Imágenes de páginas
PDF
EPUB

dit M. Georg Cantor, comme étant absolument déterminé, à la différence de l'infini mathématique ordinairement admis jusqu'à présent, et qu'on traite comme une quantité finie, mais en la supposant variable et croissant au delà de toutes limites.

Ce dernier infini, M. Georg Cantor l'appelle infini improprement dit, pour réserver l'expression d'infini proprement dit à celui qui peut être traité comme infini, et doit cependant être regardé comme rigoureusement déterminé.

Prenons le système des nombres entiers, qui constitue ce que l'on appellera la première classe de nombres; leur nombre est infini et il n'y en a pas un qui soit plus grand que les autres. Il est donc contradictoire de parler d'un nombre maximum de cette classe; mais on pourra cependant imaginer un nouveau nombre d'une autre classe que M. Georg Cantor désigne par w et qui servira à exprimer que tout l'ensemble de la première classe est donné d'après la loi dans sa succession naturelle. On peut même se représenter ce nouveau nombre, comme la limite vers laquelle tendent les nombres de la première classe, à condition d'entendre par là que ∞ sera le premier nombre qui suivra tous ces nombres, en sorte qu'il faut le déclarer supérieur à tous.

J'emploie, bien entendu, les expressions mêmes de M. Georg Cantor, sans vouloir me les approprier; mais je dois essayer cependant d'en faire comprendre la véritable signification.

Dans les nombres finis, tout nombre non rationnel n'est conçu en fait (subjectivement parlant), que par une opération logique qui présente une certaine analogie avec celle qu'effectue notre auteur. Ainsi nous pouvons considérer l'ensemble de tous les nombres rationnels dont le carré est plus petit que 2; parmi tous ces nombres, il n'y en a pas un plus grand que tous les autres; il est donc contradictoire de parler d'un nombre maximum de cette classe; mais on conçoit comme nombre d'une autre espèce (irrationnelle) celui qu'on désigne comme la racine carrée de 2, et dont on peut dire qu'il sert à exprimer que l'ensemble des nombres rationnels considéré est épuisé d'après sa loi, ou bien qu'il est la limite vers laquelle ils tendent, limite qui leur est supérieure à eux tous.

La différence dans la formation logique du nombre incommensurable et du nombre o de M. Georg Cantor n'est pas à chercher dans l'opération même que je viens d'essayer de décrire; mais elle réside d'une part, en ce que le nombre incommensurable peut paraître répondre à une réalité objective, comme par exemple ✔ 2 à la longueur de la diagonale d'un carré dont le côté est 1, d'un autre côté en ce que le mot limite a pour nous un sens incon

testablement différent quand nous entendons que cette limite est finie, quand, par suite, nous pouvons regarder tout aussi bien ✓ 2 comme limite inférieure du nombre rationnel dont le carré est plus grand que 2. Il n'y a rien de semblable pour le nombre w, tel que le conçoit M. Georg Cantor.

Maintenant, ce nombre w, on peut le considérer à son tour comme le premier d'une nouvelle classe qu'on forme suivant les mêmes règles que la première.

w, w + 1, w, + 2..........., 2 w, 2 w + 1....., w2........

Il faut remarquer que les nombres w + 1, w+2, formés par addition successive d'une unité à un nombre déjà formé, constituent un ensemble infini de la première puissance, et que la formation des nombres 2 w, 3 w... w3, w3, w1... etc., est une opération logique toute différente, analogue à celle qui a déjà fourni le nombre ∞, et que M. Georg Cantor appelle son second principe de formation, le premier correspondant à l'addition successive de l'unité.

Pour concevoir une classe supérieure à la seconde, il n'est donc plus permis de recourir à cette même opération logique, à ce second principe, puisque les nombres qu'il donne appartiennent tous à la seconde classe. M. Georg Cantor recourt donc à ce qu'il appelle le principe de limitation, c'est-à-dire à la condition que le système des nombres qui se trouvent avant tel nombre que l'on considère de la seconde classe, soit de la première puissance.

Le système tout entier des nombres de la seconde classe sera au contraire de la seconde puissance, et la construction logique de cette seconde puissance pour des nombres infinis entiers permet dès lors de constituer une classe supérieure, telle que l'ensemble de tous les nombres précédant un nombre quelconque de cette troisième classe, soit de la seconde puissance.

Cette troisième classe aura enfin une puissance supérieure à la seconde, que l'on appellera troisième, et la création idéale des classes. et des puissances successives peut, par le même procédé, être indéfiniment poursuivie.

Ces principes posés, M. Georg Cantor arrive à établir que :

1° Tout système de la première puissance peut être dénombré par des nombres de la deuxième classe de nombres et par ces nombres seuls, et on peut toujours donner aux éléments du système un ordre de succession tel que le système lui-même dans cette succession soit dénombré par un nombre donné à volonté de la deuxième classe de nombres.

2o Tout système de la seconde puissance est dénombré, dans les

mêmes conditions, par les nombres de la troisième classe de nombres.

Pour donner une idée de l'application de ces principes, si nous considérons la série des nombres entiers dans son ordre naturel, elle sera par convention dénombrée par „.

Si dans le système que forme cette série, on supprime les n premiers nombres pour les rejeter à la fin, le nombre du système deviendra

+n.

Si l'on supprime tous les nombres pairs pour les replacer dans leur ordre après les nombres impairs, le nombre du système deviendra 2 w.

Tels sont les principes adoptés par M. Georg Cantor pour une série de travaux à apparence paradoxale et qu'il convient de distinguer de ceux que nous avons analysés dans les paragraphes précédents. Personnellement, je ne serais pas très disposé à adopter le même symbolisme que lui pour des spéculations de ce genre; et je ne considère pas comme démontré que la conception ordinaire de l'infini mathématique soit insuffisante pour arriver à des résultats qui peuvent certainement éclaircir nos notions du continu et du discontinu, mais n'ont, il semble bien, qu'une valeur passablement conventionnelle. Toutefois ce n'est pas ici le lieu de discuter la question mathématique, dont j'ai touché un mot ailleurs, et mes lecteurs se contenteront sans doute pour le moment de l'aperçu que j'ai essayé de leur donner.

PAUL TANNERY.

1. Bulletin de la Société mathématique de France, 1884.

OBSERVATIONS ET DOCUMENTS

DE LA

MULTIPLICITÉ DES ÉTATS DE CONSCIENCE

CHEZ UN HYSTÉRO-ÉPILEPTIQUE

Par MM. BOURRU, professeur, et BUROT, agrégé,
à l'École de médecine navale de Rochefort.

V..., âgé de vingt-deux ans, né à Paris, passe la plus grande partie de son enfance à Luisant, près de Chartres. Maltraité par sa mère, vagabond, il est arrêté et envoyé par jugement dans une maison de correction, à la colonie de Saint-Urbain. Occupé plusieurs années de travaux agricoles, il reçoit en même temps l'instruction primaire dont il profite très bien, car il est fort intelligent.

Un jour, comme il ramassait des sarments, une vipère s'enroule autour de son bras gauche; la frayeur le jette dans une série d'attaques convulsives hystéro-épileptiques, qui le mènent progressivement à la paraplégie. Cet état ne permettant pas sans doute de le garder à l'établissement de Saint-Urbain, il fut transporté à l'asile de Bonneval, le 23 mars 1880. Là, en raison de sa paraplégie, on le place à l'atelier des tailleurs. Au bout de deux mois, après une grande attaque, la paraplégie disparut; en même temps il avait oublié à coudre et son caractère s'était transformé. (Obs. de M. Camuset.)

A dix-huit ans, c'est-à-dire en 1881, V... fut renvoyé de l'asile; revenu d'abord à Chartres, il fut ensuite placé comme ouvrier chez un propriétaire de vignobles près de Mâcon. Bientôt retombé malade, il fut soigné à l'hôpital de Mâcon, puis envoyé à l'asile de Bourg. Plus tard, rentré de nouveau à l'hôpital de Mâcon, il vint enfin à Paris où il passa successivement par différents services, notamment à Sainte-Anne et à Bicêtre.

Échappé de Bicêtre, le 2 janvier 1885, après avoir passé plusieurs semaines à Paris, il s'engage dans l'infanterie de marine et est dirigé sur Rochefort dans les derniers jours de janvier.

Peu de temps après, il commet un vol, à l'occasion duquel une instruction est ouverte au conseil de guerre. Les renseignements recueillis sur ses antécédents ne tardent pas à démontrer son irresponsabilité. Relâché de prison, il est dirigé sur l'hôpital, où il entre le 27 mars 1885, dans le service de clinique médicale de l'École de Rochefort. Le lendemain, il tombe en état de mal hystéro-épileptique, état d'où il sort avec une hémiplégie et une hémianesthésie sensitivosensorielle à droite.

Nous pensons naturellement à rechercher l'action des métaux et de l'aimant. En appliquant sur l'avant-bras droit paralysé un barreau d'acier, le transfert se produit bientôt. Mouvements, sensibilité dans ses divers modes, tout a passé de gauche à droite, avec la symétrie ordinaire. En même temps, une autre transformation s'est produite, bien plus surprenante. Tout d'un coup, les goûts de notre sujet se sont complètement modifiés, le caractère, le langage, la physionomie, tout est nouveau. Ce n'est plus le même personnage. Mieux encore! Il ne reconnaît plus les lieux où il se trouve, les personnes qui l'entourent; il se croit à Bicêtre, salle Cabanis, no 11; il a vu hier M. Voisin; il attend sa visite.

Ce changement saisissant, accompagnant le transfert de la sensibilité et du mouvement de gauche à droite, nous pensons d'abord qu'il s'agit d'une dissociation de l'action des deux hémisphères cérébraux, et tout naturellement, nous cherchons, par des expériences ultérieures, à rendre à notre sujet l'activité de son cerveau tout entier.

Après quelques tentatives infructueuses par des procédés variés, nous essayons le bain électrique, et le succès est complet. Toute paralysie du mouvement et de la sensibilité dans tous ses modes, s'évanouit sous nos yeux; en même temps la personnalité se transporte à une époque plus reculée de la vie. V.... se réveille à Saint-Urbain, le 22 mars 1877; il n'a que quatorze ans; il jouit de toutes ses facultés; il n'a jamais été malade; sa voix, son attitude, sa physionomie sont celles d'un enfant convenable; il raconte l'histoire de son enfance, ses occupations ordinaires à la colonie agricole; tout ce qui suit la date où il se trouve reporté lui est complètement étranger.

Dans cette dernière épreuve, un agent physique, l'électricité, a restitué au système nerveux l'intégrité de ses facultés motrices et sensibles, et du mênie coup a transporté la conscience à cette époque très éloignée de la vie où cette intégrité du mouvement et du sentiment n'avait pas encore été atteinte par la maladie.

Engagés dans cette voie, nous devions la poursuivre. Nous avons eu recours aux différents moyens physiques de transfert, acier, fer doux, aimant, électricité, pour obtenir des états variés qu'il nous faut maintenant décrire en détail.

PREMIER ÉTAT. Hémiplégie et hémianesthésie à droite. État ordinaire de notre malade depuis le 28 mars 1885.

« AnteriorContinuar »