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coup furent tués ou blessés, et l'entreprise tourna ainsi à leur confusion. Les Anglais ne furent pas fâchés de cette mésaventure, et de la leçon qu'avaient reçue leurs présomptueux alliés. Toutefois le roi Henri disait que, s'ils n'avaient pas réussi, ils s'étaient comportés vaillamment, et qu'à la guerre les fautes où l'on montre du courage valent des succès.

Voyant que les assiégés se défendaient si bien, et ne voulaient entendre à aucun traité, quoique les vivres fussent déjà rares dans la ville, les Anglais commencèrent à creuser des mines'. Ceux de la garnison s'en doutaient, et ils épiaient avec soin si l'on n'entendait pas dans les caves quelque bruit sourd et souterrain. Un jour Louis Juvénal des Ursins, vaillant écuyer, fils de l'avocat-général, crut démêler que la mine des ennemis approchait du poste qui lui était confié, il prit sa hache et courut au lieu où le bruit était entendu. Barbazan le rencontra comme il y courait : « Louis, où vas-tu? »> lui dit-il. Et, quand il sut de quoi il s'agissait:

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Frère, tu ne sais pas bien encore ce que c'est » que de combattre dans une mine; fais-moi >> couper le manche de ta hache; les mines sont >> souvent étroites et en zig-zag: il y faut des >> bâtons courts, pour combattre main à » main. » Ils descendirent dans la cave, et envoyèrent chercher des ouvriers pour contreminer. On poussa du côté où l'on entendait le bruit, en ayant soin d'établir toujours une forte barrière devant soi. Enfin les deux mines se rencontrèrent, les manœuvres se retirèrent, et les hommes d'armes des deux partis résolurent, pour la curiosité de l'aventure, de faire quelques vaillantes joutes dans ce lieu souterrain et obscur. Le premier qui y combattit du côté des Français fut Louis Juvénal, que Barbazan fit chevalier. On pouvait se blesser, mais non se prendre, car il y avait entre les combattans une barrière à hauteur d'appui. C'était aux torches et aux flambeaux que se passait cette joute. Les uns et les autres y prirent grand plaisir; pendant plusieurs jours il s'y fit de beaux faits d'armes. Plusieurs chevaliers furent créés à cette occasion. Le roi d'Angleterre et le duc de Bourgogne voulurent eux-mêmes y

rompre des lances. Ce fut avec le sire de Barbazan que jouta le roi sans d'abord se faire connaître; mais, dès que le chevalier sut quel était son adversaire, il se retira respectueusement. Ces combats étaient une sorte de tournoi et de fête; si bien qu'au commencement, lorsque les assiégeans entendirent sonner les cloches de la ville, ils crurent qu'on s'y réjouissait de quelque secours qui arrivait; mais ils surent que c'était célébrer ces joutes. Tout se passa avec une grande courtoisie, et le roi d'Angleterre se plaisait à donner des louanà la vaillance des chevaliers du Dauphin.

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Ce prince ne désirait rien tant que de les secourir; il envoya des commissaires dans tous

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pays de son obéissance pour assembler des gens d'armes. On réunit environ quinze mille hommes, et ils se mirent en marche. Mais, lorsqu'ils furent arrivés dans le Blaisois, on sut que les Anglais et les Bourguignons étaient si nombreux et leurs camps si bien fortifiés, qu'il n'y avait rien à essayer contre eux.

Barbazan et les siens ne perdirent pas courage. Ils vivaient de chair de cheval; le pain manquait, les maladies ravageaient la garniTOME V. 4. ÉDIT.

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son; cependant elle ne voulait entendre à aucune proposition. Le roi Henri fit venir au camp le roi de France, pour que sa présence imposât davantage aux assiégés; ils répondirent qu'ils lui ouvriraient volontiers, mais non point aux mortels ennemis du royaume. Ce qui soutenait leur constance, c'est que les assiégeans souffraient cruellement aussi. L'épidémie leur emportait beaucoup de monde; les hommes d'armes n'étaient point payés; la disette régnait chez eux, comme à Paris et dans tout ce pays dévasté depuis si long-temps. Tous les chevaux mouraient.

D'ailleurs les Anglais et les Bourguignons s'accordaient chaque jour moins bien entre eux : ils avaient sans cesse des querelles. A Sens, après la prise de la ville, un grand débat s'était ému pour les logemens, et l'on en était presque venu aux mains. Ce qui offensait le plus les Français, c'était le peu d'égards qu'on témoignait à leur roi, et le petit état où on le tenait, entouré d'un petit nombre de serviteurs et médiocrement vêtu, tandis que le roi d'Angleterre avait un train plus fastueux que jamais. Ses façons étaient aussi plus

hautaines qu'il ne convenait à la France, où les nobles et les autres n'avaient pas l'habitude d'être traités par leurs maîtres avec tant de rudesse 1.

Un jour, le maréchal de l'Isle-Adam, qui commandait à Joigny, vint au camp pour quelques affaires de la guerre; il alla trouver le roi Henri, lui fit un respectueux salut, et commença à expliquer le sujet de son voyage. Le roi, qui sans doute trouvait que le maréchal ne se présentait pas devant lui avec assez de cérémonie, lui dit d'un ton railleur : « L'Isle» Adam, est-ce là une robe de maréchal de >> France? » Celui-ci, sans se troubler et regardant le roi, repartit : « Sire, j'ai fait faire » cette robe gris-blanc pour venir ici par eau, » sur les bateaux de la rivière de Seine. >> Comment! dit vivement le roi, vous regar>> dez un prince au visage en lui parlant! » Sire, répliqua l'Isle-Adam, c'est la coutume » en France que, quand un homme parle à » un autre, de quelque rang et quelque puis»sance qu'il soit, il passe pour mauvais homme

'Monstrelet. Fenin.

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