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CHAPITRE X.

Nécessité de l'emploi du sel dans
l'alimentation.

L'analyse chimique nous a démontré la présence constante du chlorure de sodium ou de la soude et du chlore dans toutes les parties de l'organisme des animaux, dans leurs sécrétions, dans leurs aliments. Pouvons-nous dire cependant que nous avons acquis la preuve absolue et rigoureuse de la nécessité constitutionnelle du sel ou de ses éléments? N'est-il pas possible que le sel n'entre pas indispensablement dans tous les composés où nous avons constaté son existence?

On peut prétendre que les animaux sont peut-être organisés de manière à pouvoir se passer absolument de sel, de soude et de chlore, et admettre que le chlorure de sodium n'a été introduit, comme produit accessoire et inutile, dans l'alimentation et par suite dans l'organisme, que par suite d'une sorte de subversion, d'une déviation produite par l'état de civilisation.

Nous posons donc cette question : les animaux pourraient-ils se passer de sel? Examinons comment nous pouvons la résoudre.

Il est bien évident pour tous ceux qui con

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naissent la valeur d'une combinaison chimique qu'il est plusieurs liquides de l'économie, tels que la bile, le sang, le sperme, etc., qui ne sauraient exister sans la présence d'une base alcaline. Seulement la question est de savoir si la soude ne pourrait pas y être remplacée par un autre alcali minéral ou même organique, comme on suppose que cela a lieu chez plusieurs végétaux où on admet que les alcalis minéraux sont rem· placés au besoin par des alcalis organiques engendrés ad hoc. Des expériences suffisamment prolongées pourraient bien dire ce qu'il peut y avoir de fondé dans une pareille hypothèse. Mais ces expériences sont impraticables sur la race humaine, et des conditions spéciales dans lesquelles il nous est impossible de nous placer, quant à présent, seraient à créer pour arriver à les réaliser à coup sûr sur les animaux. A défaut d'une solution directe de la question, nous devons avoir recours aux enseignements que l'observation des faits historiques ou géographiques et de circonstances fortuites nous fournit dans le passé et dans le présent. Peut-on fixer historiquement une époque à laquelle le sel a été introduit dans l'alimentation des hommes et des animaux? Ou bien existe-t-il des peuplades sauvages, représentants actuels des temps reculés où vivaient nos pères, des peuplades sauvages, disons-nous, chez lesquelles l'usage du sel est encore inconnu ? Enfin, s'est-t-il présenté des

circonstances particulières où l'addition du sel aux aliments a été supprimée ou diminuée pour une cause quelconque, et quels effets en sont résul tés? Il nous semble qu'en envisageant la question que nous nous sommes posée sous ce triple point de vue, de l'histoire, de la géographie et de la statistique, c'est-à-dire dans le domaine du temps, de l'espace et de l'observation, nous arriverons à suppléer, autant que possible, à une expérimentation fondée directement sur l'analyse chimique.

I.- Antiquité de l'usage du sel.

En remontant jusques au delà des temps héroïques, au delà de l'existence nomade et patriarcale des peuples pasteurs, à l'époque perdue dans la nuit des temps où l'homme a dû passer de la vie sauvage à la vie sociale, on ne parvient à fixer qu'une chose d'une manière irréfragable: c'est le constant emploi que nos ancêtres, de toute antiquité, ont fait du sel pour les usages sacrés et profanes.Si l'on interroge le plus grand des poëtes païens, le peintre le plus fidèle des anciennes mœurs des peuples des temps fabuleux, on acquiert la preuve de l'usage du sel pour l'assaisonnement des aliments, usage fort ancien et tout à fait général au temps d'Homère. Achille fait préparer, par les soins de Patrocle, un repas destiné à la députation illustre qui vient de la part

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d'Agamemnon le supplier de mettre un terme à sa juste colère et de venir prêter son secours aux Grecs repoussés par les Troyens. « Automédon, dit Homère, tient les viandes qu'Achille coupe avec dextérité; les dards en sont couverts; le fils de Ménœtius, semblable par sa stature à l'un des immortels, allume un grand feu; dès que le bois est consumé et ne jette plus qu'une flamme languissante, il étend les charbons sur lesquels il suspend les dards, répand dessus le sel divin et les soutient par des fragments de roche...

Πάσσε δ' άλος θείοιο, κρατευταίον ἐπαείρας.»

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Les livres sacrés ne laissent pas davantage de doute sur l'emploi du sel qui y est regardé comme indispensable. Peut-on manger, dit Job 2, d'un mets fade, qui n'est point assaisonné avec le sel? Aut poterit comedi insulsum, quod non est sale conditum? »

Homère appelle le sel divin, parce que le sel fut rangé, dès la plus haute antiquité, parmi les objets particulièrement consacrés aux divinités. Au commencement de chaque repas, le sel était offert aux dieux, et c'était chose tellement sainte que l'oubli de la salière dans le service de la table, la salière renversée durant le repas, le sommeil d'un convive avant que le sel et les autres assaisonnements eussent disparu de la ta(1) Iliade, chant IX, vers 214,

(2) Chap. VI, verset 6.

ble pour faire place au dessert, étaient de funestes présages. Ces superstitions se sont transmises d'âge en âge jusqu'aux générations actuelles, avec tant d'autres préjugés indestructibles sous le règne constant de l'ignorance, comme aussi avec les habitudes, les symboles, les mythes. Le sel servait à l'eau lustrale du temple païen; il sert à l'eau bénite de l'Eglise catholique. Ézéchiel1, reprochant aux Juifs leur ingratitude, leur dit qu'ils n'ont été ni lavés, ni frottés de sel. (Et quando nata es, in die ortus tui, non est præcisus umbilicus tuus, et aqua non es lota in salutem, nec sale salita, nec involuta pannis.) Le sel est encore donné aujourd'hui au nouveau-né comme signe de sagesse; il est le sal sapientiæ du baptême. Il est écrit dans saint Marc2: «Toute victime doit être salée. Le sel est bon. Ayez du sel en vous, et conservez la paix entre vous (Omnis enim igne salietur, et omnis victima sale salietur. Bonum est sal: quod si sal insulsum fuerit, in quo illud condietis? Habete in vobis sal, et pacem habete inter vos). »

La salière fut de tout temps le symbole de l'hospitalité, le signe représentatif des pactes

(1) Ch. XVI, 4.

(2) Ch. IX, 48 et 49. -Saint Luc dit aussi : Bonum est sal. Si autem sal evanuerit, in quo condietur? (XIV, 34.) - Saint Mathieu écrit : Vos estis sal terræ. Quod si sal evanuerit, in quo salietur? (V, 13.)

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