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Il faut remarquer que, à l'époque où ces privilèges furent accordés, la position relative des étrangers vis-à-vis des Ottomans était singulièrement différente de ce qu'elle est maintenant. Il est inutile de rappeler l'attitude adoptée par les Potentats orientaux même à l'égard des Ambassadeurs, et le mépris général éprouvé pour ceux qui ne professaient pas la foi musulmane. Les capitulations étaient, donc, accordées comme des faveurs, par pitié et probablement par mépris.

Le style de tous les documents rend ce point évident. Dans les capitulations anglaises, le souverain anglais est représenté comme implorant instamment ces privilèges.

Dans une autre, les Ambassadeurs de France et d'Angleterre étaient dits avoir « présenté leurs Mémoires à notre étrier Impérial.

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Dans une troisième, les privilèges sont concédés comme en retour de présents.

Mais des privilèges d'un caractère analogue avaient été accordés à des nations sujettes. Dans le mémoire annexé par M. Van Dyck, on peut voir la nature de ces privilèges. Les Grecs, les Arméniens et d'autres pouvaient régler leurs différends dans les affaires où n'étaient pas en question des Musulmans, d'après les usages de leurs propres pays. Mais des Chrétiens nationaux, quand ils paraissaient dans une affaire mixte devant les Tribunaux ottomans, n'avaient pas à souffrir de la difficulté causée par leur ignorance de la langue de la race conquérante.

Sans doute, la présence du Drogman consulaire, en faveur des étrangers qui paraissaient dans ces Cours de justice, avait pour but de les mettre sur le même pied que les raias. Les Chrétiens, qu'ils fussent nationaux ou étrangers, n'étaient pas dignes d'occuper, pour leurs propres affaires, le temps du Tribunal musulman. Le petit nombre de ces derniers ne présentait aucun danger pour l'Etat. « Qu'ils arrangent à leur gré leurs mesquines affaires » était sans doute l'idée qui prédominait dans la concession de ces droits particuliers.

Pendant beaucoup d'années, non, de siècles le système fonctionna d'une façon satisfaisante. Le Consul était le juge, administrant la justice en conformant, selon ses capacités, la loi de son pays aux usages du Levant. Mais la guerre de Crimée produisit une révolution soudaine; nonseulement la grande affluence des étrangers en Orient augmentait le nombre des réclamations devant la Cour consulaire, mais encore la guerre elle-même amena des procès pour des contrats et des transactions impliquant de grosses sommes d'argent. Le vieux et rude système de justice ne suffisait plus. La signification des capitulations fut étendue aux exigences modernes. Des Codes furent établis; il fut rendu des ordres en conseil et passé des actes au Parlement, en vertu desquels les privilèges accordés des siècles auparavant à de petits groupes insignifiants de commerçants et de navigateurs étrangers étaient invoqués pour la création de Cours de justice, avec la solennité et le caractère raffiné et technique des Tribunaux européens; et on établit l'appel devant les Tribunaux supérieurs des divers pays représentés en Orient par leurs Consuls.

Le résultat fut la création sur les territoires du Sultan de vastes communautés, exemptées des obligations ordinaires des citoyens, et maintenant non seulement contre le souverain pouvoir, mais encore l'une contre l'autre, une continuelle et jalouse rivalité.

En Egypte, les inconvénients créés par cet ordre de choses étaient plus

évidents que n'importe où. Sa position géographique et son activité commerciale l'ont rendue longtemps le séjour d'importantes communautés étrangères, et le commerce du pays étant concentré et absorbé dans les deux villes du Caire et d'Alexandrie, les jalousies sont plus manifestes et plus aiguës par cela même qu'elles sont plus centralisées.

Origine des Tribunaux mixtes.

Les points importants qui suivent m'ont été donnés comme ceux qui ont causé la création des tribunaux internationaux.

Avant la création de ceux-ci, il existait en Egypte dix-sept consulats, dont chacun avait la juridiction sur leurs nationaux; cela, naturellement, donnait lieu à de fréquents conflits de compétence et à une confusion et un désordre permanents. La règle d'après laquelle on décidait de la compétence en matière civile et commerciale était que le défendeur était justiciable de son propre tribunal, c'est-à-dire l'indigène du tribunal indigène et l'étranger du consul. Chaque tribunal appliquait une législation différente et décidait d'après sa procédure spéciale.

Une première conséquence de ce système était qu'au moment de conclure un contrat, les parties contractantes ne savaient pas devant qui elles plaideraient, ni quel système de jurisprudence ou de procédure leur serait appliqué, si elles avaient à en appeler en justice relativement aux conséquences du contrat. Bref, il n'y avait nulle sécurité pour les droits des parties contractantes, et la justice était devenue pour eux une affaire de chance, puisque la juridiction qui devait décider variait selon que l'un ou l'autre était plaignant ou accusé. De plus, quand un plaignant avait à en appeler à la loi contre plusieurs adversaires de nationalités différentes, il était obligé d'entamer plusieurs procès. Ceux-ci se terminaient par des jugements contradictoires, même lorsque l'affaire entreprise avait été seule et unique. La même difficulté se présentait dans le cas de garanties, le défendeur ne pouvant pas exercer une garantie quand le garant n'était pas de la même nationalité. Le vice du système était clairement évident dans presque chaque affaire commerciale : dans les lettres de change, dans les associations, les banqueroutes, les distributions de capital, les gages sur propriété foncière, toutes transactions dans lesquelles les parties sont constamment de nationalités différentes. Mais l'inconvénient fut mis en évidence par ce fait que les appels qu'on faisait des tribunaux consulaires étaient portés hors d'Egypte, et que le plaignant, bien qu'ayant gagné en première instance, était forcé, sur l'appel de son adversaire, de plaider son cas au dehors, dans un pays où il était étranger. De là naissaient d'interminables difficultés et retards dans l'exécution des sentences, et la position du consul présentait une grande anomalie, en ce qu'il réunissait deux caractères différents celui de juge et celui de protecteur officiel de l'une des deux parties en procès. Des étrangers qui avaient à faire valoir des réclamations contre le gouvernement, les départements publics ou les Daïras du khédive et les princes, refusèrent de les porter devant les tribunaux locaux, en qui ils n'avaient pas confiance. Ces réclamations, en conséquence, furent réglées diplomatiquement et furent soutenues par le consul, qui défendit les droits de ses concitoyens contre le gouvernement qui contestait ces droits. De la sorte, le gouvernement était invariablement la victime, puisque les plus petites réclamations de ce genre étaient décidées par la voie diplomatique, au lieu d'être discutées simplement dans une cour de justice. La perception

des impôts, dont la justice était hors de doute, était souvent impossible, des contre-réclamations, souvent non fondées, étant mises en avant comme des compensations par l'intermédiaire du consul. Ainsi, bien que le droit d'exiger de l'étranger le paiement de l'impôt ne fût pas contesté en principe, le consul, dans la pratique, était investi du droit d'approuver ou de refuser le paiement de cet impôt.

On dit que des sommes énormes ont été ainsi payées par le gouvernement pour de prétendus dénis de justice, tandis que l'absence d'une autorité judiciaire, régulière, rendait impossible que justice fût faite et que de grosses sommes ont dû aussi être payées par le gouvernement pour l'ancien khédive, personnellement pour des dettes contractées par lui dans ses entreprises commerciales et industrielles.

Quand les nouveaux tribunaux furent inaugurés, il y avait des réclamations faites contre le gouvernement pour une somme de 40,000,000 1. De grosses sommes avaient été préalablement payées sous la pression des agents diplomatiques.

Comme le dit un fonctionnaire indigène : « Un étranger était-il frappé en Egypte, ainsi qu'il aurait pu l'être partout ailleurs, c'était le gouvernement qui en était responsable, pour ne pas avoir, disait-on, à ses ordres une autorité de police bien ordonnée. Une barque chavirait-elle dans le Nil, le gouvernement en était tenu responsable, s'il n'avait pas assez promptement envoyé du secours. Un créancier se trouvait-il en présence de l'insolvabilité de ses débiteurs, le gouvernement se trouvait encore responsable pour ne pas avoir l'autorité nécessaire pour faire rentrer l'étranger dans sa créance. »

Ces affaires qui étaient conçues sous forme de réclamation des domma ges et intérêts, étaient presque toujours soutenues par le consul. C'était la conséquence, évidemment imprévue, d'une interprétation des Capitulations. Ces traités pouvaient à l'origine n'avoir eu d'autre intention que de garantir les étrangers contre la violence et l'arbitraire des autorités locales, non de les soustraire à la loi du pays. Peu à peu l'autorité des tribunaux locaux avait été usurpée par les empiètements d'une juridiction extra-territoriale. Cet état de choses était devenu intolérable. Le jeu des Capitulations, ainsi interprétées, était devenu un fardeau et une injustice non seulement pour le gouvernement et le peuple d'Egypte, mais aussi pour les étrangers qu'elles avaient mission de protéger. D'où l'établissement de tribunaux mixtes.

Ceux-ci furent institués de façon à remédier à quelques-uns des défauts sur lesquels l'attention a été attirée ci-dessus.

En 1867, des demandes furent adressées à la Porte par le vice-roi d'Egypte pour certains privilèges, et la question de l'administration de la justice fut en même temps débattue par Nubar-Pacha. Un plan fut soumis à Ali-Pacha et à Fuad-Pacha sur une plus large échelle que celui qui fut plus tard adopté. On proposait de créer des tribunaux égyptiens, dont les juges seraient pris parmi les magistrats d'Europe, mais seraient au service de l'Egypte, comme cela avait été longtemps le cas pour les médecins, les ingénieurs, les professeurs et autres spécialistes.

Ces tribunaux devaient non seulement administrer la justice civile et criminelle, mais encore le faire pour les indigènes aussi bien que pour les étrangers, et, de plus, établir une juridiction entre le peuple d'Egypte et leur gouvernement, qui était, à cette époque, engagé dans de vastes entre

prises de commerce, de finances, d'agriculture et d'industrie. Des difficultés, cependant, furent soulevées par le Sultan au sujet de la mise aux mains des Européens de la juridiction dans les affaires entre indigènes seulement, et la question de la justice criminelle fut aussi mise de côté.

On peut cependant remarquer ici que les indigènes ont en maintes occasions montré leur confiance dans les tribunaux mixtes en cédant leurs réclamations à des Européens, ce qui rendait leurs causes des cours internationales. Ces mensonges à la loi sont toujours regrettables et il est malheureux que les plaideurs indigènes soient forcés de recourir à ces expédients comme aux seuls moyens qu'ils avaient d'obtenir justice. Il est inutile de donner ici des détails sur les pouvoirs et la compétence de ces cours. C'est là un point qui a fréquemment attiré l'attention du gouvernement de Sa Majesté. Ces pouvoirs, Votre Excellence le sait, sont très étendus dans toutes les affaires civiles et commerciales où des étrangers sont parties, y compris les procès contre le gouvernement, les administrateurs, les Daïras de Son Altesse le Khédive et les membres de sa famille. J'ai l'honneur de joindre une liste des différents juges étrangers qui composent ces cours, dont voici l'analyse :

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1 Belge.

6 Egyptiens

Délégation de Mansourah.

D'après les listes précédentes, on verra que la composition des cour est suffisamment cosmopolite pour justifier la confiance de ceux sur qui elles exercent l'autorité judiciaire.

Constitution des cours mixtes.

La constitution des tribunaux mixtes était le seul remède possible aux maux du système greffé sur les Capitulations.

Les tribunaux sont une anomalie, comme les Capitulations en étaient une. Mais puisqu'ils ont réussi à assurer leur renouvellement en 1884 pour

cinq ans, on ne peut douter qu'ils n'aient créé en Egypte un pouvoir à quelques égards supérieur à celui du Khédive et de son gouvernement.

L'autorité réelle des institutions est dans la Cour d'appel 'd'Alexandrie, La majorité des juges, à l'origine dans la proportion de sept à quatre, sont étrangers, nommés dans la pratique par les ministres de la justice des pays d'où ils viennent. Ils sont inamovibles, et tout le gouvernement et les propriétés du Khédive et de sa famille sont soumis à leurs décrets.

Juridiction criminelle.

Que ce soit un bien ou un mal, on ne peut nier que l'administration de la justice en Egypte est, en grande partie, aux mains des étrangers. L'institution des cours mixtes a, cependant, été trop loi ou trop peu loin. Leur juridiction criminelle est limitée à ce qu'on appelle « contraventions de simple police » et aux actes rentrant dans la catégorie des « offenses de cour». Dans toutes les autres matières criminelles, l'ancien et défectueux système de la juridiction consulaire est toujours en pleine vigueur.

La question fut étudiée par Lord Dufferin et par le gouvernement égyptien; et Lord Granville, le 18 décembre 1883, écrivant au sujet d'une proposition faite par Chérif Pacha pour l'extension de la juridiction des tribunaux mixtes aux matières criminelles, constate que la proposition du gouvernement égyptien est une de celles qui se recommandent particulièrement au gouvernement de Sa Majesté. »

Par la constitution des tribunaux mixtes, toutes les questions de nature criminelle, à l'exception de celles indiquées plus haut, sont retranchées de leur compétence. On verra dans les Protocoles d'adhésion de l'Allemagne et de la France que les accusations de banqueroute frauduleuse continuent à appartenir à la juridiction de l'accusé et que tous les incidents criminels mêlés au jugement d'une affaire civile, par exemple la supposition d'un document, doivent toujours être jugés par le Consul.

Juridiction sur les indigènes.

Toutes les fois que les indigènes sont accusés de crimes, la procédure est assez facile. Ils sont poursuivis par l'Accusateur public, et justice est promptement rendue.

Juridiction sur les étrangers.

Mais quand un étranger ou des étrangers doivent comparaître en justice, la procédure est du caractère le plus gênant et le plus dilatoire. La justice devient absolument impossible par suite de la contestation de nationalité des accusés, de l'insuffisance de l'enregistrement consulaire, et de l'absolue impossibilité dans certains cas, de savoir s'ils sont sujets ottomans, et spécialement dans le cas des Grecs, s'ils sont Raias ou appartiennent au royaume de Grèce.

Procédure criminelle contre des étrangers.

La méthode suivante est celle suivie dans les délits criminels commis par des étrangers:

Sauf dans les cas pressants, tels que ceux de meurtre ou de vol avec effraction en train de s'effectuer, la police ne peut entrer dans le domicile étrauger sans la présence d'un délégué consulaire. Le criminel une fois arrêté, son Consul en use avec lui conformément aux lois de son pays.

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