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Dès mes premières expériences, j'ai pu reconnaître, ce qui d'ailleurs n'avait guère besoin d'être démontré expérimentalement, que tous les sujets ne réagissent pas de la même manière à la même excitation, et qu'un bon nombre ne réagissent pas identiquement à une même excitation dans toutes les circonstances: la constitution, l'âge, le sexe,

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Efforts soutenus progressivement, croissants de 1 à 7 sous l'influence du tabac à fumer. (Même sujet.)

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Fig. 20. -a, effort répété à l'état normal; b, effort répété sous l'influence du musc.

(Même sujet.)

l'état de santé, les différents actes de la vie végétative, etc., sont susceptibles de faire varier la vibratilité du sujet en dehors des circonstances extérieures. C'est la difficulté d'apprécier tous ces éléments qui m'a fait dire qu'il fallait pour le moment résister à la tentation de faire une loi psycho-mécanique à formule mathématique.

De ce qu'un grand nombre d'individus, la plupart même sont incapables de différencier exactement les couleurs, les son s, les saveurs,

on n'en peut pas conclure qu'il n'est pas physiologique de les distinguer; mais lorsqu'on veut des experts pour apprécier ces différences, on choisit des sujets qui réagissent toujours de la même manière à la même excitation, c'est-à-dire qui soient toujours capables d'avoir constamment la même appréciation sur le même objet. Je n'ai pas fait autrement, j'ai choisi des sujets qui aient des réactions constantes, et cette précaution était d'autant plus indispensable que je n'avais jusqu'à présent pour mesurer les différences qu'un instrument grossier, peu sensible. J'ai trouvé une douzaine de sujets qui fournissent des résultats constants, tel pour les sensations musculaires, tel pour les sensations olfactives, tel pour toutes les sensations à la fois. Si j'ai souvent choisi pour exemple une hystérique qui donne comme je l'ai fait remarquer des résultats considérablement grossis, ce n'est pas qu'il soit indispensable d'être hystérique pour donner des résultats importants: parmi mes sujets il y a deux médecins qui constituent des sujets fort remarquables, et j'ai déjà cité l'un d'eux à propos des sensations olfactives.

Il faut noter d'ailleurs que, dans les expériences de psychologie, le choix des sujets s'impose souvent. Ainsi lorsqu'on étudie les sensations visuelles consécutives, le contraste simultané, etc., on constate bien vite que tous les sujets sont loin de réagir également. M. Wundt a signalé une expérience fort curieuse, qui consiste à s'imaginer, les yeux étant fermés, une figure colorée en rouge, et à diriger le regard sur une surface blanche on aperçoit alors une image consécutive verte. C'est là une expérience fertile en déductions psychologiques; mais très peu de sujets sont capables de la répéter la statistique prouverait certainement qu'elle est fausse. Cependant je puis affirmer qu'elle est parfaitement exacte, je peux la reproduire sur moi à volonté. Un résultat, si exceptionnel qu'il soit, conserve toute sa valeur quand il est bien acquis. C'est justement pour cela que je me suis attaché de préférence aux faits caractéristiques qui donnent des résultats assez nets pour que l'erreur ne soit pas à redouter. Je n'ignore pas, je le répète, qu'on ne les retrouve pas sur le plus grand nombre des sujets; mais il ne faut pas confondre les expériences négatives et les expériences contradictoires. Il me paraît légitime d'appliquer à ces recherches sur la physiologie du système nerveux la méthode de nosographie qui consiste à décrire d'abord avec soin les cas grossiers qui mettent en lumière avec plus d'évidence les phénomènes qu'il s'agit de signaler à l'attention, et à réserver pour plus tard les cas frustes qui ne feraient que jeter du trouble dans la question. Aussi, après avoir présenté des considérations générales, basées sur des observations faites sur des sujets déjà chosis, n'entrerai-je dans le détail qu'en procédant par observations individuelles. Que ces observations aient trait à des sujets anormaux, je veux bien le concéder; mais les anomalies ne doivent pas plus être dédaignées en physiologie qu'en anatomie, où elles sont d'un grand secours pour l'étude du développement et de l'évolution.

D'ailleurs, s'il est certain que les névropathes sont des sujets pré

férables pour ces expériences, il n'est pas nécessaire d'être officiellement nerveux pour être capable de présenter des phénomènes fort nets. Si au lieu de se servir du dynamomètre on se sert d'un dynamographe pour inscrire les pressions manuelles, exécutées soit à l'état normal, soit sous l'influence de certaines excitations, on peut constater avec plus d'évidence encore des différences marquées chez des sujets réputés normaux.

Nous avons déjà signalé, que, à propos des excitations auditives, les sensations pénibles s'accompagnaient d'une dépression de l'énergie, tandis que les sensations agréables coïncidaient, au contraire, avec une exagération. L'étude d'un grand nombre d'hallucinations provoquées avait déterminé des effets analogues. Et nous pouvons ajouter que, sous l'influence des émotions agréables ou pénibles provoquées par tout autre procédé, on observe les mêmes variations dynamométriques. Lorsqu'un sujet est soumis au phénomène décrit ailleurs sous le nom de polarisation psychique 1, et qui consiste en une sorte d'inversion de l'état psychique sous l'influence d'une excitation externe, l'état dynamique change avec l'état émotif. Réciproquement, il est bien manifeste que les couleurs, les odeurs, etc., qui déterminent les effets dynamogènes les plus intenses sont en général agréables.

Nous avions conclu de ces remarques que la sensation agréable ou désagréable était constituée par une exagération ou une diminution de l'énergie potentielle. Certains faits cependant relatifs à des sensations manifestement pénibles semblaient contredire cette règle. L'étude de quelques sensations olfactives en particulier nous permettra, je pense, de rétablir l'accord entre toutes les expériences.

M. le docteur G., qui est très sensible à l'action des odeurs, a bien voulu nous servir de sujet d'expérience. Après avoir pris la force dynamométrique de la main droite, qui varie de 50 à 55 dans plusieurs épreuves, nous approchons vivement de ses narines un flacon contenant du musc pur qui nous a été obligeamment prêté par notre ami M. Ch. Girard, directeur du laboratoire municipal, c'est dire qu'il s'agit d'un produit parfaitement sûr. M. G. déclare que cette odeur est extrêmement désagréable; sa force dynamométrique, prise à ce moment, donne 45, c'est-à-dire qu'elle semble diminuée. La même expérience est reprise plus tard, mais en laissant le flacon à distance, de telle sorte que l'impression arrive atténuée; M. G. déclare alors que cette odeur est très agréable, et sa physionomie exprime très nettement la satisfaction, il donne alors une pression de 65, c'est-à-dire une augmentation de 10 à 15, d'un sixième ou d'un cinquième.

Chez une hystérique, anesthésique générale, qui a une obnubilation très manifeste du sens de l'odorat, l'approche immédiate du flacon de musc détermine une sensation très agréable en même temps qu'une

1. A. Binet et Ch. Féré, La polarisation psychique (Revue philosophique, avril 1884).

dynamogénie très intense (46 au lieu de 23). Dans une autre expérience sur le même sujet, nous laissons le flacon de musc au contact des narines pendant trois minutes; après avoir déclaré d'abord la sensation très agréable, il commence à en être incommodé, l'exploration dynamométrique qui n'avait pas été faite jusque-là, donne 19, c'est-àdire une diminution notable. Si on continue l'expérience, si on persiste à faire agir l'odeur du musc, peu à peu la sensation s'affaiblit, puis disparaît, la réaction dynamométrique baisse encore un peu, enfin le sujet tombe dans le sommeil léthargique. La sensation olfactive a agi exactement comme les sensations auditives et visuelles prolongées; toutes sont excitantes au début, puis déterminent l'épuisement qui aboutit au sommeil quand il s'agit d'un sujet prédisposé.

Cette succession de phénomènes, soit dit en passant, montre que le sommeil provoqué n'est pas séparé du sommeil spontané à son origine : la fatigue est la cause primordiale; tantôt elle se produit à la suite d'une décharge brusque résultant des mouvements réflexes déterminés par une impression brusque : tantôt elle se produit lentement en conséquence d'une impression prolongée et monotone. Notons d'ailleurs que cette succession de phénomènes, à savoir sous l'influence d'une même excitation, la sensation forte, puis l'absence de sensation, et la fatigue, existe à l'état physiologique; et on peut la reproduire sur bon nombre de sujets normaux. Il en découle qu'une excitation, même lorsqu'elle n'est plus perçue, détermine encore des effets dynamiques et finalement la fatigue. Une excitation agréable ou désagréable peut cesser d'être perçue sans pour cela cesser d'exercer des effets mécaniques, dont l'absence est parfaitement reconnue lorsque l'excitation vient à être supprimée.

Ces différentes expériences concordent parfaitement pour nous montrer que les sensations agréables s'accompagnent d'une augmentation de l'énergie, tandis que les désagréables s'accompagnent d'une diminution. La sensation de plaisir se résout donc dans une sensation de puissance; la sensation de déplaisir dans une sensation d'impuissance. Nous en sommes donc arrivés à la démonstration matérielle des idées théorique émises avec plus ou moins de clarté par Kant, par Bain, par Darwin, par Dumont, sur le plaisir et la douleur.

Or toute excitation qui amène une augmentation de l'énergie potentielle, se termine par une décharge, tantôt lente, quand l'excitation est modérée, tantôt brusque, quand l'excitation est forte et détermine des mouvements réflexes. L'impression de l'ammoniaque sur l'odorat détermine de mouvements, elle produit une décharge brusque avec dépression rapide de l'énergie potentielle, et par conséquent une sensation désagréable. L'exagération immédiate et momentanée de la pression n'est que l'effet direct de la décharge réflexe, qui se traduit non seulement dans les muscles de la vie de relation par des contorsions du visage et du corps, par des cris, etc., mais encore dans les muscles de la vie végétative, par des manifestations variées dans le domaine de la circu

lation, etc. Chaque décharge s'accompagne d'une diminution de potentiel, de sorte que, à partir d'une certaine limite, la sensation ne peut plus s'accroître proportionnellement à l'excitation.

Nous avons vu précédemment que les impressions auditives déterminent successivement des phénomènes analogues d'excitation et de dépression. Il en est de même des impressions portant sur les autres sens. Les sensations de la vue sont particulièrement instructives, car elles nous montrent non seulement que la fatigue d'un organe tient à une diminution de l'énergie potentielle du sujet; mais encore que cette diminution coïncide avec une modification des vibrations moléculaires. En effet, lorsque l'on regarde longtemps un carré rouge appliqué sur un fond blanc on voit apparaître du vert sur ses bords, c'est le phénomène dn contraste simultané; chez les sujets faibles, ce phénomène se manifeste plus tôt; on le voit plus tôt aussi lorsqu'on est fatigué; or on peut le faire apparaître d'emblée pour ainsi dire chez certains sujets par l'application d'un aimant.

Mais je me suis surtout proposé de montrer que le plaisir et la douleur sont en corrélation avec l'énergie potentielle du sujet. Les sens de la vue, de l'ouïe, de l'odorat, du goût, ne sont pas les seuls qui nous fournissent des arguments à cet égard; les excitations du sens génésique nous présentent des phénomènes non moins démonstratifs. Il est facile de se rendre compte de l'exaltation, de l'énergie qui s'accroît jusqu'au paroxysme, pour se maintenir pendant un certain temps, après lequel il se fait une dépression persistante. Il n'est pas nécessaire d'insister sur les états psychiques qui correspondent à cette exaltation et à cette dépression dynamique. La stimulation est par elle-même un plaisir; c'est pour cela que l'homme aime les sensations, comme le dit Aristote. Or, toute sensation qui n'amène pas la fatigue produit une stimulation. Spencer a quelque peine à s'expliquer comment le croassement des corbeaux peut être agréable: c'est tout simplement parce que c'est un bruit. Les effets toniques du bruit ont été reconnus empiriquement, et l'habitude de s'exciter par des cris de guerre, de s'encourager la nuit en chantant est la trace de cette observation. Spencer, comparant le jeu au sentiment esthétique dit que ce sont des exercices artificiels d'activité sans avantage ultime. Nos expériences montrent que l'un et l'autre augmentent au moins pour un temps l'énergie spécifique.

S'il est vrai que les sensations agréables ne jouissent de cette qualité qu'en raison de la sensation de puissance qu'elles développent, on peut dire aussi que le plaisir subjectif est constitué par la sensation subjective de puissance. Le plaisir de la puissance (Dugald Stewart) peut donc trouver son explication physiologique, tout comme la douleur de l'impuissance; l'un produit un développement des sentiments de bienveillance, l'autre produit les sentiments inverses; aussi voit-on le maître pardonner, l'esclave jamais. Quand on a la puissance, il faut s'appliquer à ne pas la faire sentir, c'est un principe important de la politique

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