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la divinité antique autrefois apportée aux hommes par Mâtariçvan. Prenons maintenant l'hymne iv, 7 : nous y trouvons la même idée, la même allusion à l'histoire mythologique du feu. Or, au vers 3, il est expressément dit qu'Agni se trouve dans. chaque maison (dame-dame) et au vers 4, qu'il est réparti dans toutes les communes (vice-viçe). Ici l'opposition (dame-dame et viçe-viçe) est assez claire : elle nous autorise à en reconnaître une toute semblable au vers 1, 60, 4.

1, 36, 5. Nous y trouvons le terme de grhapati, qui se rapporte au feu domestique, mais nous y trouvons aussi un autre terme, dûto viçâm (messager des communes) qui semble se rapporter au feu vaiçvânara, celui de la fédération des communes. Cette fois, il n'y a point d'opposition: il y a toute autre chose. Nous lisons, en effet, dans le premier vers de cet hymne, la phrase suivante pra vo yahvam purùņam viçâm devayatînâm agnim suktebhir vacobhir imahe yam sim id anya ilate, soit «<< nous nous adressons avec des prières bien dites à votre jeune (fils), d'un grand nombre de communes qui lui sont dévouées à lui, que les autres adorent aussi ». Dans les hymnes du R.-V. nous trouvons plusieurs fois des expressions telles que « votre Agni », <«< notre Agni ». Il y avait plusieurs Agnis de la même espèce : il y avait autant de feux domestiques que de familles, autant de feux communaux que de communes.

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Le feu vaiçvânara n'était pas davantage unique : il y avait autant de vaiçvânaras que de fédérations de communes. Il est possible qu'au moment de constituer une fédération de ce genre, on proclamât un des feux domestiques comme l'objet du culte fédéral. Imaginons un cas pareil : l'Agni d'une certaine famille célèbre est devenu vaiçvânara pour une fédération récemment organisée. Les prêtres, qui n'étaient pas encore constitués en caste, mais qui, néanmoins, se groupaient déjà en une sorte de classe, arrivent auprès de ce feu pour exécuter tel ou tel rite solennel. En s'adressant aux membres de la famille à laquelle appartient le feu en question, les prêtres chantent : « Nous sommes venus pour adorer votre feu, qui désormais représente plusieurs communes, auquel s'adressent les prières des autres

aussi (c'est-à-dire ceux qui n'appartiennent pas à la famille). En s'adressant au feu lui-même, les prêtres chantent : « mandro hotâ gṛhapatir agne dûto viçâm asi...» O Agni, prêtre délicieux, maître de (cette) maison, te voilà, messager des communes!... » (vers 5), c'est-à-dire, tout en restant chef de cette famille, tu es en même temps l'élu des communes, tu es devenu Agni vaiçvânara pour cette fédération.

Notre hymne 1, 36 est adressé au feu sacré de la famille Kaṇva, lequel fut proclamé vaiçvânara pour une fédération de communes. Au même feu des Kanva se rapportent les hymnes 1, 44 et 1, 45. Dans tous les trois nous trouvons des fragments tirés, pour ainsi dire, de la chronique légendaire des Kaṇva. Ainsi, au vers 1, 36, 8, il est dit que le taureau brillant Agni s'installa chez les Kanva après que les hommes eurent triomphé de l'ennemi (ou bien de Vṛtra, démon des nuées) et qu'ils eurent conquis les deux mondes (ciel et terre), les eaux et l'espace. Il y avait beaucoup de traditions se rapportant à l'institution et à la propagation du culte d'Agni, et ces légendes se rattachaient aux souvenirs de la lutte entre les Aryens, adorateurs du feu, et les tribus indigènes qui, ou bien n'adoraient pas le feu, ou bien n'adoraient pas les feux des Aryens. La légende visée dans notre hymne est de cette nature: quelques communes aryennes, réunies sous le patronage des Kaṇva, chassent les indigènes, s'emparent << des eaux et de l'espace » et, en même temps, elles acquièrent «< les deux mondes », c'est-à-dire le ciel et la terre, par l'inauguration d'un culte commun. Car ce n'est que par l'intermédiaire d'Agni que les hommes pouvaient communiquer avec le ciel et avec les dieux; c'était toujours Agni qui procurait aux hommes la sécurité et les ressources nécessaires à la vie ici-bas. Aussi, lorsque les Kanva organisent une fédération pour combattre l'ennemi, leurs croyances védiques impliquent naturellement l'institution d'un culte fédéral, et ce culte fédéral n'est pas concevable sans un Agni Vaiçvânara. Le «< taureau brillant » des Kaṇva, dont parle le vers 1, 36, 8, est justement un Agni Vaiçvânara; en effet, taureau et surtout taureau brillant, lumineux, dans le style du Védą, signifie souvent « prince »>,

« roi », « chef ». Au vers x du même hymne, il est dit que ce feu avait été donné aux hommes (manave) par les dieux en qualité de prêtre le plus sacré de tous, et qu'il fut dressé par Kaņva Medhyatithi, Vrshan et Upartuta évidemment chefs de la famille Kanva. Au vers xvII, nous lisons que cet Agni a donné le bonheur à Kanva et qu'il a aidé Medhyatithi et Upartuta dans la conquête des biens. Ce sont là, évidemment, autant de fragments de l'épopée héroïque des Kaṇva.

<< les

L'hymne 1, 44 représente une jolie prière adressée au même feu des Kanva. Sa valeur de Vaiçvânara est indiquée par le vers 7 hotaram viçvavedasam sam hi trâ viça indhate communes t'allument comme prêtre qui sait tout (ou bien qui possède tout) »>, et par le vers 9 patir hy adhvarâṇâm agne dûto viçâm asi <«< car, ô Agni, tu es maître des sacrifices, messager des communes ». Le vers 8 nous apprend que cet Agni (Vaiçvânara) appartient à la famille des Kanva : « les Kaṇva, qui préparent la liqueur de Soma, t'allument ». Au vers 6 est mentionné un certain Praskaṇva, évidemment contemporain de notre hymne, puisqu'il est demandé à Agni de prolonger sa vie.

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L'hymne 1, 45 est de la même catégorie. Au vers 3, l'auteur prie qu'Agni exauce la voix de Praskaņva, le même, sans doute, que dans l'hymne précédent, comme autrefois il avait exaucé les prières de Priyamedha, d'Atri, de Virûpa et d'Angiras. Au vers 4, l'auteur mentionne comme exemple ce fait, que la famille de Priyamedha implora une fois le secours de cet Agni. Au vers 5 nous lisons ... « exauce ces prières, par lesquelles les fils de Kanva t'appellent au secours » ! La valeur de Vaiçvânara, qui appartient à ce feu des Kanva, est indiquée au vers 6: « Ces hommes (ou bien les clans) t'invoquent dans les communes, ô très glorieux... >>>

Selon l'Anukramani, les hymnes 1, 12-1, 23, dédiés aux différentes divinités appartiennent aussi à la famille des Kaņva. Dans le texte, le nom des Kanva est mentionné au vers 1, 14, 2. Nous n'y avons rien trouvé qui fasse supposer que l'Agni de ces hymnes fût un vaiçvânara, c'est-à-dire qu'il eût été reconnu comme chef d'une fédération de communes. Seul le terme de vic

pati, au vers 1, 12, 2, semble désigner l'Agni dont il s'agit comme chef d'une certaine commune. Tous ces hymmes, 1, 12-1, 23, attribués à Methâtithi Kaṇva, doivent être envisagés comme chronologiquement antérieurs aux hymnes 1, 44, 1, 45 (Praskaṇva Kaṇva) et 1, 36 (Kanva Ghaura) et remontent à une époque où le feu sacré des Kanva n'avait pas encore obtenu la valeur de vaiçvânara.

De la famille des Kanvas proviennent plusieurs hymnes du vi Mandala, tels que les hymnes vшII, 11 (Vatsa Kaṇva), viii, 19 (Sobhari K.), vш, 49 (Nâbhâka K.), vin, 40 (le même; Agni avec Indra), viu, 103 (Sobhari K.) adressés à Agni. Dans l'hymne vIII, 11 nous trouvons une indication relative à la dignité de vaiçvânara, qui appartient à cet Agni : « Tu es souverain de toutes les communes » (v. 8). Cette dignité est précisée dans l'hymne vi, 19, au vers 33: « ô Agni, toi à qui les autres feux se tiennent comme des branches! J'acquiers, ainsi que des hymnes, la majesté humaine, en multipliant ton pouvoir » (yasya te agne anye agnaya uprakshito vaya iva | vipo na dyumna ni yuve janânâm tava kshatrâni vardhayan), c'est-à-dire Kanva augmente le pouvoir de son Agni (qui est en même temps celui d'une fédération) parcequ'il rassemble tous les hymnes, adressés par chaque commune à son feu particulier, pour les présenter à son Agni à lui, qui est ainsi devenu représentant des autres feux, des autres communes. C'est ainsi qu'il rassemble la majesté humaine pour en faire un attribut de son Agni: il la lui présente comme il lui présente les hymnes. Au vers 10 nous trouvons une pensée analogue: «< celui chez lequel tu t'élèves au-dessus du sacrifice, celui-là prospère, régnant sur les hommes (sur les héros)... »

Dans l'hymne vin, 39 c'est le vers 5 qui attire notre attention: sa hota çaçvatînâm - certainement viçâm -«ce prêtre de toutes les communes ». Faut-il entendre par cette expression un certain groupe des communes, ou bien faut-il en conclure, que le culte de cet Agni des Kanva se serait propagé parmi tous les Aryens du pays des sept fleuves? Je pose cette question en vue du vers 8 du même hymne, où nous lisons: yo agniḥ saptamânushaḥ çrito

visveshu sindhushu | tam aganma... « nous sommes venus auprès de cet Agni, qui appartient aux sept tribus, qui se trouve sur tous les fleuves... » Je pense qu'en tenant compte de ce passage il faut conclure de la phrase du vers 5 « prêtre de toutes les communes » que le culte de l'Agni des Kaņva, à une certaine époque, embrassa tout le pays des Aryens. Le terme de saptamânusha « appartenant aux sept tribus » (par malheur ά. λey.) est un synonyme de vaiçvânara et de viçvacarshani dans leur acception à la fois plus précise et plus universelle ou, pour ainsi dire, pantaryenne. Ajoutons aussi que dans l'hymne viii, 59 nous n'avons pas trouvé d'indications concernant la valeur domestique du feu sacré des Kaṇva. Il a l'air de l'avoir perdue après avoir acquis celle du vaiçvânara des Aryens réunis.

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Nabhaka K.)

L'hymne vi, 40 (attribué au même auteur est adressé à Agni et à Indra, et les deux divinités y sont représentées avec des traits communs, ce qui revient à dire que l'Agni de cet hymne est considéré comme prince suprême des Aryens, comme vaiçvânara par excellence. Nous verrons plus bas que c'est justement l'Agni vaiçvânara, et non l'un des autres Agnis, qui fut mis en rapport avec Indra.

Dans l'hymne VIII, 103 remarquons la phrase du vers 3: yasmâd rejanta kṛshṭayas... « devant qui tremblaient les tribus...», comme un trait qui nous indique la qualité de vaiçvânara appartenant au feu des Kaṇva.

Si nous résumons les conclusions auxquelles nous avons abouti, l'histoire de ce feu se présente à nous comme suit. D'abord ce ne fut qu'une divinité de famille. Mais au fur et à mesure que croissaient l'influence et le pouvoir de cette famille, d'abord dans sa commune, puis hors des limites de cette commune, à mesure aussi l'autorité religieuse du feu des Kanva s'accrut; de gṛhapati, il devient vicpati et enfin vaiçvânara. Il se peut bien même, que son culte ait fini par se propager généralement, ou du moins, parmi la plupart des tribus aryennes qui habitaient le pays des sept fleuves (saptamânushaḥ crito viçvesḥu sindhushu). En même temps une grande révolution devait s'accomplir dans les conditions et dans l'état social des

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