générale ou de l'histoire des idées à l'époque qui commence avant Philon pour se prolonger jusqu'au temps de Justinien et au-delà, ont été frappés du caractère syncrétiste qu'elle présente : la philosophie et la théologie agitent à peu près les mêmes questions; les doctrines religieuses des Chrétiens, des Juifs, des Orientaux et plus tard des Arabes se pénètrent et se mêlent en se combattant. Déjà Aristobule unit la philosophie grecque au judaïsme; Philon explique allégoriquement l'ancien Testament en s'inspirant du stoïcisme et du platonisme; il donne, comme venant de Moïse lui-même, la doctrine des idées et du λóyos; Apollonius de Tyane, Modératus de Gadès renouvellent le pythagorisme qui devient un adversaire et un rival du christianisme; Maxime de Tyr, Apulée de Madaure mêlent la philosophie et la démonologie, Celse combat le christianisme avec des doctrines platonico-stoïciennes; Numénius d'Apamée unit le platonisme et le pythagorisme

et considère Platon comme un Moïse attique; Plotin combat les Gnostiques; son disciple Amélius Gentilianus commente l'Évangile de saint Jean et l'interprète dans un sens néoplatonicien; Porphyre combat Chrétiens et Gnostiques; saint Basile, Origène, saint Grégoire de Nysse, saint Cyrille, le concile de Nicée expriment, quelquefois dans des termes identiques, des idées néoplatoniciennes; Victorinus traduit les néo-platoniciens et se sert de Plotin pour attaquer Arius; saint Augustin se convertit au christianisme après avoir lu la traduction de Victorinus et ne comprend l'Évangile de saint Jean qu'après avoir étudié les néoplatoniciens.

Le livre de M. Franck nous amène à faire des rapprochements analogues. La Kabbale, dans le langage aussi bien que dans la pensée, nous offre une intime ressemblance avec les sectes du gnosticisme, surtout avec celles qui ont pris naissance en Syrie (p. 80-255). Elle offre des analogies avec le platonisme et le pythagorisme c'est avec les vingt-deux lettres de l'alphabet hébreu, en leur donnant une forme et une figure, en les mêlant et les combinant de diverses manières, que Dieu a fait l'âme de tout ce qui est formé et de tout ce qui le sera (p. 113). Ces vingt-deux lettres constituent avec les dix premiers nombres les trente-deux voies merveilleuses de la Sagesse. Comme Aristobule et Philon, comme Origène et ses successeurs, comme Alcuin et Raban Maur, les kabbalistes voient dans les textes qu'ils interprètent un sens mystérieux ou intellectuel qu'ils préfèrent aux faits historiques et aux préceptes positifs (p. 122). Comme Proclus et les derniers néoplatoniciens, ils multiplient les triades (p. 114); comme les Pythagoriciens is accordent une importance capitale à certains nombres (3, 7, 12). Les comparaisons tirées de la lumière y sont presque aussi fréquentes que chez Plotin et les auteurs chrétiens. Comme saint Augustin et les nombreux auteurs, philosophes ou théologiens, qui l'ont suivi, les kabbalistes voient dans l'âme humaine une image de l'existence divine; l'esprit vient de la Sagesse suprême, l'âme, de la Beauté, le principe animal, de la Royauté (p. 175).

Est-ce à dire qu'il n'y ait que des ressemblances à signaler entre la Kabbale et les différentes doctrines dont nous l'avons rapprochée? M. Franck a bien montré qu'on ne saurait la confondre avec aucune d'elles; mais on ne saurait nier qu'il soit nécessaire d'étudier sous toutes leurs formes les manifestations diverses de la pensée philosophique ou religieuse à cette époque pour comprendre et suivre dans son développement l'une quelconque d'entre elles.

Et ce n'est pas seulement pour l'intelligence du passé que peut être utile la lecture du livre de M. Franck. Dans un curieux Avant-propos, écrit spécialement pour la seconde édition, M. Franck nous apprend qu'un grand nombre d'esprits se tournent vers l'Orient, berceau des religions, patrie originelle des idées mystiques et qu'ils n'oublient pas la kabbale parmi les doctrines qu'ils s'efforcent de remettre en honneur. Les uns, empruntant au bouddhisme le fond de leurs idées, considèrent la kabbale comme la religion dont émanent tous les

cultes (Société théosophique); d'autres concilient le bouddhisme et le christianisme par des emprunts à la Kabbale (l'Aurore); d'autres voués à la théosophie, aux sciences occultes, à l'hypnotisme, à la franc-maçonnerie, à l'alchimie, à l'astrologie, au spiritisme (l'Initiation), invoquent fréquemment l'autorité de la «< sainte Kabbale ». On peut s'en plaindre ou s'en féliciter la religion ne semble pas encore de sitôt devoir être remplacée par la philosophie ou même par la science. F. PICAVET.

Franz Wendorff. Erklaerung aller Mythologie aus der Annahme der Erringung des Sprechvermoegens.-Berlin, Georg Nauck. 1889. 1 volume de 200 pages petit in-4.

Le système de l'interprétation philologique des mythes reparait dans le livre de M. Wendorff sous une forme nouvelle qui ne nous semble pas appelée à lui rendre la popularité qu'il a si justement perdue.

L'auteur, avec une patience digne d'une meilleure cause, nous montre comment de l'idée de « briller », on a pu passer à celles de «< parler, chanter, rire, se mouvoir, etc., et il nous présente à l'appui de longues listes de racines indoeuropéennes qui, partant toutes de ce sens vague de «< briller », ont fourni des mots signifiant « soleil, or, chant, parole », etc. Le mythe, pour lui, consiste en ce que tel ou tel nom propre a conservé des traces des différents sens qu'a possédés la racine au cours de son évolution. Ainsi, il y aurait une racine ghal, au sens premier de << briller », qui aurait fourni des mots signifiant «< jaune » (xλwpós), « or » (xλouvóg), « chanteur » (dans l'ancien haut-allemand nahti-gala « rossignol ») et c'est parce qu'Achille porte un nom dérivé de cette racine ('A-xıλλ-eús !) qu'il crie si fort, court si vite, joue de la lyre, a les cheveux blonds, etc.

La philologie qui sert de base à cette mythologie n'est pas toujours irréprochable. L'auteur admet, sans jamais les discuter, tous les sens donnés aux mots védiques par le Dictionnaire de Saint-Pétersbourg ou par Grassmann; d'autre part, il paraît ignorer certains travaux déjà classiques comme la Griechische Grammatik, de Gustav Meyer.

Il faut reconnaître toutefois que M. Wendorff fait preuve d'une érudition qui, si elle n'est pas toujours sûre et bien digérée, est néanmoins fort vaste. Nous espérons un jour la voir mieux employée et c'est pour cela que nous n'hésitons pas à le juger sévèrement. C'est un patient accumulateur de fiches qui pourrait faire beaucoup mieux.

E. MONSEUR.

E. G. Sorel.

Contribution à l'étude profane de la Bible.

1 vol. in-8. Paris, Ghio, 1889.

C'est bien une étude profane que l'auteur vient de soumettre au public, je veux dire profane au point de vue de la critique biblique. Non pas que M. Sorel soit ignorant des travaux de Reuss, Renan, etc., qu'il tient, avec raison, en haute estime; mais combien sa science de l'ancien et du nouveau Testament est incomplète et insuffisante! Un rapide coup d'œil sur les trois parties du livre va le montrer.

La première partie est consacrée à des recherches sur l'histoire du mosaïsme; par ces mots l'auteur entend l'histoire d'Israël et de la religion israélite. Nous y apprenons qu'au Sinaï habitait un clan israélite joséphite, occupé aux mines, dans lequel Moïse trouva un champ favorable à la propagation de ses idées, Moïse étant un Égyptien fugitif lépreux. Les keroub du temple se composaient d'un madrier sur lequel était sculpté le globe ailé des Égyptiens et des Assyriens. La circoncision se rattache à la doctrine de la terre regardée comme la mère de tous les vivants; en faisant boire à la terre le sang du sacrifice, sa puissance productrice ne s'affaiblit pas. La fille de Jephté fut immolée parce qu'elle était une Kedescha, sortant du temple d'Astarte. La pythonisse d'Endor n'était point une sorcière, et le récit de l'évocation de l'ombre de Samuel se réduit à une vision qu'elle raconte. Les veaux d'or de Jeroboam ne correspondent à aucun fait réel, etc.

La seconde partie a pour titre : Études littéraires sur l'Ancien Testament. L'auteur y parle successivement des livres de Ruth, destiné à justifier la famille de David d'avoir dans les veines le sang d'une Moabite, de Jonas, dont le séjour dans le ventre du poisson est le symbole de la captivité, ou plutôt de l'interruption du culte à Jérusalem; d'Esther, dont l'original est un texte persan; enfin du Cantique des cantiques. Voici, d'après l'auteur, le sujet et le plan du Cantique :

Strophe: Le poète chante la beauté de la campagne, symbolisée par une nymphe.

Métastrophe: La chanteuse célèbre les champs, figurés par un jeune homme. Epistrophe Les auditeurs s'adressent à l'un des chanteurs.

Antistrophe Versets dans lesquels la campagne s'adresse au poète : il y a inversion de personnages; elle exprime ce que celui-ci devrait dire lui-même. La dernière partie concerne Le problème de Jésus, c'est-à-dire l'histoire du Christ et celle des premiers développements de l'Église. Cette étude est faite d'après le quatrième évangile, considéré comme document historique de première main, autrement dit de l'apôtre Jean. Ceux qui n'acceptent pas le témoignage du quatrième évangile, selon notre auteur, en nient l'authenticité parce qu'ils ne veulent pas admettre que Jésus ait révélé, d'une manière aussi complète, le

dogme chrétien. Les synoptiques, traités d'Apocalypse, sont l'œuvre d'un Grec, très hostile aux judéo-chrétiens et les confondant avec les pharisiens dans un même anathème; ils formaient un ouvrage dépourvu de valeur historique, etc.

Ces citations justifient pleinement notre appréciation. Ce n'est point à dire que le travail de M. Sorel soit sans mérite. Nous lui savons, par exemple, beaucoup de gré d'avoir écrit cette phrase : « Il n'existe aucune raison pour rejeter le système de M. Reuss sur la réforme de Josias et l'invention du Deuteronome »; c'est là le jugement d'un vrai critique. Mais pourquoi M. Sorel anathématise-t-il la science des religions, dont « les adeptes, dit-il, travaillent, presque tous, à défigurer le principe fondamental de toute religion? » Et de quoi s'occupe M. Sorel lui-même, si ce n'est de la science des religions juive et chrétienne? Et comment, après les citations que nous avons faites de sa critique biblique, peut-il se croire orthodoxe? « Mes conclusions, dit-il (p. 2), sont bien souvent voisines de l'orthodoxie »; «< il n'y a pas de religion sans miracle, »>< dit-il, plus loin (p. 279), et pour lui «<le miracle est un fait très extraordinaire et très rare, qui emporte la conviction et sert de démonstration à la gloire de Dieu. >>

Il y a une chose excellente dans l'écrit de M. Sorel, et je me plais à la mettre en évidence en terminant. Cette excellente chose est dans sa préface. M. Sorel y demande la vulgarisation de la Bible; il demande à l'Université, qui enseigne le peuple, à la bourgeoisie qui le gouverne, et à tous, d'étudier la Bible. Cette pensée, présentée par M. Sorel à un point de vue religieux et moral, est celle que nous avons défendue nous-mêmes ici et ailleurs, en préconisant la vulgarisation de la science des religions; nous la mettons en pratique, dans notre enseignement, sachant par expérience qu'il n'y a pas de meilleure méthode pour l'émancipation et la libéralisation des intelligences. Nous sommes heureux de la trouver exprimée avec conviction par un homme qui estime que ce n'est point perdre son temps que d'en consacrer une partie à l'étude de la Bible, et nous l'en félicitons sincèrement.

ÉDOUARD MONTET.

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