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» qui suis le roi, Jeanne, dit-il en montrant » un de ses seigneurs le voilà. Par mon » Dieu, gentil prince, reprit-elle, c'est vous, et >> non autre. » Puis elle ajouta : « Très-noble

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seigneur Dauphin, le roi des cieux vous >> mande par moi que vous serez sacré et » couronné en la ville de Reims, et vous serez >> son lieutenant au royaume de France. »

Le roi, pour lors, la tira à part, et s'entretint avec elle long-temps; il semblait se plaire qu'elle disait, et son visage devenait joyeux en l'écoutant. Il fut raconté que, dans cet entretien, elle avait dit au roi des choses si secrètes, que lui seul et Dieu les pouvaient savoir; elle-même rapporta qu'après avoir répondu à beaucoup de questions, elle avait ajouté : « Je » te dis, de la part de Messire, que tu es vrai >> héritier de France et fils de roi 1. » Et il se trouvait précisément que peu auparavant, le roi, accablé de ses chagrins et presque sans espérance, s'était retiré en son oratoire; là, il avait, au fond de son cœur et sans prononcer de paroles, prié Dieu que s'il était véritable hé

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ritier descendu de la noble maison de France, et que le royaume dût justement lui appartenir, il plût à sa divine bonté de le lui garder et défendre : du moins, de lui épargner la prison et la mort, en lui accordant refuge chez les Écossais ou les Espagnols, anciens amis et frères d'armes des rois de France 1.

peu

Un autre incident accrut encore la renommée de Jeanne, et tourna les esprits vers elle. Un cavalier vint à se noyer; on assura que, de momens auparavant, il avait grossièrement insulté Jeanne; et comme les paroles déshonnêtes qu'il lui adressait étaient mêlées de mauvais juremens: «Ah! tu renies Dieu, » avait-elle dit, quand tu peux être si proche » de la mort 2. »

:

D'ailleurs, la prophétie de Merlin semblait s'appliquer à cette jeune fille celle qui était destinée à délivrer le royaume devait venir è nemore canuto; et lorsqu'on lui demanda le nom des forêts de son pays, elle dit que

I

Sala, Exemples de hardiesse de plusieurs rois et empereurs. Manuscrit de la Bibliothèque du roi.

2 Déposition de frère Pasquerel.

tout auprès de Domremy, il y avait le bois Chesnu.

Ainsi, de moment en moment, elle gagnait faveur auprès de tous; elle avait un visage agréable, une voix douce, un maintien honnête et convenable. Le roi, depuis ce secret qu'elle lui avait dit, l'avait prise en gré, et la faisait appeler souvent pour parler avec elle. Le duc d'Alençon, qui avait payé rançon pour se racheter des Anglais, dont il était prisonnier depuis Verneuil, arriva au premier bruit de la venue miraculeuse de cette pucelle. Il la vit, et l'écouta aussi très-favorablement. On la faisait monter à cheval, et l'on trouvait qu'elle s'y tenait fort bien, avec beaucoup de grâce; on lui fit même courir des lances, et elle y montra de l'adresse. Les serviteurs du roi et les seigneurs étaient donc presque tous d'avis de croire à ses paroles, et de l'envoyer, comme elle le demandait, contre les Anglais. Les dé putés d'Orléans étaient repartis pleins d'espoir dans les promesses qu'elle leur avait faites.

Mais les conseillers, et surtout le chancelier, n'étaient pas si prompts à ajouter foi à tout ce qu'elle promettait; c'était chose péril

TOME V. 4. ÉDIT.

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leuse au roi de régler sa conduite sur les dis-. cours d'une villageoise que quelques-uns regardaient comme folle'. Les Français ne passaient point pour un peuple crédule 2; cela pouvait donner beaucoup à parler au monde, et jeter un grand ridicule. En outre, et ceci semblait bien plus grave, quelle assurance avait-on que les visions et l'inspiration de cette fille ne vinssent pas du démon, ou de quelque pacte fait avec lui? Pouvait-on encourir ainsi la colère de Dieu, en usant des arts diaboliques 3 ?

Pour mieux éclaircir des doutes si graves, le roi s'en alla à Poitiers, et y fit conduire Jeanne. L'Université de cette ville était célèbre; le parlement de Paris y siégeait. C'était un lieu où l'on ne pouvait manquer d'avoir de grandes lumières et de sages conseils. Aussi Jeanne disait-elle en chevauchant pour s'y rendre: « Je sais bien que j'aurai fort à faire » à Poitiers, où l'on me mène; mais Mes

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Edmond Richer.

2 De Sibylla francica, par un Allemand contemporain.

3 Monstrelet.

» sire m'aidera; or, allons-y donc, de par >> Dieu1, >>

Le roi assembla tous ses conseillers, et leur ordonna de faire venir des maîtres en théologie, des juristes et des gens experts, pour interroger cette fille touchant la foi.

Regnault de Chartres, archevêque de Reims et chancelier de France, manda d'habiles théologiens, et leur enjoignit de rapporter au conseil leur opinion sur la doctrine et les promesses de cette fille de dire aussi si le roi pouvait licitement accepter ses services 2.

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Les docteurs parlèrent à Jeanne avee douceur, mais chacun lui déduisit longuement les raisons qu'il y avait de ne point la croire. Elle répondit à tous sans s'épouvanter. Elle raconta comment une voix lui était apparue : comment, pendant plusieurs années, elle avait eu les mêmes visions et reçu les mêmes ordres de la part du ciel. «< Mais si Dieu veut » délivrer la France, lui disait-on, il n'a pas >> besoin de gens d'armes. - Eh! mon Dieu,

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