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REVUE

DE

L'HISTOIRE DES RELIGIONS

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE

M. JEAN RÉVILLE

AVEC LE CONCOURS DE

MM. A. BARTH, membre de la Société Asiatique; A. BOUCHÉ-LECLERCQ, professeur à la Faculté des lettres de Paris; P. DECHARME, professeur à la Faculté des lettres de Paris; J.-A. HILD, professeur à la Faculté des lettres de Poitiers; G. LAFAYE, professeur à la Faculté des lettres de Lyon; G. MASPERO, de l'Institut, professeur au Collège de France; E. RENAN, de l'Institut, professeur au Collège de France; A. RÉVILLE, professeur au Collège de France; C.-P. TIELE, professeur à l'Université de Leyde, etc.

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Morisques et Chrétiens de 1492 à 1570, par M. LUCIEN DOLLFUS.

Bulletin archéologique de la Religion Grecque, août 1888 à novembre 1889, par M. PIERRE PARIS.

Une édition critique du Rig-Veda par M. Oldenberg, par M. PAUL SABBATHIER.

M. Bühler et la tradition Jaïna, par M. A, BARTH.

REVUE DES LIVRES: 1° P. D. CHANTEPIE DE LA SAUSSAYE. Lehrbuch der Religionsgeschichte, II (M. JEAN RÉVILLE). 20 J. M. BALJON. Brief van Paulus aan de Galatiers (M. X.). 3o J. MARQUARDT. Das Sacralwesen, 3e éd. (M. ANDRÉ BERTHELOT). 4° V. COURDAVEAUX. Comment se sont formés les dogmes (M. ALBERT REVILLE). 5° J. BARTHÉLEMY-SAINT-HILAIRE. La philosophie dans ses rapports avec les sciences et la religion (M. N.).

Chronique (France, Angleterre, Allemagne, Italie, Belgique, Hollande, Autriche, Grèce, États-Unis, Inde).

Depouillement des Périodiques.
Bibliographie.

La REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS parait tous les deux mois, par fascicules in-8 raisin, de 8 à 10 feuilles d'impression.

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Tous les ouvrages envoyés à la Revue y seront annoncés, et, s'il y a lieu, analysés.

La Revue est purement historique; elle exclut tout travail présentant un caractère polémique ou dogmatique.

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MORISQUES ET CHRÉTIENS

DE 1492 A 1570

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Le 2 janvier de l'an 1492, Abou-Abdallah' sortit de Grenade pour n'y plus rentrer, et, passant entre les massives murailles des hommes d'armes espagnols, le vaincu de l'Islam s'avança vers les Rois catholiques qui l'attendaient au bord du Genil. Le fils d'Aboul-Hassan, après avoir remis les clefs de la ville à don Ferdinand, voulut mettre pied à terre pour embrasser son étrier. L'Aragonais l'arrêta courtoisement et lui tendit sa main pour qu'il la baisât. La cérémonie accomplie, les vainqueurs entrèrent dans la cité, montèrent à l'Alhambra, et la bannière de Castille et d'Aragon flotta pour la première fois sur les tours de Comares, saluée par deux rois d'armes qui s'écriaient : «< Vive Don Fernando, pour lui et pour la reine Doña Isabella, son épouse! » — «< La catholique et sérénissime reine, quand elle vit l'enseigne de la Croix flamboyer au sommet des tours et l'étendard royal auprès d'elle3, » s'agenouilla dévotement et rendit grâce à Dieu de sa victoire. Les chanoines de la chapelle entonnèrent le Te Deum. « Si grande fut l'allégresse que chacun pleurait'. » L'union de l'Aragon et de la Castille avait enfin terminé l'œuvre de la Reconquista. Abou-Abdallah, après avoir exhalé son poétique soupir, s'embarquait pour cette Afrique dont jadis étaient venus ses ancêtres.

Telle fut la revanche de Jerez. Huit cents ans s'étaient

1) Le Rey Chico des romances.

2) Ferdinand V, roi d'Aragon, et Isabelle Ire, reine de Castille.

3) Perez de Hyta. Guerras civiles de Granada, I parte.

4) Perez de Hyta. Guerras civiles de Granada, I parte.

écoulés depuis le jour où Tarik ben Zéyad débarqua sur les côtes d'Andalousie, entrainant après lui les Arabes, tout chauds encore de leur fanatisme premier, brûlants de la parole du Prophète. Leur cavalerie avait passé sur l'Espagne, culbutant les chrétiens, conquérant les villes au galop de leurs chevaux agiles. Les restes des Visigoths avaient reculé devant l'invasion musulmane jusqu'à ce que, sentant l'Océan derrière eux, ils s'arrêtèrent avec Pelayo et ne lâchèrent plus pied.

Retranchés derrière un rempart de rochers, embusqués dans les défilés des Monts Cantabriques, les vaincus commencèrent cette grande lutte à la fois politique et religieuse. qui constitue tout le moyen âge espagnol. Excepté le petit royaume de Galice et des Asturies, le pays était submergé par l'invasion.

Yacia toda España eneste servidumne'.

Malgré le débordement des Almoravides et des Almohades, l'Espagnol avait fait reculer lentement l'envahisseur arabe et reconquis pied à pied son sol. Des royaumes chrétiens s'élevèrent sur les ruines des États musulmans; les Asturies, la Galice, Léon, le comté de Castille, les Navarres, l'Aragon, Barcelone avec ses comtes franks. Partout un sol montagneux, hérissé de châteaux-forts, de villes murées, morcelé à l'excès. D'innombrables principautés, des royaumes toujours en guerre avec les infidèles, ou se déchirant entre eux; masse incohérente, chaotique, mélange de despotisme et de libertés, de fueros et d'anarchie, quelque chose de touffu, de trouble comme le Saint-Empire allemand, moins l'Empereur. Les hommes et les religions se heur

1) Gonzalo de Berceo. Vida de San Millan.

2) Cette invasion de l'Islam du désert, ne fut pas moins redoutable aux musulmans qu'aux chrétiens, et l'on vit, au siège de Valence, des cavaliers arabes combattre les Almoravides auprès des hommes d'armes du Campeador. Des walis infidèles s'allièrent contre eux aux rois de Castille et d'Aragon. Voyez Antonio Conde. Historia de la Dominacion de los Arabes, passim.

3) Castillos, Castillas.

taient le Cid, un condottiere, Al-Manzour, un boucher; des tueries, des batailles géantes, Simancas, Zalaca, Uclés, Las Navas, le choc démesuré de Jésus et d'Allah, la tourmente de deux fanatismes cherchant à s'exterminer comme des fauves enfermés en une même cage. Tolède, Cordoue, Saragosse, Séville', Valence2, Murcie, les grandes villes, capitales des États arabes, nés du démembrement du khalyfat, ouvrirent successivement leurs portes aux batailleurs de Castille et d'Aragon qui refoulaient devant eux les populations musulmanes. Préservé un instant par les guerres civiles et féodales, cette grandiose agonie du Moyen-Age, le royaume de Grenade, entamé déjà par Pedro le Justicier et par Juan II, vit tomber une à une ses places fortes devant les armes de Castille et d'Aragon réunies pour la première fois contre lui. C'est ainsi que dix ans après la prise d'Alhama, Ferdinand et Isabelle entraient victorieusement dans sa capitale reconquise après un siège de huit mois. Les rois chrétiens avaient mis huit siècles à reprendre la patrie.

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Qu'allaient faire les vainqueurs d'une population nombreuse, intelligente, cultivée, industrieuse? Qu'allaient devenir ces Grenadins, infortunés et derniers débris des dominateurs de la terre ibérique, qui édifièrent l'Alhambra « à merveille ouvragé », comme pour expier les dévastations d'Al-Manzour qui détruisit autrefois Léon et SaintJacques de Galice? Ce sol usurpé où leurs ancêtres, à l'époque de la conquête, avaient tout balayé devant eux dans l'àpre ferveur de l'Islam, les fils des victorieux l'avaient couvert de mosquées au beau temps du khalyfat; l'agriculture, le

1) Lors de la prise de Séville, par Ferdinand III le Saint, en 1248, quatre cent mille musulmans, sans compter les juifs, abandonnèrent la ville par crainte de la persécution, et passèrent en Afrique ou se mêlèrent aux populations andalouses.

2) Jaime Ier, roi d'Aragon, expulsa la plus grande partie des Mores de Valence, après la conquête. La victoire des chrétiens dépeuplait l'Espagne. Voyez Antonio Conde, Historia de la Dominacion de los Arabes (traduction castillane des historiens musulmans).

3) Romancero morisco.

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