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a d'étranges candeurs. Il assure madame X*** de la quasi virginité de son âme. En vérité c'est bien l'aveu qui devait toucher un bas-bleu. Au reste, il n'a pas le moindre amour-propre et il confesse qu'il n'entend pas finesse en amour. Ce dont il faut le louer, c'est sa franchise. On veut qu'il promette d'aimer toujours. Et il ne promet jamais rien. Là encore il est un fort honnête homme.

La vérité est qu'il n'eut qu'une passion, la littérature. On pourra mettre sous sa statue, si l'on parvient à l'élever, ce vers qu'Auguste Barbier adressait à MichelAnge:

L'art fut ton seul amour et prit ta vie entière.

A neuf ans, il écrivait (4 février 1831) à son petit ami Ernest Chevalier :

Je ferai des romans que j'ai dans la tête, qui sont : la Belle Andalouse, le Bal masqué, Cardenio, Dorothée, la Mauresque, le Curieux impertinent, le Mari prudent.

Dès lors, il avait découvert le secret de sa vocation. Il marcha tous les jours de sa vie dans la voie où il était appelé. Il travailla comme un boeuf. Sa patience, son courage, sa bonne foi, sa probité resteront à jamais exemplaires. C'est le plus consciencieux des écrivains. Sa correspondance témoigne de la sincérité, de la continuité de ses efforts. Il écrivait en 1847:

Plus je vais et plus je découvre de difficultés à écrire les choses les plus simples, et plus j'entrevois le vide de

celles que j'avais jugées les meilleures. Heureusement que mon admiration des maîtres grandit à mesure, et, loin de me désespérer par cet écrasant parallèle, cela avive au contraire l'indomptable fantaisie que j'ai d'écrire.

Il faut admirer, il faut vénérer cet homme de beaucoup de foi, qui dépouilla par un travail obstiné et par le zèle du beau ce que son esprit avait naturellement de lourd et de confus, qui sua lentement ses superbes livres et fit aux lettres le sacrifice méthodique de sa vie entière.

M. GUY DE MAUPASSANT

CRITIQUE ET ROMANCIER

M. Guy de Maupassant nous donne aujourd'hui, dans un même volume 1 trente pages d'esthétique et un roman nouveau. Je ne surprendrai personne en disant que le roman est d'une grande valeur. Quant à l'esthétique, elle est telle qu'on devait l'attendre d'un esprit pratique et résolu, enclin naturellement à trouver les choses de l'esprit plus simples qu'elles ne sont en réalité. On y découvre, avec de bonnes idées et les meilleurs instincts, une innocente tendance à prendre le relatif pour l'absolu. M. de Maupassant fait la théorie du roman comme les lions feraient celle du courage, s'ils savaient parler. Sa théorie, si je l'ai bien entendue, revient à ceci : il y a toute sorte de manières de faire de bons romans; mais il n'y a qu'une seule manière de les estimer. Celui qui crée est un homme libre, celui qui juge est un ilote.

1. Pierre et Jean, Ollendorf, éditeur.

<<

M. de Maupassant se montre également pénétré de la vérité de ces deux idées. Selon lui, il n'existe aucune règle pour produire une œuvre originale; mais il existe des règles pour la juger. Et ces règles sont stables et nécessaires.<< Le critique, dit-il, ne doit apprécier le résultat que suivant la nature de l'effort. Le critique doit << rechercher tout ce qui ressemble le moins aux romans déjà faits ». Il doit n'avoir aucune « idée d'école » ,; il ne doit pas « se préoccuper des tendances », et pourtant il doit comprendre, distinguer et expliquer toutes les tendances les plus opposées, les tempéraments les plus contraires ». Il doit... Mais que ne doit-il pas!... Je vous dis que c'est un esclave. Ce peut être un esclave patient et stoïque, comme Épictète, mais ce ne sera jamais un libre citoyen de la république des lettres. Encore ai-je grand tort de dire que, s'il est docile et bon, il s'élèvera jusqu'à la destinée de cet Épictète qui « vécut pauvre et infirme, et cher aux dieux immortels ». Car ce sage gardait dans l'esclavage le plus cher des trésors, la liberté intérieure. Et c'est précisément ce que M. de Maupassant ravit aux critiques. Il leur enlève le « sentiment même. Ils devront tout comprendre; mais il leur est absolument interdit de rien sentir. Ils ne connaîtront plus les troubles de la chair ni les émotions du cœur. Ils mèneront sans désirs une vie plus triste que la mort L'idée du devoir est parfois effrayante. Elle nous trouble sans cesse par les difficultés, les obscurités et les contradictions qu'elle apporte avec elle. J'en ai fait l'expérience dans les conjonctures les plus diverses. Mais

c'est en recevant les commandements de M. de Maupassant que je reconnais toute la rigueur de la loi morale.

Jamais le devoir ne m'apparut à la fois si difficile, si obscur et si contradictoire. En effet, quoi de plus malaisé que d'apprécier l'effort d'un écrivain sans considérer à quoi tend cet effort? Comment favoriser les idées neuves en tenant la balance égale entre les représentants de l'originalité et ceux de la tradition? Comment distinguer et ignorer à la fois les tendances des artistes? Et quelle tâche que de juger par la raison pure des ouvrages qui ne relèvent que du sentiment? C'est pourtant ce que veut de moi un maître que j'admire et que j'aime. Je sens que c'en est trop, en vérité, et qu'il ne faut pas tant exiger de l'humaine et critique nature. Je me sens accablé et dans le même temps vous le dirai-je? je me sens exalté. Oui, comme le chrétien à qui son Dieu commande les travaux de la charité, les œuvres de la pénitence et l'immolation de tout l'être, je suis tenté de m'écrier Pour qu'il me soit tant demandé, je suis donc quelque chose? La main qui m'humiliait me relève en même temps. Si j'en crois le maître et le docteur, les germes de la vérité sont déposés dans mon âme. Quand mon cœur sera plein de zèle et de simplicité, je discernerai le bien et le mal littéraires, et je serai le bon crilique. Mais cet orgueil tombe aussitôt que soulevé. M. de Maupassant me flatte. Je connais mon irrémédiable infirmité et celle de mes confrères. Nous ne posséderons jamais, ni eux ni moi, pour étudier les œuvres d'art, que le sentiment et la raison, c'est-à-dire les instruments

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