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pas seulement une théorie de l'État ou de la vie politique, puisqu'elle présente un ensemble de la doctrine platonicienne. Mais, en y regardant de près, on voit que c'est là plutôt un défaut qu'un mérite de cet immortel ouvrage. Dans une exposition strictement philosophique, on ne doit point parler de tout à propos de toutes choses, mais on doit se renfermer dans son objet, et circonscrire chaque moment et chaque sphère de la connaissance dans leurs limites propres et spéciales. C'est là penser et démontrer l'idée d'une façon déterminée. Il y a, par exemple, dans la République une exposition générale de la théorie des idées. Or, il est évident que, rigoureusement parlant, une telle exposition est ici hors de place, et qu'elle appartient à une autre sphère de la connaissance, si toutefois une exposition générale et, pour ainsi dire, exotérique de la théorie des idées, doit être considérée comme ayant une valeur strictement scientifique (1). Et cette indétermination de l'exposition platonicienne, on peut la remarquer dans toutes les parties de la République. C'est ainsi qu'on y confond la politique avec la philosophie, la famille avec l'État, l'idée de l'âme individuelle avec l'idée de l'État, etc. (2). Bref, de quelque façon qu'on considère soit la République, soit les autres dialogues de Platon, on y trouvera bien une philosophie de l'esprit, mais on n'y trouvera pas la philo

(1) Car, strictement parlant, c'est l'idée qui seule peut se démontrer elle-même, et qui ne peut se démontrer elle-même qu'à sa place, et en tant que moment nécessaire du système.

(2) En ce sens que la division des classes y est fondée sur la division des facultés de l'âme.

sophie de l'esprit sous sa forme déterminée, une et systématique.

On peut en dire autant d'Aristote. Bien qu'en effet nous voyions l'idée, et partant l'idée de l'esprit, atteindre chez Aristote à un plus haut degré de détermination que chez Platon, ainsi que le montrent non-seulement sa Métaphysique, son Traité de l'âme et son Éthique, mais ses Opuscules physiques, où il s'efforce de définir certains moments de l'âme, tels que le sommeil et la veille, la jeunesse et la vieillesse, la mémoire et la réminiscence, etc., nous n'y trouvons pas non plus l'esprit saisi dans l'unité concrète et absolue de sa nature. Et ses Opuscules physiques eux-mêmes, s'ils nous montrent, d'un côté, Aristote occupé à considérer l'esprit dans ses différents moments, et à construire ainsi l'idée de l'esprit, ils nous montrent, d'un autre côté, que dans cette recherche Aristote procède plutôt d'une façon extérieure et empirique que d'une façon vraiment systématique et spéculative.

Maintenant, si, laissant de côté des antécédents historiques moins importants et moins directs, nous passons de l'antiquité aux temps modernes, nous rencontrerons d'abord comme antécédent de la philosophie de l'esprit de Hégel la philosophie de Kant. Ici, il ne s'agit pas, bien entendu, de montrer le développement et la filiation de la philosophie allemande depuis Kant jusqu'à Hégel, c'est là un point que nous avons examiné ailleurs (1), mais seulement d'indiquer cette filiation dans les limites de la philosophie de l'esprit.

(1) Introduction à la Philosophie de Hégel, chap. 11, § 4.

On peut dire d'abord, à cet égard, que dans Kant il n'y a pas de philosophie de l'esprit, en tant que l'esprit constitue une sphère distincte et déterminée du tout. C'est là une conséquence naturelle de son point de vue fondamental et de sa méthode. Et, en effet, la philosophie de Kant est bien une philosophie qui embrasse l'universalité de la connaissance, et qui s'étend à toutes les sphères du savoir, mais elle procède empiriquement dans ses investigations, et, de plus, elle brise l'unité de l'être et de l'intelligence, ce qui fait que ses classifications et ses divisions sont des classifications et des divisions extérieures et arbitraires, et qu'elle nous présente deux ou trois espèces de raisons. Car, nonseulement nous y trouvons, à côté d'un entendement, une raison théorétique et une raison pratique qui ne s'accordent point entre elles, et qu'on fait venir de sources diverses, on ne saurait dire desquelles, mais nous y trouvons une autre faculté, la faculté de juger (Urtheilskraft), qui doit bien être elle aussi une raison, puisqu'elle pense une des notions les plus hautes de l'intelligence, la notion de finalité absolue. Le seul point où ces trois raisons se rencontrent, c'est d'être des raisons purement subjectives, des raisons qui pensent bien leur objet, le vrai, l'absolu, mais qui sont comme étrangères à cet objet, qui n'en peuvent rien affirmer, et n'ont aucun rapport interne et nécessaire avec lui ce qui veut dire au fond qu'elles ne sont nullement des raisons. On conçoit comment, avec ces matériaux, et avec ce brisement, et cette dispersion de l'intelligence et de son objet, il ne puisse y avoir dans la doctrine de Kant une véritable connaissance systématique, une véritable unité, et partant une véritable philosophie de l'esprit.

Toutefois, il y a dans Kant un point qui, élaboré par Fichte, et plus encore par Schelling, peut être considéré comme un des antécédents de la Philosophie de l'esprit de Hégel. Nous voulons parler de la théorie kantienne de la conscience de soi, ou du moi. Suivant Kant, le moi est le centre et l'unité des catégories et des idées (1), c'est-à-dire de l'entendement et de la raison eux-mêmes, et partant de toutes choses. Car tout est et apparaît dans le moi, et ce qui n'est ni n'apparaît dans le moi n'a point de réalité pour nous. Mais si tout est et apparaît dans le moi, le moi est le principe et comme la substance de toutes choses, et il en est le principe et la substance quant à la forme et quant au contenu. C'est là le point de jonction de la philosophie de Kant et de celle de Fichte. Suivant Fichte, le moi, en se posant, non-seulement se pose lui-même, mais il pose son contraire, le non-moi, et par cette position il pose à la fois la forme (la contradiction) et le contenu (les deux termes). On sait comment Fichte, en partant de cette donnée, s'est appliqué à développer les diverses parties de la connaissance suivant la méthode absolue, la dialectique, et à donner une forme systématique aux catégories, et en général au contenu de la philosophie de Kant. Pour ce qui concerne l'esprit, on peut d'abord considérer la philosophie de Fichte comme une philosophie de l'esprit, en ce que le moi en fait le point de départ, et que tous les développements ultérieurs, la conscience, l'entendement, la raison, etc., ne sont que des développements du moi. C'est en ce sens et dans cette limite qu'elle constitue, relativement à la philosophie de

(1) L'unité et l'aperception transcendantales du moi, et du moi en tant que pensant.

l'esprit de Hégel, un antécédent plus immédiat et plus direct que la philosophie de Kant. C'est un antécédent, mais ce n'est qu'un antécédent. C'est, voulons-nous dire, une certaine philosophie de l'esprit, mais ce n'est pas la véritable philosophie de l'esprit. Et, en effet, si la philosophie de Fichte est un progrès sur celle de Kant, elle n'est un progrès que comme une tentative, et, pour ainsi dire, comme une aspiration vers l'unité de la science, mais en réalité, et considérée dans son fond et dans son résultat final, elle ne va pas au delà de celle de Kant. Car d'abord, le moi et le non-moi, ainsi que leurs développements, y demeurent comme dans Kant hors de l'absolu, et celui-ci constitue une sphère que le moi ne saurait atteindre. Fichte ne franchit donc pas le point de vue subjectif de Kant. Ensuite, la méthode de Fichte n'est elle aussi qu'une méthode empirique, et sa forme déductive ou dialectique n'a de la forme absolue que l'apparence. Car le moi n'y est pas pensé, mais senti; on n'y trouve pas, voulons-nous dire, l'idée du moi, mais le moi tel qu'il est donné par l'expérience et la représentation sensible. Et il en est de même du non-moi. En outre, le moi se pose, et en se posant il pose le non-moi. Mais pourquoi se pose-t-il ? Et pourquoi, en se posant, pose-t-il le non-moi? Dira-t-on que cette opposition se produit en vertu de la forme absolue? S'il en est ainsi, cette opposition présuppose la forme absolue et la science de la forme, ou démonstration absolue, c'est-àdire la logique, laquelle devra se développer dans une sphère propre et distincte. Et d'ailleurs, et par la même raison, c'est-à-dire parce que la philosophie de Fichte ne démontre et ne déduit pas véritablement les termes, et

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