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Au point de vue spécial de la présente union, l'affirmation est exacte; mais à un point de vue plus général, elle cesse de l'être.

Sans parler, en effet, de diverses unions internationales formées dans le domaine des intérêts purement matériels, telles que l'union métrique, l'union monétaire, l'union des postes et télégraphes, il a été formé, le 20 mars 1883, dans le domaine des intérêts intellectuels, une union pour la protection de la propriété industrielle.

Sur plusieurs points, cette union a servi de modèle pour la présente.

Ce n'est donc point, à proprement parler, une œuvre nouvelle; ce serait plutôt une réédition d'une œuvre déjà connue.

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Ce n'est pas qu'antérieurement à la formation de ces unions les droits respectifs, soit des Français à l'étranger, soit des étrangers en France, ne fussent protégés d'une façon plus ou moins efficace.

Pour ne parler que de la propriété littéraire et artistique, indépendamment de la protection dont les étrangers jouissaient chez nous, en vertu, soit de la loi du 17 juillet 1793, que la jurisprudence leur avait déclarée applicable, soit du décret-loi du 28 mars 1852, il existait entre la France et un certain nombre de pays des traités destinés à assurer expressément aux étrangers, sous condition de réciprocité, bien entendu, le même traitement qu'aux nationaux.

Des traités de ce genre avaient été conclus avec douze Etats, parmi lesquels l'Angleterre (conventions des 3 novembre 1850 et 11 avril 1875), l'Allemagne (traité de paix du 10 mai 1871 et convention du 14 janvier 1872), l'Espagne (convention du 16 juin 1880), l'Italie (conventions des 29 juin 1862 et 9 juillet 1884), les Pays-Bas (conventions du 20 mars 1855 et du 27 avril 1860), le Portugal (convention du 14 juillet 1867), la Russie (la convention du 6 avril 1861 a été dénoncée et prendra fin le 14 juillet 1887), la Suisse (conventions des 30 juin 1864 et 23 février 1882).

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La multiplicité de ces traités, dont le nombre peut toujours s'accroitre, a inspiré des doutes sur l'utilité de constituer à l'état d'union des Etats déjà rattachés les uns aux autres par des conventions diplomatiques.

Mais quand on examine les choses de près, on ne tarde pas à se convaincre que le régime des unions ne fait pas double emploi avec celui des traités, que chacun de ces régimes a sa raison d'être et que, si le but principal des traités est la sécurité du présent, celui des unions est la préparation de l'avenir.

Cet avenir, c'est, dans les limites du possible, l'unification des législations, l'effacement des dissemblances, l'adoption commune des réformes conseillées par la raison et consacrées par l'expérience; c'est la marche constante vers le mieux, c'est le progrès incessant vers l'unité.

Ces idées ont été fort bien mises en lumière à la conférence internationale qui s'est reunie à Paris, au mois de novembre 1880, pour préparer un projet d'union pour la protection de la propriété industrielle.

« Ce qui se passe pour la propriété industrielle, a dit le président de cette conférence à la séance d'inauguration (1), est arrivé pour toutes les législa tions. On commence par faire des lois nationales sans se préoccuper de ce qui se passe chez les autres Puis, quand on a fixé sa jurisprudence, l'horizon s'agrandit nécessairement. On étudie, on compare les législations des pays voisins, et l'on arrive à l'étude du droit international. Depuis vingt ans on se livre à ces études, qui ont pour résultat, non-seulement un intérêt purement

(1) Procès-verbaux, p. 19.

ARCH. DIPL. 1887.

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2 SERIE, T. XXIV (86)

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spéculatif, mais un rapprochement entre les peuples; c'est une œuvre de paix et de conciliation.

«Dans la plupart des pays on a fait des lois sur la propriété industrielle; de celle comparaison est né le besoin de s'entendre. »

Ce besoin d'entente a reçu satisfaction, dans le domaine de la propriété industrielle, par la conclusion de la convention internationale du 20 mars 1883.

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Tandis que cette campagne était menée à heureuse fin par les défenseurs de cette propriété, une campagne semblable était engagée par les défenseurs de la propriété littéraire et artistique.

Dans l'une des séances du congrès de la propriété artistique (1), qui a eu lieu au Trocadéro lors de l'Exposition universelle, la motion suivante fut adoptée : « Il est à désirer qu'il se constitue entre les divers Etats de l'Europe et d'outremer une union générale qui adopte une législation uniforme en matière de propriété artistique. Le congrès émet le vœu que la convention qui établira cette union s'inspire des résolutions qu'il a adoptées et leur donne une sanetion définitive. »

Ce congrès donna en outre mission à son bureau de demander à M. le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts de prendre l'initiative de provoquer la réunion d'une commission internationale dans le but de constituer cette union.

Ce ministre, qui était notre honorable collègue M. Bardoux, fit le meilleur accueil à la députation du congrès et s'empressa de nommer une commission qui fut chargée de réaliser les résolutions du congrès.

De son côté, l'association littéraire et artistique internationale, qui s'était fondée, à la suite du congrès de 1878, sous la présidence de notre illustre et regretté collègue Victor Hugo, ne demeurait pas inactive.

Grâce à ses efforts, une conférence privée se réunit à Berne en 1883, et l'exposé des motifs nous fait savoir qu'au mois de décembre de cette année « le Conseil fédéral suisse crut devoir soumettre à l'examen des diverses puissances un projet d'arrangement devant servir de base aux délibérations de leurs délégués pour la conclusion d'une convention d'union en cette matière. Douze Etats acceptèrent l'invitation fédérale et prirent part à une première conférence officielle, qui se réunit à Berne, du 8 au 9 septembre 1884. Un avant-projet fut élaboré dans cette première réunion, et l'année suivante, du 7 au 18 septembre 1885, une seconde conférence, dans laquelle seize gouvernements étaient représentés, arrêtait définitivement les termes de la convention, » qui est présentement soumise à votre ratification et qui a été signée, le 9 septembre dernier, par les représentants de la France, de l'Allemage, de la Belgique, de l'Espagne, de la Grande-Bretagne, de Haïti, de l'Italie, de la république de Libéria et de la Tunisie.

§ 5

L'union constituée par la présente convention est intitulée « Union internationale pour la protection des œuvres littéraires et artistiques. »

Le syndicat des sociétés littéraires et artistiques françaises a vivement regretté (2) que le mot de « propriété » n'ait pas été inscrit dans ce titre, comme il l'avait été dans celui de l'union formée pour la protection de la propriété industrielle; il aurait voulu qu'à l'exemple de celle-là, celle-ci se fût appelée l'union pour la protection de la propriété littéraire et artitisque.

Si nous consentons à nous associer à ces regrets, nous ne saurions en partager la vivacité.

(1) Séance du 21 septembre 1878, procès-verbaux, p. 110.

(2) Chronique du Journal général de l'Imprimerie et de la Librairie (œaméo du 2 octobre 1886).

Voilà près d'un siècle que l'on discute, sans l'avoir encore résolue, la question de savoir si la propriété intellectuelle est la propriété, comme le disait un peu aventurément peut-être Alphonse Karr, c'est-à-dire une propriété comme la propriété ordinaire de droit commun, ou bien si, comme beaucoup le soutiennent, elle est, non pas la propriété, mais une propriété d'un genre particulier, jouissant de certains avantages et ayant droit à la protection de la loi dans les limites et sous les conditions tracées par elle.

Sans tenter une définition qui eût peut-être été trop périlleuse si elle eût été trop précise, le congrès de la propriété littéraire de 1878 a voté la résolution suivante : «Le droit de l'auteur sur son œuvre constitue, non une concession de la loi, mais une des formes de la propriété que la loi doit garantir. »>

De leur côté, les congrès de la propriété industrielle et de la propriété artistique avaient dit :

«Le droit des auteurs et des inventeurs sur leurs œuvres (ou de l'artiste sur son œuvre) est un droit de propriété. La loi civile ne le créè pas; elle ne fait que le réglementer. »

Bien avant ces congrès, en 1804, le code civil avait déclaré dans son art. 544, que la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses d'une façon absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règle

ments.

Si le législateur s'est reconnu le pouvoir de limiter les facultés de jouissance et de disposition qui sont les attributs de la propriété et si, par suite, la propriété n'est que la collection des droits ainsi limités, il en résulte que, lorsqu'il à parlé des droits des auteurs sur leurs œuvres, et lorsque ces droits sont, comme les autres, des droits de jouissance et de disposition, il a reconnu virtuellement par cela même, au profit de ces auteurs, un véritable droit de propriété qu'il a pu d'ailleurs réglementer comme il a réglementé la propriété de droit commun.

Ceux qui continuent à soutenir que la propriété intellectuelle est, non une propriété, mais la propriété, sont surtout préoccupés du désir de faire reconnaitre aux auteurs un droit perpétuel sur leurs oeuvres. Si cette propriété est, en effet, pareille à celle du droit commun, il est naturel qu'elle prétende à cette perpétuité. Mais prenons-y garde; si les deux propriétés sont pareilles, elles doivent être traitées de la même façon.

Dès lors, à quel titre la propriété intellectuelle prétendrait-elle être protégée contre le droit d'imitation? Est-ce que cette protection existe pour la propriété de droit commun? Et si la reconnaissance d'un droit de propriété perpétuelle au profit des auteurs avait pour corollaire un refus de protection contre l'imitation, la compensation serait-elle profitable aux intéressés? Que feraient-ils d'une propriété qui pourrait devenir une propriété dans le néant?

Laissons de côté ces controverses et ces regrets, et puisque la convention soumise à l'approbation du Sénat reconnaît expressément aux auteurs des droits sur leurs œuvres littéraires et artistiques, puisqu'elle est faite pour protéger ces droits, examinons en quoi consiste cette protection.

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La convention se compose:

1° De vingt-et-un articles;

2o D'un article additionnel;

30 D'un protocole de clôture composé de sept articles;

4 D'un procès-verbal de signature, qui contient diverses déclarations échangées entre les plénipotentiaires.

§ 7

L'article 1er de la convention déclare les pays contractants constitués à l'état

d'Union pour la protection des droits des auteurs sur leurs œuvres littéraires et artistiques.

L'exposé des motifs nous apprend que ces Etats comptent, avec les colonies françaises et auglaises admises dans l'Union en vertu de l'art. 20 de la convention et du procès-verbal de signature, une population d'environ 450 millions

d'habitants.

Bien qu'il s'agisse d'œuvres intellectuelles, on peut cependant, en cette matière comme en d'autres, diviser ces habitants en producteurs et en consommateurs.

La France à elle seule représente la majorité des producteurs; c'est ce qui explique pourquoi celles des nations qui se composent surtout de consommateurs ne se sont pas toujours montrées favorables à des conventions qui profitent aux étrangers sans profiter à leurs nationaux.

Il faut savoir un véritable gré à celles de ces nations qui se sont décidées à conclure des traités de ne pas s'être exclusivement cantonnées sur le terrain étroit des intérêts matériels, de s'être élevées à des conceptions plus larges, de s'être laissé inspirer par des sentiments de haute justice et de haute probité et d'avoir, par une promesse de protection quelquefois désintéressée, consenti à servir la noble cause de la littérature et de l'art.

Dans son discours de réception à l'Académie française, notre honorable collè gue M. Léon Say parlait, avec une fierté qu'il avait peine à contenir, de tous les points du globe où l'on parle, où on lit, où l'on traduit notre langue. Sur tous ces points les Français produisent, les autres nationaux consomment. Ce sont donc nos littérateurs et nos artistes qui sont appelés à recueillir les principaux avantages de ces traités et de ces unions. C'est grâce à eux qu'ils agrandirout progressivement le marché dont ils sont les grands pourvoyeurs, qu'ils arriveront à avoir la plus grande partie du monde pour tributaire, qu'ils parviendront à percevoir les tributs dont le droit, si longtemps contesté, est maintenant presque universellement reconnu.

L'article 2, dont il convient de rapprocher l'article 11, reconnait aux auteurs ressortissant à l'un des pays de l'union ou à leurs ayants cause la jouissance dans les autres pays, pour leurs œuvres, publiées ou non publiées dans ces pays, des droits que les lois respectives accordent actuellement ou accorderont par la suite aux nationaux.

En d'autres termes, dans chacun des pays de l'union, les auteurs ressortissants des autres pays seront traités comme les nationaux de ce pays.

La jouissance de ces droits ne pourra excéder dans les autres pays la durée de la protection accordée dans le pays d'origine.

Est considéré comme pays d'origine de l'œuvre celui de la première publication on, si cette publication a eu lieu simultanément dans plusieurs pays de l'union, celui d'entre eux dont la législation accorde la durée de protection la plus courte.

Pour les œuvres non publiées, le pays auquel appartient l'auteur est considéré comme pays d'origine.

Dans la plupart des pays, la protection légale accordée aux littérateurs et aux artistes est subordonnée à l'obligation d'un dépôt effectué par eux conformément aux prescriptions de la législation de chaque pays. Ces formalités ont été réglées chez nous, soit par la loi du 19 juillet 1793 (art. 6), soit par celle du 29 juillet 1881 (art. 3 et 4) sur la presse.

Ces formalités n'auront pas besoin d'être accomplies dans tous les pays de l'union; il suffira qu'elles le soient dans le pays d'origine, conformément à la législation de ce pays; c'est une des heureuses modifications apportées à l'état de choses qui résultait des traités actuels.

Une modification nou moins heureuse a été apportée par l'art. 11.

Pour que les auteurs des œuvres protégées par la convention soient, jusqu'à preuve contraire, considérés comme tels et admis, en conséquence, devant les tribunaux des divers pays de l'union, à exercer des poursuites contre les con

trefaçons, il suffira que leur nom soit indiqué sur l'ouvrage en la manière usitée.

Pour les œuvres anonymes et pseudonymes, l'éditeur dont le nom sera indiqué sur l'ouvrage pourra sauvegarder les droits appartenant à l'auteur. Il sera, sans autres preuves, réputé ayant-cause de l'auteur anonyme ou pseudonyme.

Ce ne seront là toutefois que des présomptions, et les tribunaux pourront toujours, le cas échéant, exiger la production d'un certificat délivré par l'autorité compétente et constatant que les formalités prescrites, dans le sens de l'art. 2, par la législation du pays d'origine ont été remplies.

L'art. 3 étend le bénéfice de la convention aux éditeurs d'oeuvres littéraires ou artistiques publiées dans un des pays de l'union et dont l'auteur appartiendrait à un pays qui n'en ferait pas partie.

L'art. 4 définit ce qu'on doit entendre par des œuvres littéraires et artistiques. Ce sont les livres, brochures ou tous autres écrits; les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales, les compositions musicales avec ou sans paroles; les œuvres de dessin, de peinture, de sculpture, de gravure; les lithographies, les illustrations, les cartes géographiques; les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture ou aux sciences en général; enfin, toute production quelconque du domaine littéraire, scientifique ou artistique, qui pourrait être publiée par n'importe quel mode d'impression ou de reproduction.

Cet article n'a pas parlé des œuvres photographiques; elles n'ont cependant pas été oubliées; il en est question dans l'art. 1er du protocole.

A leur égard, la difficulté provenait de ce que ces œuvres ne jouissent pas encore du droit de cité dans l'universalité du monde artistique: elles ont dans beaucoup de pays une situation mal définie.

Sans trancher d'une façon expresse la question relative au caractère de ces œuvres, on s'est borné à déclarer dans l'art. 1er du protocole que ceux des pays de l'union où le caractère d'œuvres artistiques n'est pas refusé aux oeuvres photographiques, devraient les admettre, à partir de la mise en vigueur de la convention, au bénéfice de ses dispositions. Ces pays ne seront d'ailleurs tenus de protéger ces œuvres, sauf les arrangements internationaux existants ou à conclure, que dans la mesure où leur législation permet de le faire.

Il a été expliqué que la photographie autorisée d'une œuvre d'art protégée jouirait, dans tous les pays de l'union, de la protection légale au sens de ladite convention, aussi longtemps que durerait le droit principal de reproduction de cette œuvre même et dans les limites des conventions privées entre les ayants droit.

Les art. 5 et 6 s'occupent du droit de traduction.

Il eût été désirable que le principe qui a été inscrit pour la première fois dans l'art. 6 du traité conclu, le 16 juin 1880, entre la France et l'Espagne, fût inscrit de nouveau dans la convention; qu'en conséquence on eût reconnu aux auteurs ressortissant des pays de l'Union le droit exclusif de traduction sur leurs ouvrages pendant toute la durée de la propriété de l'œuvre originale, et qu'on eût assimilé, ainsi que l'a fait cette convention, la publication d'une traduction non autorisée à une réimpression illicite de l'ouvrage.

Malheureusement, la diversité des législations et des traités sur la matière n'a pas permis d'obtenir ce résultat.

Actuellement, beaucoup de législations ne protègent pas les auteurs au point de vue de la traduction. La plupart des conventions restreignent considérablement cette protection; le maximum de protection internationale est de dix années; il faut en outre que la traduction ait paru dans les trois années après la publication de l'œuvre originale.

Cette durée de dix années de protection a été consacrée par l'art. 5 de la présente convention.

Ces dix années courent à partir de la publication de l'œuvre originale dans l'un des pays de l'union. Pour les œuvres publiées par livraisons, le délai de

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