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ALGÉRIE

NOTICE SUR LES LOIS, DÉCRETS ET ARRÊTÉS
PROMULGUÉS EN 1883

Par M. Jules CHALLAMEL, docteur en droit, avocat à la Cour d'appel de Paris.

L'année 1883 ne nous donne pour l'Algérie aucune loi organique nouvelle, mais seulement quelques lois de détail et surtout des projets et des propositions de lois. Cependant, elle ne paraitra pas dépourvue d'intérêt si l'on tient compte de la discussion qui s'est agitée devant la Chambre au sujet du rôle colonisateur de l'État en Algérie.

LÉGISLATION.

Le régime législatif de l'Algérie est, on le sait, très différent de celui de la métropole; les décrets y tiennent une place considérable (1). Bien que l'assimilation ait commencé à se faire, grâce à la présence d'une représentation algérienne dans le Parlement, MM. Jacques, Le Lièvre et Henry Didier ont pensé qu'il convenait d'édicter par un texte formel l'application du droit commun; dans ce but, ils ont présenté au Sénat la proposition suivante: L'article 4 de l'ordonnance royale du 22 juillet 1834 est abrogé. Les affaires algériennes seront désormais réglées par des lois, des décrets rendus en conseil d'État, des décrets présidentiels ou arrêtés ministériels, conformément aux principes du droit commun et selon les distinctions admises dans la législation de la France métropolitaine (art. 1er). Sont exécutoires en Algérie, en vertu de la promulgation faite d'après le mode prescrit dans la métropole 1° les lois et décrets relatifs à l'Algérie ou contenant la déclaration expresse qu'ils y sont applicables; 2o les lois qui auront été reconnues applicables à l'Algérie par un décret rendu en conseil d'État, après avis du conseil supérieur (art. 2) (2).

COLONISATION.

La Chambre des députés a consacré plusieurs séances à l'examen des

(1) V. Annuaire 1882, p. 102.

(2) Sénat: exposé des motifs, annexes 1883, p. 791. — V. sur le même sujet, le rapport de M. Albert Grévy, gouverneur de l'Algérie: J. Off. du 26 novembre 1880.

grandes questions de colonisation qui sollicitent plus vivement que jamais l'attention publique.

Dès 1881, le gouvernement avait proposé d'ouvrir un crédit de 50 millions, destiné à des acquisitions de terres et à des travaux de colonisation (1). Le même projet, soutenu par les différents cabinets qui se sont succédé, fut repris en 1883 par M. Waldeck-Rousseau, ministre de l'intérieur. Il serait souhaitable, en effet, qu'il y eût dans la colonie une population française assez nombreuse pour faire contre-poids, non seulement aux indigènes, mais encore aux étrangers qui y résident (2). A cet effet, l'administration proposait de créer 300 villages nouveaux dans le Tell; 150 villages environ pourraient être installés au moyen des terres appartenant à l'État; mais pour les autres, les ressources dont on a disposé jusqu'ici (terres séquestrées et soultes de rachat de séquestre) devant être promptement épuisées, il y aurait lieu, dit l'exposé des motifs, de recourir à des procédés plus efficaces et plus rapides, et principalement à l'expropriation des terres possédées par les Arabes. Chaque centre étant présumé avoir cinquante feux agricoles, avec une surface de 2,000 hectares, et le prix de l'hectare étant évalué en moyenne à 85 francs, ce serait 300,000 hectares à se procurer au prix de 25,500,000 francs. Quant à la dépense d'installation, d'après les frais moyens d'établissement des centres créés depuis 1871, elle s'élèverait au chiffre de 80,000 francs par

(1) V. Annuaire 1882, p. 111; voir aussi Annuaire 1883, p. 116. Sur toute cette question, consulter la remarquable étude de M. le comte d'Haussonville: la colonisation officielle en Algérie (Paris, Calmann Lévy et Challamel aîné, 1883). (2) D'après les résultats du dernier recensement, fait le 28 décembre 1881, la population de l'Algérie se compose de 3,310,412 àmes, dont 2,875,309 dans les communes et 435,103 dans les tribus du territoire de commandement. Cette population se répartit comme suit: Français, 233,937; israélites naturalisés (décret du 24 octobre 1870), 35,665; musulmans, sujets français, 2,850,866; étrangers, 189,944. Sur les 189,944 étrangers qui habitent l'Algérie, on eu compte: 118,945 (soit 62,62 p. 100) nés dans leur pays d'origine; 70,999 (soit 37,38 p. 100) nés en Algérie. Le nombre des ménages est de 673,267; celui des habitations est de 594,666, dont 185,136 maisons et 409,530 tentes ou gourbis. On distingue, dans le chiffre total de 3,310,412: 1o la population municipale; 2o la population comptée à part, c'est-à-dire celle qui, aux termes de l'article 2 du décret du 3 novembre 1881, ne compte pas pour l'application des lois municipales ou des lois d'impôt. La population municipale recensée en 1881, étant de 3,254,932 habitants et celle recensée en 1876, de 2,807,685, on constate une augmentation de 447,247 âmes, qui se répartit de la manière suivante :

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On voit que l'augmentation de la population française est quelque peu supérieure à celle de la population étrangère. Quant aux indigènes, l'augmentation tient à ce que, le territoire civil ayant été augmenté, le recensement Dominatif a porté sur un plus grand nombre d'individus qui échappaient antérieurement au dénombrement. V. État de l'Algérie au 31 décembre 1882, par M. Tirman, gouverneur général civil, p. 1 et suiv.

village, soit 24 millions pour les 300 villages projetés. L'ensemble des ressources nécessaires pour l'acquisition des terres et pour les travaux d'installation serait donc, en chiffres ronds, de 50 millions. Le peuplement des 300 villages à 50 feux agricoles, permettrait d'établir 15,000 familles d'agriculteurs, ou 60,000 personnes environ. En ajoutant à ce chiffre celui des industriels qui viendraient se fixer dans chaque centre, où des emplacements à bâtir et des lots de jardin leur seraient réservés (10 concessions de cette catégorie dans chaque centre), on atteindrait un total de 18,000 familles ou 72,000 personnes nouvelles prenant possession du sol de l'Algérie (1). Pour faire face à ces dépenses, le gouvernement de l'Algérie aurait obtenu de l'État une avance de 50 millions de francs, qu'il aurait remboursée par acomptes au moyen des crédits qui lui sont attribués chaque année pour travaux de colonisation.

Dans les documents préliminaires de la discussion, les chiffres d'évaluation du projet primitif ont maintes fois varié; aux termes du rapport de M. Thomson, les 50 millions proposés ne devaient plus servir qu'à la création de 175 villages nouveaux, auxquels serait affectée une superficie de 380,698 hectares, comprenant 81,009 hectares de terrains domaniaux, et 299,689 hectares de terrains à acquérir des indigènes. La population nouvelle serait de 9,649 familles seulement, soit 38,596 habitants. Mais, en dépit de ces différences de chiffres, le procédé financier auquel on demandait les 50 millions nécessaires ne subissait aucune modification grave, et le principe auquel obéissaient les députés algériens, la commission de la Chambre et les différents cabinets, continuait d'être persévéramment suivi : c'était le système de la colonisation de l'Algérie par l'État.

Cette colonisation officielle eut pour défenseurs à la tribune de la Chambre M. Tirman, gouverneur de l'Algérie, M. Waldeck-Rousseau, ministre de l'intérieur et M. Georges Graux (2). Elle fut combattue par MM. Ballue, Guichard et Lebaudy, qui lui reprochèrent d'être artificielle, inefficace et spoliatrice des indigènes. Les essais de colonisation officielle qui ont été tentés jusqu'à ce jour, dirent-ils, depuis les colonies militaires du maréchal Bugeaud, jusqu'aux convois d'ouvriers sans ouvrage en 1848, et aux colonies d'Alsaciens-Lorrains établies en 1871, n'ont que très médiocrement réussi. Sans doute, l'expérience acquise permettra d'éviter à l'avenir certaines fautes; mais l'installation, par mesure administrative et sur un mode uniforme, des familles de colons qui se sont fait inscrire, coûtera fort cher et n'aboutira pas à un peuplement sérieux. La colonisation libre, plus souple dans ses allures, est seule en mesure de donner à l'Algérie une population d'hommes actifs et persévérants, capables de se plier aux exigences et à la diversité des circonstances. D'ailleurs les inscrits sont pour la plupart, non point des colons nouveaux, mais des individus qui, déjà fixés en Algérie et qui n'ont d'autre but que de se faire donner des terres au lieu d'en acheter. La protection de l'État

(1) Chambre exposé des motifs, J. Off. 1881, p. 1973.
(2) Chambre discussion, J. Off. des 28 et 29 décembre 1883.

s'exercera d'une manière plus utile par l'exécution de travaux publics. Routes, chemins de fer, barrages, irrigations, restitutions de sources, forages, voilà les entreprises fécondes qui doivent solliciter son intervention. Au lieu d'augmenter les crédits nécessaires à ces travaux, le projet les réduit ; il en emploie la majeure partie au remboursement des 50 millions destinés aux villages nouveaux. L'Algérie ne pourra donc améliorer son réseau de voies de communication, que tout le monde s'accorde à trouver défectueux. D'ailleurs, il est d'une mauvaise politique financière de grever à l'avance le budget, pour une période de vingt-deux années, d'une obligation ferme, qu'il soit impossible de faire varier selon les ressources de chaque exercice. Quant au procédé auquel on veut recourir pour se procurer des terres, il est injuste et gros de périls pour l'avenir. Cette menace de l'expropriation suspendue sur toutes les tribus indigènes les entretient dans leur défiance contre les colons; l'expropriation leur paraît être une spoliation; c'en est une, en effet, si l'on considère que, la plupart du temps, les lenteurs et les formalités administratives, auxquelles ils ne peuvent rien comprendre, les poussent à vendre leurs créances d'indemnité à des spéculateurs, à des usuriers juifs, pour des prix dérisoires, et que, même en touchant l'indemnité qui leur a été accordée, ils sont incapables, en l'état de leur civilisation, de la faire fructifier ou d'en faire un emploi avantageux. C'est donc un aliment nouveau pour les insurrections et les révoltes que le fanatisme des confréries religieuses cherche toujours à entretenir contre la France.

Ces raisons ont déterminé la Chambre à rejeter le projet de loi qui lui était soumis. Avec lui s'est trouvé suspendu un projet de loi récemment présenté comme une sorte d'annexe au premier, et relatif au mode d'aliénation des terres domaniales en Algérie (1).

L'émotion produite parmi les colons et parmi les partisans de la cause algérienne, par l'échec du projet des cinquante millions, n'est pas encore tombée; mais l'ardeur des ressentiments qu'il a soulevés chez certains d'entre eux s'est apaisée quelque peu, grâce au contre-projet que M. le comte d'Haussonville a porté devant le Sénat, le lendemain même du vote de la Chambre (2).

Ce contre-projet s'inspire des idées qui ont été développées par MM. Ballue, Guichard et Lebaudy. Aucune expropriation ne sera faite sur les indigènes. Les terres domaniales possédées actuellement seront seules aliénées pour être affectées à la colonisation. Les lots de village et les lots de ferme qui seront ainsi livrés aux colons seront vendus aux enchères publiques. Les cahiers des charges détermineront à quelles conditions les enchères seront admises; les adjudicataires devront être Français et ne posséder au plus qu'un lot de ferme ou de village provenant d'aliénations consenties en vertu de la loi nouvelle. Une série de dispo

(1) Chambre exposé des motifs, annexes 1883, p. 1431.

(2) Sénat exposé des motifs, annexes 1883, p. 1212; rapport sommaire, annexes 1884, p. 15.

sitions spéciales, empruntées au projet de loi ministériel sur le mode. d'aliénation des terres domaniales, complète à cet égard la proposition. A côté de ces mesures, destinées à permettre l'établissement de fermes ou de villages nouveaux, M. d'Haussonville propose de consacrer à des travaux publics les ressources qui résulteront de la vente des terres domaniales: Le produit des ventes de lots de village et de ferme, des terres reconnues inutilisables pour la colonisation par une cause quelconque, ainsi que les parties de bois, broussailles clairsemées, situées en plaine et ne constituant pas un massif dont la conservation soit utile au point de vue de la salubrité ou de la conservation des sources, formera un fonds commun aux trois départements de l'Algérie, et qui devra être employé aux travaux de colonisation (art. 32). Dans le département de Constantine, les travaux à entreprendre par l'État consisteront principalement à exécuter les travaux d'utilité publique qui sont absolument nécessaires pour la bonne installation de centres nouveaux. Les plus urgents, c'està-dire chemins d'accès, assiette du village, fontaine et abreuvoir, école, devront être parachevés avant tout essai de peuplement. Dans les départements d'Alger et d'Oran, où le nombre des hectares appartenant au domaine ne permettra peut-être pas d'installer de nombreux villages, les travaux à exécuter consisteront principalement en création de chemins nouveaux pour l'exploitation agricole, captation de sources, canaux d'irrigation, plantations, ensemencements et autres entreprises d'intérêt général qui seront indiquées par le conseil supérieur et les conseils généraux de ces deux départements (art. 33).

ARMÉE.

Le projet de loi déposé par M. le général Billot sur l'organisation d'une armée d'Afrique (1) a fait place à un nouveau projet (2), qui lui-même a été retiré, puis remplacé par un troisième, émané de M. le général Campenon (3). Aucun de ces projets n'est venu en discussion devant la Chambre.

STATUT DES INDIGÈNES MUSULMANS.

La loi du 23 mars 1882 sur l'état civil des indigènes musulmans a été complétée par un règlement d'administration publique, en date du 13 mars 1883. Nous en avons donné le texte dans notre précédent Annuaire (4).

(1) V. Annuaire 1883, p. 113. Retrait du projet de loi: J. Off. du 7 juil

let 1883.

(2) Chambre: annexes 1883, p. 988; rapport, p. 1087; retrait du projet, J. Off. du 1er novembre 1883.

(3) Chambre: ibid. p. 2224. (4) Annuaire 1883, p. 125.

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Bulletin officiel, p. 236.

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