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physiologique, et il ne s'adapte pas exclusivement au gouvernement des nations. On peut ajouter que le plaisir de la puissance ainsi compris éclaire encore l'origine égoïste de l'altruisme : être utile à autrui contribue à augmenter le sentiment de puissance, et par conséquent, est agréable en soi; il est meilleur de donner que de recevoir.

Les observations précédentes sur les phénomènes somatiques en relations avec le plaisir qui est la manifestation interne de la puissance et avec la douleur qui n'est, au contraire, que la sensation interne de l'impuissance (soit constitutionnelle, soit acquise, fatigue, etc.), peuvent servir de base à une théorie physiologique de l'esthétique. Et d'autre part il faut remarquer que le plaisir et la douleur constituent le fond de tous les faits psychiques désignés sous le nom de sentiments, d'affections, d'affinités électives, etc. Ces derniers faits pourront donc trouver, eux aussi, dans les observations précédentes, une interprétation physiologique basée sur la constatation de faits matériels.

Les faits d'ordre physiologique que nous avons rapportés montrent en somme que tous les circumfusa agissent sur l'homme, même en dehors de tout état de conscience, en modifiant la forme et l'intensité de son énergie. Il réagit à chaque excitation suivant sa vibratilité spécifique, suivant sa constitution moléculaire, variable avec le sexe, l'âge, le tempérament, l'état de la nutrition, etc.; mais on peut dire qu'il réagit nécessairement et qu'il ne crée jamais de forces. L'observation rigoureuse des faits est en contradiction flagrante avec la théorie de M. Bain de la spontanéité de la force et met en lumière cette notion déjà exprimée avec plus ou moins de précision par un grand nombre de physiciens et de physiologistes, que la mécanique est la science fondamentale? On peut dire que les manifestations les plus complexes de l'intelligence ne lui échappent pas. Si, comme le formule nettement Setchénoff, un mouvement volontaire ou involontaire reconnaît nécessairement pour cause une excitation venue du dehors et est par conséquent machinal, on peut dire aussi que toute excitation si faible qu'elle soit détermine nécessairement un mouvement.

On peut donc fournir la démonstration expérimentale de la nécessité de tous nos actes, et par conséquent de cette proposition que la volonté n'est autre chose qu'une réaction individuelle. Cette démonstration n'est pas superflue: en effet, si la plupart des psychologues et des hommes de science admettent volontiers le déterminisme, il n'en est pas moins vrai que le principe de la liberté individuelle domine la science sociale. Il n'est donc pas inutile de prouver par l'observation physiologique que l'idée de liberté n'est qu'une hypothèse sans fondement scientifique et qui ne mérite aucun respect. Et on peut ajouter qu'elle a des conséquences déplorables au point de vue de l'évolution de l'espèce: elle a en effet fréquemment pour résultat de faire sacrifier l'intérêt de la collectivité à l'intérêt individuel.

CH. FÉRÉ.

LA CONSCIENCE ET L'INCONSCIENCE

CHEZ L'ENFANT DE TROIS A SEPT ANS

I

Je n'ai pas à examiner ici les hypothèses des philosophes touchant la nature de la conscience et ses rapports avec l'inconscience. La conscience est-elle un attribut spécial à la matière organisée et vivante, ou commun à tous ses éléments et à tous ses agrégats, à l'atome, à la cellule, au cristal, au végétal, comme à l'animal et à l'homme? Est-elle, chez ces derniers, quelque chose de surajouté à l'état proprement nerveux? L'état psychique est-il complet sans cet hypothétique épiphénomène? En un mot, l'inconscient est-il simplement << un état psychique qui, étant quelquefois, et même le plus souvent, accompagné de conscience, ou l'ayant été à l'origine, ne l'est pas actuellement? » Est-il vrai que « l'esprit ne fait pas de sauts », et qu'il y a toujours entre deux états conscients une chaîne plus ou moins longue d'états intermédiaires qui se déroule à notre insu? Je ne me flatte pas d'apporter le moindre rayon de lumière dans ces questions où l'observation expérimentale n'a pas encore pénétré. Je me bornerai, sans prétendre rien expliquer, à étudier dans la période de trois ans à sept ans, quelques relations faciles à observer entre la vie consciente et la vie inconsciente de l'esprit. Je crois, d'ailleurs, qu'on a trop exagéré, non l'importance, mais la quantité des faits inconscients qui se mêlent à la trame ininterrompue, assure-t-on, des faits conscients. Quoique d'une durée inférieure à celle de ces derniers, leur production n'en exige pas moins un temps assez considérable, ce qui nous autorise à croire que leur nombre est moindre qu'on ne l'a supposé.

II

Plus va l'enfant, plus il acquiert d'idées aptes à se reproduire avec ou sans conscience. Le plus grand nombre d'entre elles lui 1. Th. Ribot, Les maladies de la personnalité, p. 13.

TOME XX. - 1885.

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reviennent sans qu'il les remarque. Les plus anciennes, les plus fréquemment renouvelées sont dans ce cas : j'entends les perceptions ou conceptions essentielles, les associations et les inférences proprement humaines, celles dont l'hérédité et le milieu général font à peu près tous les frais. C'est ainsi qu'il faut comprendre, sans trop l'élargir, cet aphorisme de Spencer : « La nature s'est chargée ellemême de la première instruction des enfants. » Au même point de vue, Bain a pu dire aussi : « Nos premières perceptions ont principalement pour objet tout ce qui sert au développement de la vie et des actions utiles à la vie. » Les enfants, de deux à quatre ans, acquièrent d'eux-mêmes ou par leurs rapports avec leurs parents et leurs camarades, une prodigieuse quantité de ces notions communes à l'espèce et à la race, avec nombre d'autres notions dérivées des premières, et marquées du sceau de l'éducation spéciale et du caractère individuel. Leur force d'assimilation est à tel point fraîche et vive, que l'intuition leur suffit presque toujours pour saisir au vol les impressions directement utiles; s'agit-il de les reproduire, de les confronter ou de les lier avec d'autres, l'imagination et la suggestion tout animales font l'affaire à quoi bon dès lors la conscience, la réflexion, l'effort de l'analyse? C'est donc à peu près sans conscience qu'ils apprennent les lois générales de la nature, de la vie, de la société, et celles mêmes de l'esprit, car il y a un psychologue au fond de tout enfant1. Pour ce qui est des connaissances plus spéciales, objet d'instruction propre, un enfant de trois à six ans doit en avoir appris à la maison ou à l'école, par le fait de sa curiosité utilitaire ou esthétique, une quantite relativement considérable. C'est là une base déjà complète de toute la science future, du concret à l'abstrait, des mathématiques à l'astronomie, en passant par la physique, la chimie, l'histoire naturelle, la grammaire, la rhétorique, la logique et la morale. Tout cela, d'ailleurs, très peu conscient dans l'acquisition, encore moins dans la reproduction; mais aussi rien de plus facile à ramener dans la conscience.

Vérifions le fait. Un enfant âgé de six ans me parle de ses travaux et de ses luttes scolaires avec un sentiment de pleine confiance en lui-même. Je transcris son bout de lettre. « Je pense que tu vas être content. J'ai le premier prix d'excellence, avec dix points d'avance sur l'élève qui a le second. Comme, ayant la rougeole, il n'a pas pu composer, j'ai été premier. Mais, quand même il aurait composé, j'aurais sans doute été le premier, parce que je suis très fort en

1. Voyez, dans mon étude sur Jacotot, le chap. intit. L'enfant psychologue et logicien.

sciences. S'il était venu, j'aurais été premier, et lui second, de sorte que je n'y aurais rien gagné (il voulait dire perdu). Je viens d'être second en histoire et en géographie. Hier j'ai composé en allemand, c'est-à-dire en thème. Samedi, je composai en version; je suis sûr d'être deux fois premier. »

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Un mois plus tard, me trouvant auprès de cet enfant, j'ai voulu savoir jusqu'à quel point il se rendait compte de ses efforts et de ses progrès. Je lui fis cette question : « Es-tu aussi fort sur le piano que ton frère?-Oh! répondit-il, je sais la Marseillaise, Ne grimpez pas aux nids, J'ai un pied qui remue... Nous avions un peintre à la maison, qui chantait Un pied qui remue. Il était très grossier, et il chantait comme ceci... Ce n'est pas ce que je voulais savoir. Tu ne sais pas si tu es plus fort ou moins fort que ton frère en musique? Ah! tu veux dire quel est le plus avancé de nous deux? Il est plus loin que moi : il a eu plus de leçons que moi. Je vais, si tu veux, demander à maman quel est celui qui joue le mieux. » Il disparaît, et revient au bout de trois minutes. « Mon frère, me dit-il, est plus avancé que moi; mais j'ai plus de dispositions que lui. » Mis sur la voie, il m'expliqua les raisons du fait. « Il a eu plus de leçons, parce que je rentre de classe à onze heures, et lui à dix; je n'ai pas autant de temps que lui pour apprendre. »

J'ai poursuivi mon enquête. J'ai appris que l'enfant sait additionner de tête 5 et 5, 10 et 10, 20 et 20, multiplier 5 par 5, 6 par 6, etc. Il prétend avoir appris cela seul ou à peu près. Il le croit. La vérité est qu'il l'a appris sans s'en douter, et, d'ailleurs, par la bonne méthode. Souvent, en promenade, il demandait ce que signifiaient les numéros des tramways; on lui répondait que la voiture marquée 1 partait la première, la voiture marquée 2 la seconde, et ainsi de suite. Il eut vite fait de savoir les éléments de la numération parlée et de la numération écrite. Il fit les autres progrès de la même manière, en comptant ses billes, ses plumes, ses chemises, ses timbres, ses livres, les feuilles de ses cahiers, un peu par observation instinctive, beaucoup par usage et routine. Mais il fallait très peu l'aider, comme on vient de le voir, pour l'amener à mettre au clair tous ces faits de connaissance obscure.

J'ai fait quelques expériences du même genre sur d'autres enfants de cet âge. Je ne citerai que deux cas, pour ne pas épuiser la série des opérations intellectuelles. Un enfant de sept ans et deux mois, très bon observateur, très grand raisonneur, montrait fort peu d'imagination littéraire. Ses parents s'en désolaient, croyant le mal sans remède. J'ai cherché à tirer de lui quelques renseignements utiles sur cet état de choses. Je lui ai suggéré quelques associations

portant sur des objets qui avaient dû l'intéresser. « Tu t'es beaucoup amusé aux congés de Pâques? Oui, beaucoup. Je les ai passés à S... Grand-père ne nous fait pas souvent jouer. Il nous trouve bruyants. Grand'mère nous gronde, sans être bien fâchée. Nous nous amusons tout de même. Je passais trois ou quatre heures par jour sur la plage. Je pêchais. J'ai attrapé, un matin, une anguille longue comme le bras, mais pas fort grosse. Elle me glissa dans les doigts, et je la crus perdue. Mais, je soulevai un grand rond d'algues et de galets autour de l'endroit où elle s'était enfoncée, et je finis par la reprendre. Elle fit un bon petit plat, avec les autres petits poissons que j'avais pris, sans compter les crevettes. » C'était là ce que l'on appelle une association par contiguïté dans le temps et dans l'espace. J'entrepris l'enfant sur une association à peu près pareille. La mer devait être belle, car je crois me souvenir qu'il faisait à Pâques un temps superbe. Oui, pendant quelques jours. Le lundi et le mardi, il plut beaucoup. Le mercredi, un peu seulement le matin. Nous allâmes, le soir, nous promener au phare, et le lendemain au fort de H... Tu sais? C'est là que tu ramassas un gros bouquet d'immortelles sauvages, et que tu riais de voir tant de petits escargots blancs par terre. J'ai failli y attraper un bien beau lézard vert. Tu n'en avais pas peur? - Oh! je sais m'y prendre : l'autre année, à Luz, j'ai tué une petite vipère, tout seul, à grands coups de canne de filet. »

-

Vint ensuite une de ces suggestions ou associations dites par ressemblance. «Tiens, voilà, parmi les cailloux, un joli silex. J'ai vu une coupe de silex, aussi belle que du marbre. Oh! pourtant, me dit l'enfant, ce n'est pas du marbre. Les silex sont des agates. J'en ai chez nous, que M. T... m'a donnés. J'ai des échantillons gris, rouge, brun, verdâtre. J'ai aussi des échantillons de marbres des Pyrénées. Je te les montrerai. J'ai du quartz, j'ai du spath de plusieurs pays. Tu sais qu'ils se cassent tous en morceaux pareils : c'est fort curieux. Je finis par une suggestion, si l'on veut, locale, mais très propre à mettre en jeu son imagination affective. « Aimestu mieux, lui dis-je, aller à S... qu'à T..? J'aime beaucoup aller à S., à cause de la mer. Et puis je m'amuse avec Cambo (il a une vraie passion pour le chien de son grand-père). C'est un beau chien, très bon chasseur, un mâtin doublé d'épagneul. Grand-père y tient beaucoup. Et moi, donc! J'en fais tout ce que je veux. Il aime bien mieux courir dans le village ou sur le bord de l'eau, que d'aller se faire gronder, et travailler dans les bois avec grand-père. Pourtant, j'aime peut-être mieux aller à T... Nos tantes nous font amuser. Elles nous font des friandises, des merveilles. Et nous allons nous

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