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distribution, finit par ne signifier que loi, de ce que díxn, lot, sort, usage, équité, justice, devient le nom d'une des Heures, conseillère écoutée de Zeus; de ce que Déméter, surnommée Erinnys par les pâtres arcadiens, se transfigure en déesse législatrice, après avoir été primitivement la déesse de la terre féconde et des moissons, il semblerait découler que l'idée de justice distributive n'est entrée dans la tête humaine qu'à la suite du partage des terres. L'idée de justice, qui, dans le cours des siècles, a subi tant d'évolutions et de révolutions, daterait donc de cette période si critique de l'histoire humaine. Hobbes avait déjà entrevu cette origine de la justice, quand il disait « qu'en l'état de nature, il n'y a point d'injustice, en quoi qu'un homme fasse contre quelque autre », car, commente Locke, a là où il n'y a point de propriété, il n'y a point d'injustice (where there is no property, there is no injustice), est une proposition aussi certaine que n'importe quelle démonstration d'Euclide : l'idée de propriété étant un droit à une chose, et l'idée à laquelle correspond le mot injustice étant l'invasion ou la violation de ce droit 2 ».

PAUL LAFARGUE.

1. Hobbes, loc. cit. Remarque ajoutée au § 10 du chap. I, Liv. I.
2. Locke, Essay on the human understanding, Book, IV, chap. III § 18.

UN PRÉCURSEUR DE CH. BELL ET DE F. MAGENDIE

AU DEUXIÈME SIÈCLE DE NOTRE ÈRE

Ch. Bell et F. Magendie se sont disputé l'honneur d'avoir découvert la distinction des nerfs de la sensation et des nerfs du mouvement; et Flourens, intervenant entre ces deux grands rivaux, a essayé de les concilier en faisant à chacun sa part 1. Mais il y a quelqu'un qui, dès les temps anciens, avait vu les mêmes faits, formulé les mêmes vérités, et à qui personne n'a fait sa part, pas même Daremberg, qui devait le connaître, l'ayant traduit. C'est Galien 2.

Je voudrais rendre à Galien ce qui lui appartient et, sans faire tort aux modernes, restituer à l'antiquité son plus beau titre psycho-physiologique, enseveli depuis dix-sept siècles dans des livres qui mériteraient d'être lus.

Ces livres sont intitulés, l'un: De l'usage des parties; l'autre Des lieux affectés. Le premier est un ouvrage de physiologie, où l'auteur se propose de montrer la destination de chacune des parties, c'est-àdire de chacun des organes du corps vivant; ce qui le conduit à rechercher quelles sont les fonctions des nerfs, et si les nerfs différents ont des fonctions différentes. Le second est un ouvrage de pathologie, où l'auteur se propose de localiser les maladies particulières dans les lieux, c'est-à-dire dans les organes particuliers; ce qui le conduit à rechercher quelles sont les affections propres aux nerfs, et si elles diffèrent comme les nerfs eux-mêmes.

Or, voici ce que Galien dit des attributions des nerfs dans le traité De l'usage des parties:

Liv. V, ch. IX. << Toutes les parties du corps ont des nerfs, forts ou grêles, suivant leur rôle et leur importance. Les moindres n'en sont pas dépourvues. Ainsi, les reins, la rate, le foie, la vessie ont les leurs. Ceux-ci sont extrêmement grêles; ils suffisent, toutefois, à donner à ces organes, le degré de sensibilité nécessaire pour les distinguer des végétaux et en faire des parties d'animal.

<< La nature, en distribuant des nerfs au corps, s'est en effet proposée

1. Discussion sur les titres respectifs de MM. Bell et Magendie à la découverte des fonctions distinctes des racines des nerfs.

2. M. Ch. Richet lui a mieux rendu justice, sans la lui rendre complètement.

un triple but. Elle a voulu donner aux organes de perception la sensibilité; aux organes de locomotion, la motilité; à tous les autres, la faculté de reconnaître leurs lésions. C'est ainsi que la langue, les oreilles, les yeux, les mains, surtout la partie interne, l'estomac, surtout l'orifice, ont reçu des nerfs considérables qui les rendent particulièrement aptes à sentir et à percevoir. Les organes moteurs ont reçu également de grands nerfs, qui les rendent particulièrement aptes à mouvoir. Et partout se trouvent des nerfs, inégaux comme les parties mêmes, qui nous avertissent par la douleur de ce qui leur nuit et les compromet. »

Liv. VIII, ch. v. « A chaque sens il faut un nerf mou; un nerf, sans quoi l'organe ne serait pas sensible; un nerf mou, sans quoi il ne serait pas modifié par l'objet extérieur, qui ne serait pas senti. On comprend que ce qui est mou est plus propre à subir une impression, et ce qui est dur à produire une action. Et voilà pourquoi les parties sensibles ont des nerfs mous, et les parties mobiles des nerfs durs. Et voilà pourquoi ceux des sens qui obéissent à la volonté et se meuvent à son ordre ont, à la fois, des nerfs mous et des nerfs durs. Cela se voit dans les yeux et la langue, qui ont les deux espèces de nerfs, tandis que le nez et les oreilles n'ont que la première. De là, il résulte que la lésion d'un nerf, dans les sens capables à la fois de sensation et de mouvement, n'atteint que l'une de ces opérations, suivant la nature du nerf lésé. On peut observer ce fait dans la langue, laquelle perd quelquefois la faculté de se mouvoir, et quelquefois la faculté de percevoir les saveurs.

<< Notez que les nerfs durs et les nerfs mous ne dérivent pas des mêmes parties de l'encéphale et ne s'insèrent pas sur les mêmes parties des organes. Les nerfs mous ont leur point de départ et leur centre dans les parties molles du cerveau; les nerfs durs, dans les parties dures. Et quant à l'organe, ils se rendent précisément à la partie qui convient à leur fonction propre. Ainsi, la langue, par sa face externe, est en rapport avec les saveurs : c'est la face externe qui reçoit les nerfs mous; elle est mue par les muscles: ce sont les muscles qui reçoivent les nerfs durs. Il en est de même des yeux: tandis que les nerfs durs s'insèrent sur les muscles, les autres s'épanouissent dans la partie essentielle à la vision. »>

Ch. VI. « L'encéphale est le commun principe des nerfs, la substance dont ils sont formés. Il en diffère toutefois par une moindre densité, condition convenable dans un organe où aboutissent toutes les sensations, où naissent toutes les fantaisies de l'imagination, où se forment toutes les pensées de l'intelligence. On y distingue, comme il est naturel, la même dualité que dans les nerfs : il a une partie plus molle, c'est l'antérieure, d'où sortent les nerfs mous; et une partie plus dure, que les anatomistes appellent parencéphale (le cervelet), d'où sortent les nerfs durs. Pour que l'une de ces parties ne blessât pas l'autre, la nature a formé d'un repli de la dure méninge (dure-mère) une

sorte de cloison qui les protège en les séparant. Toutefois, dans l'encéphale antérieur il y a encore lieu de distinguer les parties voisines de l'enveloppe sont plus dures, les parties moyennes et profondes sont plus molles. Aussi les premières produisent, comme le parencéphale, des nerfs durs, par exemple les nerfs moteurs de l'œil.

« Il est à remarquer que les nerfs mous ne diffèrent pas seulement des durs, mais les uns des autres. Chacun a sa nature spécifique, en vertu de laquelle l'un perçoit la lumière, l'autre le son, l'autre la saveur, etc. »

Liv. IX, ch. XIV. « Il y a mille degrés de mollesse dans les nerfs mous, de dureté dans les nerfs durs. La ligne de démarcation entre les uns et les autres peut se tracer ainsi. Imaginez deux nerfs, le plus dur et le plus mou de tout le corps, et un troisième à égale distance des deux extrêmes : sont durs tous les nerfs situés entre l'intermédiaire et le plus dur; sont mous tous les nerfs situés entre l'intermédiaire et le plus mou.

«< En général, les nerfs durs ont leurs racines dans la moelle épinière, et les très durs dans son extrémité inférieure; les nerfs mous ont les leurs dans l'encéphale, et les plus mous au centre de sa partie antérieure. Au point de jonction de l'encéphale et de la moelle épinière, se rapportent les nerfs de consistance moyenne.

<«<Comme il a été dit, les nerfs durs sont les agents du mouvement, étant les plus propres à agir, et les mous les agents de la sensation, étant les plus propres à pâtir. Il n'est pas impossible, toutefois, qu'un nerf mou, s'il l'est médiocrement, ne serve au mouvement, avec une infériorité marquée, de sorte qu'il est des nerfs à la fois sensibles et moteurs. »

Liv. XIV, ch. XIII. «Les nerfs ont une triple raison d'être ; ils sont dans les organes des sens principes de sensation, dans les organes moteurs, principes de mouvement, dans toutes les parties intérieures, lorsqu'elles sont lésées, principes d'avertissement. >>

Liv. XVI, ch. II. «Le système nerveux, comme le veineux, comme l'artériel, est un arbre. Le tronc, qui comprend, avec l'encéphale, la moelle épinière, son prolongement, envoie des branches nerveuses ou des rameaux dans tout le corps, Mais cela ne veut pas dire que toutes les parties sans exception reçoivent des nerfs. Les os, les cartilages, les ligaments, la graisse, n'ayant besoin ni de sentir, ni de se mouvoir, n'ont pas besoin de nerfs; cela veut dire que la nature, qui sait ce qu'elle fait, a envoyé des nerfs dans toutes les parties qui en réclamaient pour leurs fonctions, et ceux-là précisément qu'elles réclamaient. Aux organes du mouvement, aux muscles, elle a donné des nerfs durs, qui sont les plus propres à produire une action; aux organes de la sensation, c'est-à-dire aux sens et aux viscères, elle a donné des nerfs

1. Couche corticale?
2. Substance blanche?

mous, qui sont les plus propres à éprouver une impression. Aux organes qui joignent le mouvement à une sensation supérieure, aux yeux, aux oreilles, à la langue, elle a donné les deux espèces de nerfs, pour atteindre un double résultat. Et elle a eu le soin d'insérer le nerf mou sur la partie qui est proprement l'instrument de la sensation, le nerf dur sur le muscle, instrument du mouvement. »

Ch. III.-- « Il y a un rapport constant entre le degré de mollesse du nerf et le degré de sensibilité de l'organe, entre le degré de dureté du nerf et le degré de motilité des parties. Le volume des nerfs est également en proportion de la subtilité et de l'énergie de l'opération. Làdessus, la nature ne varie pas. Les nerfs les plus mous et les plus volumineux de l'encéphale vont aux organes les plus sensibles, et, par exemple, aux yeux, qui discernent tant de choses et de si petites. Les nerfs les plus durs et les plus volumineux de la moelle épinière vont aux organes les plus énergiquement mobiles, et, par exemple, aux mains et aux pieds, qui déploient tant d'activité. »

Ces analyses où la même idée et, notons-le, l'idée essentielle, l'idée neuve, se représente sans cesse, sont, ce me semble, d'une clarté parfaite.

On y voit d'abord la doctrine connue pour être celle de la médecine alexandrine. Elle se résume ainsi. Le système nerveux comprend l'encéphale (cerveau), le parencéphale (cervelet) et la moelle épinière, des deux côtés de laquelle s'échappent des cordons nerveux, qui vont se divisant et se subdivisant à l'infini. Ces nerfs sillonnent le corps entier en tous sens, et s'insèrent sur toutes les parties qui les réclament pour remplir leurs fonctions, lesquelles se réduisent à deux, sentir et mouvoir. Et ce sont ces nerfs, agents de sensation et de mouvement, qui font du corps un être vivant et animé, un animal.

Mais on y voit aussi une doctrine toute nouvelle, qui paraît pour la première fois avec Galien au sein de l'alexandrinisme médical, c'est la distinction de deux sortes de nerfs absolument différents. 'Les uns, qui sont mous, sortent de l'encéphale, se rendent dans les organes des sens ou dans les viscères, et y déterminent la sensation. Les autres, qui sont durs, sortent du parencéphale et de la moelle épinière, se rendent dans les organes locomoteurs, dans les muscles, et y déterminent le mouvement. Et cette qualité d'être mous ou durs s'accorde parfaitement avec leur différente propriété de sentir ou de mouvoir ce qui est mou étant plus particulièrement propre à subir une impression, ce qui est dur étant plus particulièrement propre à produire une

action.

Il y a donc les nerfs de la sensation et les nerfs du mouvement; 'Galion ne manque pas une occasion de l'affirmer. Et il insiste. Ces nerfs ne peuvent échanger leurs propriétés et ne les échangent jamais. 'Les nerfs de la sensation sont inhabiles au mouvement; les nerfs du mouvement sont inhabiles à la sensation; et il est tout aussi impossible de mouvoir par les premiers que de sentir par les seconds. A tel point, dit

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