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inviolables Pactum salis est sempiternum'.

Pour exprimer que l'on avait reçu chez quelqu'un un accueil hospitalier, on disait que l'on avait mangé de son sel. Esdras, invoquant auprès des rois d'Assyrie le pacte du sel, dit2: « Les Juifs n'ont pas oublié le sel qu'ils ont mangé dans le palais d'Artaxerce... (Nos autem memores salis quod in palatio comedimus...)»

Il est donc bien démontré que le sel était le plus général assaisonnement des anciens; néanmoins il n'avait presque aucune valeur dans le commerce, ce que l'on doit sans doute attribuer à la profusion avec laquelle il est répandu à la surface et dans le sein de la terre. Lorsqu'Ulysse, après ses durs travaux, arrive déguisé en mendiant dans son palais, où il trouve assemblés et mangeant à sa table les prétendants à la main de la sage Pénélope, il reproche à Antinoüs sa dureté envers les pauvres, et Homère lui fait dire « Tu ne donnerais pas même de tout ton bien un grain de sel au suppliant qui te le demanderait.

Οὐ σύγ ̓ ἂν ἐξ οἴκου σῷ ἐπιστάτῃ οὐδ ̓ ἅλα δοίης. »

Ce vers est l'expression d'un proverbe vulgaire chez les Grecs et chez les Romains. Moschus et Plaute se servent de termes analogues pour

(1) Nombres, ch. XVIII, 19.

(2) Chap. IV, verset 14.

(3) Odyssée, chant XVII, vers 455.

dire qu'il ne sera rien donné, absolument rien. Après de telles preuves, il ne peut rester de doute dans l'esprit de personne sur l'emploi du sel par les premiers hommes; le jour où ils ont eu recours aux céréales pour soutenir leur existence, ils ont dû recourir au sel pour assaisonner leurs aliments; car, comme dit Horace1: Cum sale panis

Latrantem stomachum bene leniet.

II.- Universalité de l'usage du sel.

L'usage qu'a constamment fait du sel l'espèce japétique, à laquelle nous appartenons, est-il commun à toutes les espèces humaines ? Estce un usage universel sur la terre, indépendant des races et des lieux, des climats et des mœurs? Telle est la question que nous allons chercher à résoudre, question qui n'est pas oiseuse pour le sujet qui nous occupe; car il semble au premier abord qu'en s'en rapportant aux idées les plus répandues, mais aussi les moins approfondies parmi les écrivains, on doit la décider contre l'universalité de l'usage du sel, et conséquemment contre l'indispensabilité de cette substance dans l'alimentation de l'homme. Pour les plus anciens auteurs, ignorant les gisements du sel dans l'intérieur des terres, connaissant seulement les procédés d'extraction du

(1) Sat. lib. II, sat. 2.

sel par l'évaporation des eaux de la mer, il pouvait paraître naturel de supposer que les nations éloignées des côtes ne devaient pas connaître le sel, dans un temps surtout où le commerce continental n'existait pas encore. Les moyens de s'assurer de la vérité manquaient absolument, alors qu'aucun voyage pour ainsi dire ne s'effectuait à travers les terres. C'est donc sans étonnement que nous voyons Homère mettre dans la bouche du devin Tirésias, invoqué par Ulysse, d'après les conseils de Circé, relativement aux travaux qui l'attendaient encore, les paroles suivantes : «Après avoir immolé les prétendants, il faudra t'armer d'une large rame et voyager encore jusqu'à ce que tu trouves un pays où les hommes, ne connaissant point la mer, ne mêlèrent jamais le sel à leurs aliments, et jamais n'aperçurent ni les poupes colorées d'un rouge éclatant, ni les rames qui sont les ailes des navires.

Ειροκε τοὺς ἀφίκηαι, οἳ οὐκ ἴσασι θάλασσαν

ἀνέρες, οὐδέ θ ̓ ἄλεσσι μεμιγμένον εἶδαρ ἔδουσιν1. »

Il est difficile d'ailleurs de trouver un peuple auquel on puisse appliquer les vers d'Homère. Quelques commentateurs conjecturent que ce peuple devait être les Epirotes. Homère aurait-il ignoré que l'Epire a une frontière maritime? Cela n'est pas possible. Ces contrées étaient connues dans (1) Odyssée, ch. XI, vers 122.

le temps de la guerre de Troie, et Homère nous montre, dans l'Odyssée surtout, des connaissances géographiques fort étendues. Je me rangerais volontiers à l'opinion d'un des plus savants commentateurs du poëte grec: Kuight regarde le vers 122 et les deux suivants comme interpolés par quelque rapsode et comme ne méritant par conséquent aucun examen.

Quoi qu'il en soit, que ce passage doive être attribué à Homère ou qu'il ait été intercalé postérieurement dans ses chants, il n'en résulte pas moins que l'on admettait dans l'antiquité que le sel n'était pas absolument indispensable à l'homme pour sa subsistance, puisque les poëtes supposaient, dans leurs fictions, des peuples né mélangeant point de sel à leurs aliments. Il est curieux de voir cette opinion se perpétuer à travers les siècles, mais toujours d'une manière confuse, sans que des faits bien constatés lui aient donné jamais aucune authenticité. Daniel de Foë, l'amusant auteur du Robinson Crusoé, s'est fait de notre temps l'interprète de cette croyance généralement admise, en insérant dans son charmant livre le passage suivant1·

Le même soir, dit Robinson, j'écorchai le chevreau, je le dépeçai, et j'en mis quelques morceaux sur le feu, dans un pot que j'avais ; je les fis étuver, j'en fis un bouillon, et je donnai une partie de cette viande, ainsi préparée, à Ven(1) Chap. XXV.

dredi, qui, voyant que j'en mangeais, se mit à la goûter aussi. Il me fit signe qu'il y prenait plaisir; mais ce qui lui parut étrange, c'est que je mangeais dusel avec mon bouilli. Il me fit comprendre que le sel n'était pas bon, et, après en avoir mis quelques grains dans sa bouche, il les cracha et fit une grimace, comme s'il en avait mal au cœur, et ensuite se rinça la bouche avec de l'eau fraîche. Moi, au contraire, je fis les mêmes grimaces en prenant une bouchée de viande sans sel; mais je ne pus le porter à en faire de même, et il fut fort longtemps sans pouvoir s'y accoutumer." Daniel de Foë pouvait citer à l'appui de son dire un assez bon nombre d'auteurs rapportant que certaines peuplades sauvages et, peu industrieuses se passent absolument de sel. Haller a donné une liste de ces écrivains1 qui pour

(1) Voici le passage de Haller qu'on trouve dans son grand ouvrage : Elementa physiologiæ corporis humani (Berne, 1764, 6 vol. in-4°), t. VI, p. 219: « Neque tamen desunt gentes, vaga potissimum et parum industriæ quæ sale abstinent, in America", Brasilia; Caraïbes, Lapones d, Islandi e, Ostiaki et Swetlobi f, Africani Numidæ apud Thalams. Salis etiam usum ignorabat robusta illa puella ex gente Esquimantsi.

« Alii populi adeo anxie salsum saporem quærunt, ut etiam ex cineribus fuci salem coquant, aut ex igne (a) LAFITEAU, Mœurs des sauvages, t. II, p. 368.

(b) THEVET, France antarctique, p. 55.

(c) Saml. der Reis., t. XVII, p. 482.

(d) Galer. di Min.. t. V, p. 131; MARTIN, De Medicina lapon. Lulens,

p. 10; LINN., Flor. tapon.. p. 70.

(e) HORREBOW, p. 327; Mélanges, I, p. 199.

(f) Relat. des Voyages au Nord, t. VIII, p. 397-400.

(g) SALUSTIUS, Jugurth., p. 216.

(h) MARTIN, West Isl., p. 64; BORRICH, Hermet. Egypt. sapient., p. 343.

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