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et l'absorption de l'être imparfait (1). Ainsi la nécessité de la folie réside dans l'existence même du sentiment et de la

(4) Voy. ci-dessus, p. 54. Ceci explique comment la folie se développe surtout là où la raison est aussi plus développée, c'est-à-dire chez les nations les plus civilisées, et comment aussi c'est dans les grandes commotions politiques et religieuses, c'est-à-dire dans ces moments où la raison universelle et absolue pénètre plus profondément dans l'homme et le renouvelle, que le nombre des aliénés augmente. Cependant, pour entendre la folie, comme en général tout autre moment de l'idée, ce n'est ni dans l'individu, ni dans le nombre plus ou moins grand des individus qui en sont atteints, mais dans l'idée qu'il faut la considérer. Qu'il y ait un plus grand ou un plus petit nombre de fous, c'est chose indifférente et accidentelle pour l'idée de la folie, de même que c'est chose indifférente et accidentelle pour l'idée de la génération qu'il y ait un plus grand ou un plus petit nombre de mâles ou de femelles, ou pour l'idée de la mort qu'il y ait un plus grand ou un plus petit nombre d'être animés qui meurent. L'essentiel et le nécessaire c'est l'idée, et que l'idée trouve sa réalisation, c'est-à-dire qu'il y ait des fous. Il en est de même de la folie dans ses rapports avec l'individu. De ce que la folie est nécessaire il ne suit nullement que tout individu doit en être atteint, comme de ce que la raison triomphe de la folie, il ne suit pas non plus que tout individu qui en est atteint doit nécessaiment en guérir. Tout homme peut devenir fou, comme il peut devenir général, magistrat, artiste, etc. Mais ce n'est là qu'une virtualité générale et indéterminée qui est précisément déterminée et, pour ainsi dire, annulée par l'idée concrète et systématique de l'esprit, idée qui fait que, loin que cette virtualité doive se réaliser dans tous les individus, elle doit et ne peut se réaliser que dans un certain nombre et dans de certaines limites; autrement il n'y aurait ou que des fous, ou que des magistrats, ou que des artisans, c'est-à-dire il n'y aurait ni système ni esprit. En outre, ce n'est pas dans l'individu qu'a nécessairement et absolument lieu le triomphe de la raison sur la folie, mais dans l'idée. L'individu peut guérir, comme il peut ne pas guérir. Il faut même que chez lui la folie l'emporte parfois sur la raison. Car par là que la folie est un moment essentiel de l'esprit, il faut qu'elle y joue un rôle, et qu'elle y réalise, et y fasse valoir son droit. Mais dans l'idée la raison triomphe absolument de la folie, comme elle triomphe du sentiment en général, et de tout ce qui est compris dans sa sphère. En d'autres termes,

raison et de leur rapport, de telle façon que pour supprimer la folie il faudrait non-seulement supprimer le sentiment, mais la raison elle-même.

Quant à la troisième objection, elle trouve également sa solution dans les considérations qui précèdent. Et, en effet, ceux qui la font, se plaçant hors de l'idée une et systématique de l'esprit, partagent l'esprit en deux, et sans rien déterminer, ni l'esprit, ni le fini, ni l'infini, disent qu'il y a un esprit fini, et un esprit infini. C'est au fond le même procédé arbitraire et éclectique qui partage la vérité et la raison en deux, c'est-à-dire en vérité naturelle et en vérité surnaturelle, en raison humaine et en raison divine, sans s'apercevoir que cette distinction bouleverse, ou, pour mieux dire, détruit toute raison, et toute vérité (1). De fait, si la vérité surnaturelle et la raison divine sont les mêmes que la vérité naturelle et la raison humaine, cette distinction n'a pas de sens. Si, au contraire, elles diffèrent, et si elles diffèrent essentiellement et par nature, il n'y a plus ni vérité ni raison. Car il faudra choisir entre l'une ou l'autre raison, et il faudra choisir non où elles s'accordent, mais où elles diffèrent. Or, comment choisir, s'il y a réel

vis-à-vis de cette sphère de l'idée qui constitue la raison s'efface la folie, mais elle s'efface, il ne faut pas l'oublier, en s'y absorbant. La raison du médecin aliéniste, par exemple, n'est pas la raison qui exclut la folie, mais la raison qui la contient et la dépasse tout à la fois. Et elle la contient comme une présupposition nécessaire, et comme un moment sans lequel elle ne serait pas. Et cette raison n'en est pas moins ce qu'elle est, que le malade guérisse ou qu'il succombe.

(1) Voy. aussi sur ce point, dans nos Mélanges philosophiques, Essai sur la philosophie critique, et notre Inquiry into Speculative and Experimental Science.

lement deux raisons? Et pourquoi préférer la raison divine à la raison humaine, si la raison humaine est vraiment elle aussi une raison? Et puis, comment, à l'aide de quel critérium pourra-t-on choisir entre les deux? Il faudra évidemment une autre raison qui devra les contenir et les dépasser toutes les deux. C'est que lorsqu'on sort de l'idée et du système, qu'il s'agisse de la vérité, ou de la raison, ou de l'esprit, ou d'un autre objet quelconque, on s'engage dans un dédale d'inconséquences et d'impossibilités inextricable. Ces deux esprits, en effet, dont l'un serait fini et l'autre infini, et qu'on appelle aussi, comme la raison, esprit humain et esprit divin, appartiennent-ils à une seule et même notion, à une seule et même nature? S'ils n'appartiennent pas à une seule et même nature, on ne peut rien dire de l'un ni de l'autre, ni que l'un est fini et que l'autre est infini, ni même que ce sont deux esprits. Car deux esprits, qu'ils soient tous les deux finis ou tous les deux infinis, ou l'un fini et l'autre infini, ne sont des esprits, et ne sont pensés comme tels que parce qu'ils ont une nature commune, et qu'ils constituent des moments ou sphères diverses de cette nature. Et c'est là précisément l'idée une et systématique de l'esprit, idée que la pensée non systématique brise et disperse, dans l'impuissance où elle est de la saisir dans son unité.

CHAPITRE V.

LA LOGIQUE, LA NATURE ET L'ESPRIT.

Nous disons qu'il y a trois idées absolues, la logique, la nature et l'esprit, idées que le christianisme symbolise dans

les trois personnes (1), et que ces trois idées sont unies de telle façon qu'elles forment un système absolu, ou une unité systématique absolue hors de laquelle il n'y a ni être, ni pensée, ni vérité. Ainsi ces idées sont trois, et elles ne font qu'un dans leur trinité, ou, ce qui revient au même, elles sont une seule même idée qui en tant que différenciée est triple et une à la fois. Mais pourquoi ces idées sont-elles trois? Et comment, de quelle façon sont-elles trois, et, n'étant que trois, peuvent-elles ne faire qu'un, ou, ce qui revient au même, n'être qu'une seule et même idée? Ce sont là les points que nous devons maintenant examiner; et en les examinant nous répondrons en même temps aux autres objections.

Et, d'abord, pour entendre cette triplicité de l'idée, ou, si l'on veut, ce système idéal triple et un à la fois, il faut éloigner de la pensée la quantité et le nombre. Nous voulons dire qu'il ne faut pas penser l'idée comme un nombre, et ces trois idées comme trois nombres ou trois quantités. L'idée est bien le nombre, mais le nombre n'est pas l'idée. L'idée est le nombre, comme elle est toutes choses, et par suite le nombre n'est qu'un moment limité de l'idée, qu'une sphère subordonnée que l'idée pose et annule, et qui a d'autant moins de valeur et de réalité qu'on s'élève dans les sphères plus concrètes de l'idée. La cause et l'effet, par exemple, font bien deux, mais ni la cause ni l'effet ne sont deux simples unités numériques, ni leur rapport n'est le rapport de ces unités dans le nombre deux ou trois. Et

(1) Voy. sur ce point notre Introduction à la Philosophie de Hégel, ch. VI, § 3, et Introduction à la Logique de Hegel, ch. XIII.

lors même qu'on se représenterait la cause comme contenant plus de réalité que l'effet, ce plus et ce moins, ainsi que leur rapport, ne sauraient en aucune façon constituer la cause et l'effet et leur rapport. Ou bien encore, on retrouve dans l'évolution des termes, et en allant de l'abstrait au concret, un accroissement quantitatif et comme une addition indéfinie, de même qu'on retrouve une soustrac⚫ tion indéfinie en suivant une marche inverse, c'est-à-dire en allant du concret à l'abstrait. Mais, nous l'avons vu (1), loin que ce soit l'élément quantitatif qui détermine et engendre les termes et leur nature spécifique, et partant l'évolution elle-même, c'est, au contraire, la nature spécifique et concrète des termes qui engendre le nombre, et qui l'engendre comme un élément subordonné. Si en passant de l'être chimique à l'animal, par exemple, on a une certaine addition, ce n'est nullement cette addition qui engendre la nature animale, mais c'est, au contraire, la nature animale qui engendre l'addition, et ajoute un autre élément, une autre sphère au tout (2). Ainsi lorsque nous disons que l'idée est triple, ou qu'elle est une, ou qu'elle

(1) Voy. plus haut, ch. II.

(2) C'est là l'erreur de Schelling, qui s'est représenté l'évolution de l'idée comme une évolution quantitative et comme une série de puissances. (Voy. plus haut, p. 19.) C'est aussi l'erreur de Spinoza, et de tous ceux qui prétendent ériger la méthode mathématique en méthode philosophique et absolue. Au lieu de saisir l'idée en elle-même et dans sa nature intrinsèque et réelle, ils ne saisissent qu'une de ses déterminations les plus superficielles, et, pour ainsi dire, que l'enveloppe. Voyez sur ce point notre Introduction à la Philosophie de Hégel, chap. IV, § 5; notre Introduction à la Philosophie de la nature, chap. IV et X, et notre Introduction à la Logique, chap. XI, p. 90, note 4, et chap. XII, P. 117.

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