Imágenes de páginas
PDF
EPUB

quelques fables de La Fontaine, une page ou deux de Pascal, deux ou trois pages de Bossuet; peut-être, à part lui, attache-t-il peu d'importance à cette correction du langage; mais si on pouvait les initier tant soit peu aux beautés de la littérature, si on pouvait faire en sorte qu'ils pussent comprendre, sentir, toujours tant soit peu, ce qui relève de l'art; voilà, certes, qui serait, suivant lui, une belle tâche et digne qu'on s'y appliquât libérer tous ces esclaves du ventre, affiner leur sensibilité, leur ménager une petite part des jouissances que nous aimons de goûter. M. Contant est un ancien normalien, un agrégé de l'Université; rien d'étonnant à ce qu'il songe plus à l'éducation esthétique des petits Français qu'à leur instruction.

Les lecteurs se méprendront: au vrai, l'ancien normalien, l'agrégé de l'Université ne se préoccupe nullement de cette éducation-là. C'est bien dans le dessein de les amener à commettre aussi peu de fautes de français que possible que l'on doit faire apprendre ou lire aux écoliers des pages de bonne prose bien claire, des morceaux de bonne poésie très simple; c'est bien en vue de leur instruction, ce mot entendu en un sens très étroit. Et c'est parce que M. Contant entend bien aussi étroitement le mot : instruction, que nous sommes sans force pour condamner sa prétention. Autre chose est l'art, autre chose la morale; sans doute, il admet cela, mais puisqu'il ne voit dans des « morceaux choisis » à l'intention des enfants que des exercices de lecture, de mémoire, que des sujets de dictées, que des mo fèles de style, il se dit qu'on pourrait bien faire servir ces exercices à l'éducation, à l'éducation .morale et civique. Il n'y a pas là d'hérésie à proprement parler.

« Pourquoi ne ferait-on pas un Selectæ français?» Et M. Contant a fait un Selectæ français. Nous eussions préféré qu'il en fît deux, ou mieux qu'il publiât deux éditions du même recueil : celle-ci, qu'il nous donne, à l'usage du maître, et une autre à l'usage de l'élève; le même travail, les mêmes « morceaux », mais les morceaux mis simplement bout à bout; point de ces divisions conformément au programme officiel des cours d'enseignement civique et moral; 1° les notions préliminaires de la morale; 2° la famille; 3° l'école; 4° la patrie, la France; 5° les institutions politiques, la République; 6° la morale individuelle, l'homme; 7° la morale sociale, la vie humaine; la même distribution des pensées, scènes, portraits, anecdotes, le même ordre, mais sans titres de chapitres, sans remarques ni réflexions, sans rien pour découvrir, révéler l'intention de qui a choisi et ordonné les morceaux.

Avait-on besoin de nous signaler, à nous enfants qui faisions nos versions, l'abnégation des femmes spartiates envoyant leurs enfants au combat? Besoin de nous dire qu'il y avait là un trait admirable de dévouement à la patrie? Mais nous le devinions bien tout seuls, et spontanément nous éprouvions le plus vif enthousiasme. Une note, précédant notre texte et nous invitant à l'admiration. nous eût empêchés d'admirer. « Frappe, Pætus, cela ne fait pas de mal » est phrase qui se peut passer de commentaires.

Nous eussions préféré, venons-nous de dire, deux éditions; à parler plus franchement, nous eussions préféré que M. Contant s'abstìnt de publier celle qui existe, le maître n'en a que faire. L'enseignement moral et civique doit faire l'objet d'un cours, et le cours doit être professé gravement. Les beautés du style de Descartes n'ont rien à faire avec les déductions mathématiques, ni les grâces du style de Buffon avec les inductions en histoire naturelle; qu'on enseigne la morale comme on enseigne la physique, la mé◄ canique, la géologie, la zoologie, toute question de méthode mise à part, bien entendu.

M. Contant, à notre avis, s'est trompé; mais, se trompant, il ne pouvait pas mal composer le recueil qu'il pensait, lui, utile de donner; les morceaux sont bien choisis, pour la plus grande part, et ils se rapportent assez bien, ceux-ci et ceux-là, aux différents points du programme officiel : amour de la patrie, respect dû aux parents, caractère obligatoire du devoir.

F. G.

[merged small][merged small][ocr errors]

Personne n'ignore que M. Anatole France, l'auteur de ces récits si délicats, si émus, si originaux qui s'appellent le Crime de M. Sylvestre, le Livre de mon ami, les Désirs de Jean Sirvien, Jocaste; le poète inspiré des Poèmes dorés et des Noces corinthiennes; que ce rival de Sterne, que ce descendant des Grecs, fait aujourd'hui, chaque semaine, dans le Temps, une variété littéraire qu'en un mot, le poète, le romancier est passé critique. Mais, en devenant critique, il n'a pas cessé d'ètre l'écrivain d'imagination, de sentiment qu'on connaissait. Toutes les qualités qu'il avait se sont seulement appliquées à un objet différent. Il a modifié la critique, ce n'est pas elle qui l'a modifié. Sa critique est une critique en quelque sorte sensationnelle; dans tous les cas, très personnelle. On pourrait presque appeler ses articles les confessions d'un liseur, tant l'homme se sent dans le critique, tant

M. Anatole France y apporte avec sincérité les impressions de son esprit et les émotions de son cœur. Cette manière, essentiellement nouvelle, originale, donne une vie singulière à la critique, et c'est en toute verité que l'auteur a pu intituler le recueil de ses articles la Vie littéraire.

a

Il s'en explique d'ailleurs excellemment dans une lettre à M. Adrien Hébrard, l'éminent directeur du Temps, qui sert de préface au volume. Telle que je l'entends, dit-il, la critique est, comme la philosophie et l'histoire, une espèce de roman à l'usage des esprits avisés et curieux, et tout roman, à le bien prendre, est une autobiographie. Le bon critique est celui qui raconte les aventures de son âme au milieu des chefsd'œuvre. Il n'y a pas plus de critique objective qu'il n'y a d'art objectif, et tous ceux qui se flattent de mettre autre chose qu'eux-mêmes dans leurs œuvres sont dupes de la plus fallacieuse illusion. La vérité est qu'on ne sort jamais de soi-même. »

Cette théorie sur la critique soulèvera sans doute plus d'une objection; mais ces objections seront faites plutôt pour la forme que par haine de l'erreur. En effet, rien n'est plus vrai que cette théorie. Nous ajouterons qu'elle n'abaisse en aucune façon la critique, et qu'elle ne la rend pas non plus moins utile. « Raconter les aventures de son âme au milieu des chefs-d'oeuvre »>, n'est-ce donc pas analyser l'âme humaine dans la sienne et dans celle de l'écrivain que l'on analyse, que l'on critique? Et n'est-ce pas là seulement que la critique peut être vraie, vivante, intéressante, utile? Est-ce qu'un écrivain véritable n'écrit pas avec son âme et pour d'autres ames, et doit-il être jugé autrement qu'avec l'ame? Le critique, comme le philosophe, ne sort pas de soi, mais ce moi, c'est l'humanité tout entière dans le seul miroir où elle puisse se refléter.

Cette personnalité de la critique de M. Anatole France est un grand charme, non seulement par la vie très intense qu'elle lui communique, mais aussi par les véritables fragments d'autobiographie dont elle a semé ce volume. L'on ne saurait lire rien de plus ému, et qui, par conséquent, aille plus droit au cœur d'un lecteur, que les pages où M. Anatole France, à propos d'une séance académique, par exemple, nous parle de son enfance, de ses promenades rêveuses sur le quai Malaquais et le quai Voltaire; ou de sa visite à M. Cuvillier-Fleury, sous les ombrages du Ranelagh; ou de ses souvenirs si particuliers, si intimes sur M. Ronchaud, ce poète mêlé d'original.

Le critique, il ne faut pas se le dissimuler, fait

rarement œuvre de littérateur. Cela n'est donné qu'à de rares esprits. M. Anatole France est un de ces esprits on relira sa Vie littéraire, comme on relira ses romans et ses vers.

[ocr errors]

S. A.

Œuvres polémiques de Mer Freppel, évêque d'Angers (IX série). Discours prononcés à la Chambre des députés, du 1er juin 1886 au 22 mars 1888. Observations faites à la Chambre des députés dans ses diverses séances. Un vol. in-18 de 574 pages. Paris; Société générale de librairie catholique, Victor Palmé, directeur général; 1888.

L'Eglise militante aura été représentée au Parlement de France, dans le dernier tiers de ce siècle, par deux figures d'énergie et d'éloquence, dont notre patriotisme serait justement fier, en même temps que le respect et la gratitude des âmes religieuses leur sont bien acquis. L'illustre évêque d'Orléans, Mgr Dupanloup (dont les citoyens de cette ville, pour nous précieusement historique entre toutes, puisque son nom accompagne le nom sans pareil de Jeanne d'Arc, célébraient naguère avec tendresse et fierté la durable mémoire), était déjà l'une des personnalités en vue du clergé de Blois, lorsque l'année 1849 le vit appeler au siège épiscopal qu'il devait occuper vingt-neuf ans. Très jeune prêtre encore, il passait pour avoir réconcilié avec l'Église, dans ses dernières heures, cet homme pourvu de tous les dons qui font un homme grand, moins la grandeur, et qui ne devait laisser, malgré de réels services et des talents rares, qu'une figure énigmatique et une douteuse renommée. Il s'agit de Talleyrand, octogénaire, le Talleyrand d'Autun, de la messe du Champ de Mars, le Talleyrand de Napoléon et du congrès de Vienne. La part considérable prise par Msr Dupanloup à toutes les luttes sur la liberté de l'enseignement; l'ardeur de son zèle pendant toute la durée de ce long épiscopat; son dévouement pour ses concitoyens et son attitude devant l'ennemi durant les affreuses épreuves de la guerre; ses duels oratoires avec les Bert, les Challemel et tant d'autres, sont encore présents à notre souvenir. Et cependant voilà dix ans que ce foyer de vie s'est éteint, et vingt ans bientôt que ces choses se passaient. Mgr Freppel, l'évêque d'Angers, qui remplit, à la Chambre d'aujourd'hui, au même titre et avec la même haute dignité, le rôle de grand champion. de l'Église et de la liberté de conscience, n'a pas une autorité moindre, et son action est pareille. Nous ne songeons pas, on le devine, à établir diverses catégories de prestige, à propos de ceux qui parlent pareillement au nom du ciel, et tra

vaillent seulement au bien des âmes. L'activité parlementaire de Me Freppel surtout lorsqu'on songe au labeur incessant qui l'accompagne, d'une sévère administration diocésaine est bien faite pour confondre, si la chose était possible, l'infatuation de nos stériles limeurs de mots. Le volume que nous annonçons n'atteste pas seulement l'admirable vaillance de l'orateur, mais encore l'étendue de son regard, qui perçoit avec la même netteté les intérêts, les traditions et l'honneur de la France, dans les questions de concordat, de l'enseignement primaire, de l'école neutre, du service militaire, de la loi scolaire aux colonies, des affaires de Madagascar, du budget, du domaine colonial de la France, du surmenage scolaire, de la loi organique militaire, du Tonkin, du duel, des caisses de prévoyance, etc. L. D.

Voyages et Littérature, par XAVIER MARMIER, de l'Académie française. Un vol. in-18 de 372 pages. Librairie Hachette, bibliothèque variée. Paris, 1888.

Chaque année la liste des ouvrages instructifs autant qu'agréables, qui ont valu à M. Xavier Marmier un nom justement honoré dans l'histoire des lettres contemporaines, s'augmente d'un livre digne de ses aînés. La vie tout entière de M. Xavier Marmier pourrait se définir un continuel voyage, à travers les pays et les livres de l'ancien monde et du nouveau. Nul n'est plus versé que lui dans la connaissance des faits de guerre et de politique, (des légendes et des idiomes des nations voisines de la nôtre, et des peuples les plus reculés. Mais, il a surtout, avec prédilection et récidive, visité les bords du Rhin, les pays scandinaves et l'Amérique, d'où il nous a rapporté des recueils de souvenirs et d'observations également appréciés par des classes successives de lecteurs. Il a vu de près les plus célèbres hommes d'État et poètes de l'Allemagne, de la Suède-Norvège, du Danemark et de Boston, capitale du Massachussetts. Il fut l'intime ami de Longfellow et il causa familièrement avec Bernadotte... Bernadotte, l'ancien Jacobin, arrogant et brutal de l'ambassade à Vienne, le renégat de notre armée et de notre patrie, suppôt des rois allies contre la France, appelant désormais « l'ennemi » les soldats de la France. M. Xavier Marmier ne semble pas d'ailleurs avoir emporté trop mauvaise impression du révolutionnaire assagi et couronné. Peut-être aussi, M. Marmier, àme indulgente et tête philosophique, a-t-il voulu tenir compte de l'effet naturel des plus fortes crises de l'histoire sociale, sur le cœur et la morale d'un obscur fils de cet âge de tempête. Dans

---

les

sa retraite, qui n'est point une solitude, prix Montyon sont un terrible obstacle à l'isolement pour un académicien, M. Marmier voit passer dans ses contemplations studieuses, bien des ombres illustres qui s'appelaient autrefois pour lui l'amitié. C'est Thiers, dont il devait prononcer l'éloge à l'Institut; surtout, c'est Sainte-Beuve qui lui a dédié diverses poésies, comme à l'un de ses plus chers, Sainte-Beuve, qui disait : « Marmier a toujours été un ami sûr », et ajoutait en souriant : « Mais il a trompé beaucoup de femmes. » Il ne nous déplairait pas d'aborder la question que soulève ce dernier trait, et de reconnaître, une fois de plus, l'homme agréable aux femmes, dans l'habit du gentleman modéré sérieux et discret et non sous les mines du bourreau de coeurs; mais il est temps d'arriver au volume, objet de cette notice. Il suit, à peu de distance, deux séries de Contes populaires des différents pays qui méritent et n'ont pas manqué d'obtenir un grand succès, dans les lectures de la famille, et auprès des lettrés. Voyages et Littérature, tel est le titre du récent recueil, où M. Marmier a réuni dans sept chapitres : un curieux mémoire sur la découverte de l'Amérique par les Scandinaves au xe siècle; Valachie et Moldavie, poésie d'un champ de bataille; un voyage en Perse et dans le pays des Kurdes; traditions de l'Allemagne; Eric XIV; le pays des Cosaques. Dans ce dernier travail, particulièrement nourri de détails de moeurs et d'épisodes, nous trouvons ces curieuses lignes, empruntées à la relation de M. Hommaire de Hell, à propos des Cosaques : « Nulle part en Russie, on ne voyage avec plus de sécurité que dans leur pays, et nulle part le voyageur n'est accueilli avec plus d'empressement et plus de bienveillance. Le titre de Français surtout y est une excellente recommandation. Le portrait de Napoléon se trouve presque dans toutes les maisons, et fort souvent il est placé au-dessus du grand saint Nicolas lui-même. Aussi tous les vieux soldats qui ont survécu aux grandes luttes de l'empire professent-ils pour l'empereur la plus profonde vénération, et ses sentiments sont partagés par la génération actuelle. » Dans le même chapitre, de très captivante lecture, M. Marmier reproduit d'après l'entretien de M. Wagner, avec un major cosaque, le portrait de l'aïeul de celui-ci, figure impérieuse et prodigieusement pittoresque de Cosaque d'autrefois, dont les aventures guerrières, les coups de sabre et les coups d'eau-devie, touchent à la fable, avec une authenticité parfaite d'ailleurs. Agé de quatre-vingt-dix ans, cet incroyable aïeul, en apprenant que Napoléon venait nous sommes en 1812 de franchir

les frontières de l'empire du tsar, voulut encore combattre. « Ses recommandations étant faites, ses préparatifs achevés, il se mit en marché avec ses treize fils, une cinquantaine de ses petits-fils, et rejoignit l'armée de Koutouzoff, avant la bataille de Borodino... Mon grand-père avait alors quatre-vingt-dix ans, et il montra, pendant toute cette rude campagne, la vigueur d'un jeune homme. Quand nous poursuivions les Français dans leur retraite, il supportait, sans jamais se plaindre, le vent, le froid, les fatigues et les privations... le matin, il nous éveillait luimême au bivouac, d'une voix qui résonnait au loin comme le beuglement d'un taureau... » Dans cette longue expédition, il avait perdu six de ses enfants et quinze de ses petits-enfants. »> Le dernier chapitre du volume nous dit: La bibliothèque Sainte-Geneviève en 1847.

[blocks in formation]

Napoléon à l'Ile d'Elbe, par Marcelin Pellet. Prix 3 fr. 50. Paris, Charpentier. In-18. L. D. Le Théâtre à Paris (4° série), par Camille Le Senne. Paris, Le Soudier. In-18. - Prix: 3 fr. 50.

Récits mexicains, par SALVADOR QUEVEDO Y ZULIETA. in-18. Paris, Nouvelle Librairie parisienne. Savine, éditeur.

Depuis qu'une certaine sorte de littérature exotique a pris place dans le goût du public, nous sommes inondés de récits, de contes, d'études, qui se targuent de couleur locale et qui, la plupart du temps, n'ont d'originaire que le nom. C'est malheureusement un genre d'une facture facile à falsifier, quelques mots plus ou moins techniques et plus ou moins bien ajustés, déguisent, à l'espagnole ou à la russe, un banal récit qui, à l'aide d'un peu de patois normand, pourrait aussi se dérouler au pays de Caux. Ceci n'est pas dire que M. Quevedo y Zulieta soit un pseudo-Mexicain, mais qu'il a eu tort de consacrer le tiers du volume à une nouvelle Cecilia qui aurait pu également se passer à Batignolles. M. Quevedo y Zulieta avait pourtant une mine riche à exploiter, dont il ne nous donne qu'une pépite dans Juarez Errant, où il nous montre une curieuse silhouette du président traqué par l'armée française, trahi par les siens et continuant de lutter avec la seule arme de son idée et de sa force morale; mais ce n'est là qu'une vague ébauche; vague ébauche encore Periquilta, esquisse des abus du pouvoir

[blocks in formation]
[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

Histoire de Florence, depuis la domination des Médicis jusqu'à la chute de la République, par F.-T. PERRENS, membre de l'Institut. Tome Ier. Un vol. in-8°. Paris, 1888; maison Quantin, éditeur.

L'ouvrage, dont le premier volume a récemment paru, dont le second est à la veille de paraître, précédant de peu le troisième, complètement terminé, fait suite à l'oeuvre considérable de M. Perrens sur l'histoire de Florence depuis ses origines jusqu'à l'avènement des Médicis. On sait que les six volumes qui le composent ont valu à leur auteur des distinctions académiques très honorables le grand prix Jean Reynaud, puis un fauteuil à l'Institut. Le laborieux historien n'a pas reculé devant la besogne rendue plus complète par la découverte récente de nombreuses sources d'informations authentiques. Notre Bibliothèque nationale a récemment acquis du marquis Costa de Beauregard, en son vivant sénateur du royaume d'Italie, une trentaine de volumes manuscrits, contenant les uns la minute, les autres, la copie des dépêches qu'adressaient à leur maître, le duc de Milan, les ambassadeurs lombards accrédités officiellement auprès de la seigneurie florentine et, en fait, auprès du chef des Médicis. Dans les quatorze volumes d'originaux, les plus importants passages sont en chiffres; mais le chiffre a été retrouvé, et la traduction faite.

L'idée fondamentale de l'histoire des Médicis que présente M. Perrens, c'est qu'il convient, pour être juste, d'éteindre bon nombre des rayons de l'auréole dont les écrivains, complaisants d'abord, puis les historiens dénués de critique, ont entouré le nom de Médicis. Les documents nouveaux étudiés par M. Perrens l'ont confirmé dans son opinion, que les dominateurs de Florence ont été surfaits.

Les dépêches des ambassadeurs milanais ont à ce point de vue une signification très précieuse : la politique des premiers Médicis prenant son point d'appui à Milan, ces ambassadeurs deviennent, l'un après l'autre, leurs confidents, leurs familiers ces dépêches nous présentent donc, à n'en pas douter, les vrais Médicis. Elles don

nent raison, dit M. Perrens, aux rares sévérités de l'histoire; elles nous permettent de comprendre comment les Florentins se lassèrent si vite d'une famille par eux portée au pinacle, mais qui, sournoisement d'abord, effrontément bientôt, imposait sa domination, et comment enfin ils essayèrent, sous la conduite d'un moine, Savonarole, de la démocratie théocratique.

La période dont le nouvel ouvrage de M. Perrens retrace l'histoire embrasse un siècle : de 1431 à 1531. Le premier volume s'arrête à la mort de Lorenzo des Medici, en 1492.

La première partie de ce tome expose l'évolution habile et lente, sournoise plutôt de Cosimo des Medici, vulgairement appelé en France Cosme de Médicis, vers la royauté, ou plus exactement vers le pouvoir personnel : il entreprend d'établir sa domination dès le lendemain de son rappel d'exil, de sa rentrée triomphale. « Ce marchand parvenu règne sur Florence, mais uniquement par la force et l'opinion. Les citoyens, ne voyant point Cosimo affecter les dehors d'un prince, croient qu'il n'y a rien de changé dans Florence, qu'il n'y a qu'un Florentin de plus : erreur partagée jusqu'en ces derniers temps par des historiens de bonne foi, mais insuffisamment édifiés sur le rôle réel de Cosimo. » Il est très semblable à celui d'Auguste, à qui souvent il fut comparé, toutes proportions gardées. Du fond de son palais, où il se tient à l'écart, Cosimo ne gouverne pas moins que ne faisait jadis Auguste, que ne venait-il faire Maso des Albizzi.

Dès le début de l'histoire de la tyrannie cosimiesque, apparaît un personnage singulièrement intéressant, Francesco Sforza; M. Perrens en dessine un portrait fort complet; il fait mieux que le dessiner, il le fait vivre. Cosimo ne tarde pas à brouiller les affaires afin de les diriger plus autoritairement; la politique extérieure et la guerre servent à l'établissement du pouvoir du cauteleux Médicis elles sont même le prétexte de proscriptions utiles à ses desseins; la politique intérieure affermit sa puissance; politique sans scrupule, il faut le dire; politique funeste à Florence, dont le premier effet se traduit par l'augmentation des impôts existants, et l'établissement d'impôts nouveaux. Il institue entre

« AnteriorContinuar »