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autres la scala, ou impôt progressif, l'impôt de la gaziosa; les rigueurs de la perception s'ajoutent à la multiplicité des taxes; la mauvaise foi envers les créanciers de l'État rend précaire le crédit public; l'agiotage sur les titres des Monti amène des ruines fréquentes, dont le contre-coup moral et financier atteint l'État qui se fait usurier. L'opposition de Neri Capponi n'est pas suffisante à entraver l'action désorganisatrice de Cosimo. Neri Capponi était réputé vertueux, mais il avait mis sa confiance dans un homme de sac et de corde dont la vertu était le moindre souci, Baldaccio d'Anghiari, capitaine de fantassins, plus redouté qu'estimé. Si Neri voulait s'opposer aux volontés de Cosimo, on estimait qu'à l'aide de Baldaccio il pourrait, une fois gonfalonier, bouleverser la république peu après, Cosimo, chef de la Seigneurie, trouve le prétexte de faire assassiner Baldaccio.

La succession de Visconti donne naissance à des guerres et à des négociations qui font l'objet d'un chapitre très intéressant; et ce n'est pas un mince mérite d'avoir exposé avec clarté ces opérations infiniment compliquées, ces imbroglios où se complaît l'esprit vertueux de Cosimo et des Italiens en général.

Les dernières années de Cosimo sont celles d'un maître absolu, caché sous des dehors modestes. C'est bien ce qui prouve qu'il était de la race des véritables politiques, dont l'ambition se satisfait par le pouvoir seul, et non par les jouissances accessoires qu'il peut procurer. Toutefois M. Perrens insiste sur cette idée que, contrairement à l'opinion commune que l'histoire de Florence n'offre d'intérêt qu'à partir des Médicis, avec eux l'intérêt diminue. Ces intrigues misérables de la politique extérieure et ces guerres sans éclat sur un vaste théâtre où disparaissent comme perdus les Florentins, restent bien audessous de ces luttes que, sur un théâtre plus étroit, mais plus rapproché, la démocratie soutenait pour l'existence, et l'oligarchie pour la domination; et pour ce qui touche à Cosimo, le plus illustre, le fondateur du grand prestige des Médicis, M. Perrens ne voit rien en lui, si l'on excepte les lettres et les arts, qui lui mérite l'estime que les mensonges ou les réticences de ses courtisans lui ont assurée dans la postérité.

La sévère critique de M. Perrens s'attache non moins attentivement aux héritiers et successeurs de Cosimo, Piero, son fils, podagre comme lui, mais moins que lui intelligent, et Lorenzo, celui qui eut à lutter le plus contre le pape. Tous ont fondé le régime de leur gouvernement sur le mépris de la dignité humaine, sur le bon plaisir d'un seul, toujours maîtres, grâce à la balie ren

due permanente, et devenue plus d'une fois <<balie de sang », de faire condamner, sans responsabilité personnelle comme sans procédure légale, les gens que par défiance ou caprice ils tiennent pour suspects.

C'est donc vraiment le procès des Médicis qu'instruit à nouveau M. Perrens; il y apporte l'indignation d'un honnête homme contre des gens sans foi ni loi; et d'un esprit libéral contre des tyrans sans scrupule : le sens réel de ses intentions est dévoilé clairement par cette conclusion d'un de ses chapitres : « On ne pourra dire désormais que la France libre ne s'est pas associée à la libre Angleterre pour flétrir l'oppression, la suppression de toute liberté, de toute moralité. Seulement pour signaler ce mal elle remonte plus haut que la domination d'un seul, elle le trouve déjà dans la domination de l'oligarchie et si elle voit une excuse aux Médicis, c'est dans l'exemple des Albizzi. »

Nous n'avons pu, dans un étroit espace, qu'inquer l'objet essentiel de la tendance générale de l'œuvre les détails mériteraient pourtant une analyse et une critique spéciale.

Ce que nous avons dit de l'ouvrage suffit, ce nous semble, à en marquer le puissant intérêt, et combien il fait honneur à la robuste intelligence et aux laborieuses recherches de l'historien.

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Par une coïncidence singulière, nous fait remarquer l'éditeur de la Nouvelle librairie parisienne, M. Albert Savine, le jour même où mourait Bazaine, Mile Pauline Drouard publiait les curieux souvenirs du médecin particulier de Maximilien, le Dr S. Basch. Mlle Pauline Drouard, dans une préface où je regrette qu'elle sacrifie un peu trop, dans son style, au dieu de l'incohérence, met le lecteur en garde contre certaines appréciations du docteur, qui fut le serviteur fidèle, et qui est resté l'admirateur quand même, de l'éphémère et malheureux empereur. Mais cet esprit de partisan, cette persistance d'affection. personnelle, communique au récit une émotion d'autant plus tragique qu'elle est contenue et donne à cet enchaînement de faits historiques la valeur d'un drame passionné. Ce livre est, par cela même, une sorte de réquisitoire contre l'homme néfaste qui, par son ambition, conduisit Maximilien à Queretaro comme plus tard l'armée française à Metz. Si, comme nous en prévient

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Cette nouvelle histoire du protestantisme française est une œuvre de très sérieuse érudition, à laquelle l'auteur a consacré presque toute sa vie. Publiée après sa mort, elle donne bien l'idée d'un homme qui n'a jamais écouté que sa conscience historique, n'ayant d'autre but que de chercher la vérité, et de la dire quand il estime l'avoir trouvée. Cette histoire, qui commence à l'avènement au trône de François Ier, en 1515, après un rapide tableau de la naissance et des progrès du protestantisme en Europe depuis Luther, s'étend jusqu'à l'édit de Nantes, en 1598. C'est, en effet, par ce célèbre acte royal que les protestants acquirent une existence légale en France et y purent pratiquer librement leur culte. M. Aguesse, ne s'étant proposé que de raconter les événements qui touchent à son établissement, devait donc s'arrêter à cette date. La carrière, du reste, est assez vaste, et il n'est guère d'époque plus remplie que celle qui embrasse ces quatre-vingt-trois années de notre histoire. Le plan adopté par l'auteur est également très vaste, car il pénètre jusque dans les moindres détails, et l'on pourrait dire de son livre qu'il est l'histoire intime du protestantisme. Nous ne saurions l'en blâmer. Par là, il donne une singulière réalité à son récit, et en le lisant on vit véritablement au milieu de ces temps si troublés, et qui ont tant d'analogie avec ceux d'aujourd'hui. Un autre caractère de l'oeuvre de M. Aguesse est de laisser le plus souvent possible la parole aux contemporains. L'historien s'efface avec modestie devant eux, et cette modestie produit des effets si heureux qu'on pourrait la prendre pour la combinaison d'un art consommé. C'est là d'ailleurs un trait commun que l'auteur a avec nos plus récents et nos meilleurs historiens.

L'histoire tend de plus en plus à devenir une sorte de mosaïque, où trouvent place dans leur vérité puissante les documents caractéristiques d'une époque. M. Aguesse s'était promis en commençant ce vaste travail « de ne pas écrire une

seule phrase pour laquelle il ne pût citer son autorité ». Il a tenu parole. S'abstenant de toute discussion oiseuse, il substitue à ses réflexions l'émotion que produit le simple récit des évènements, et l'on n'en juge que mieux ces événements mêmes.

Du reste, rien de ce lourd appareil scientifique qui encombre le bas des pages de notes que le public ne lit guère. Quand M. Aguesse rencontre sur sa route le document décisif, le passage de l'écrivain contemporain qui fait tableau, il l'enchâsse habilement dans son récit, et c'est tout. Cette simplicité ne nous déplaît pas. De l'œuvre tout entière on peut dire que c'est un livre « de bonne foi ».

E. A.

Les Expéditions françaises au Tonkin, par M. PIERRE LEHAUTCOURT. Un vol. illustré, grand in-8°. Paris, 1888. Au journal le Spectateur militaire.

Les opinions peuvent varieret elles ne s'en font point faute - sur l'opportunité, au point de vue national, et sur la moralité, au point de vue philosophique, de la politique d'extension coloniale à main armée, sur l'opportunité de disperser nos forces parmi les continents lointains, en un temps où l'Europe est à toute heure menacée de conflagration générale et, dans tous les temps, sur la moralité des guerres de conquête motivées par le fallacieux prétexte d'initier des peuples barbares aux prétendus bienfaits de la civilisation occidentale, surtout de la part d'un peuple qui lui-même souffre cruellement et amèrement gémit de la perte d'une partie de son territoire enlevée par la force des armes. Mais il ne saurait y avoir deux opinions sur l'héroïsme des hommes, chefs glorieux, soldats obscurs, qui sont les instruments admirables et les victimes regrettées de notre récente politique coloniale en extrème Orient et particulièrement au Tonkin. C'est à nos expéditions en vue de cette dernière conquête que M. Pierre Lehautcourt consacre l'ouvrage dont il publie aujourd'hui le tome premier seulement. Nous ne sommes à aucun titre partisan de cette forme de publication scindée; nous doutons fort qu'elle soit favorable aux intérêts de l'éditeur; notre expérience du public nous l'a toujours montré rebelle à l'attrait, si réel que fût cet attrait, d'un volume isolé, si celui-ci doit être suivi à terme plus ou moins long d'un ou de plusieurs autres volumes. L'acheteur de livres est un personnage rare, récalcitrant, plein de méfiance, qui n'aime point les ouvrages dépareillés et trop heureux de pouvoir invoquer un semblant de raison pour ajourner une

acquisition. En ce tome premier, M. Lehautcourt remonte aux origines de la question du Tonkin et fait un attachant récit des événements, depuis l'aventureuse conquête d'Hanoï par une poignée d'hommes en 1872 jusqu'à l'incident de Bac-Lé en juin 1884. Ce récit est divisé en trois chapitres, dont les titres sont d'une sommaire et glorieuse éloquence: 1° F. Garnier; 29 le commandant Rivière; 3° Sontay et Bac-Ninh.

Des cartes, des plans, des vues, des types d'indigènes, des croquis de scènes militaires et de scènes maritimes, des portraits enfin ajoutent à l'intérêt du texte tantôt un complément d'information utile, tantôt une notation pittoresque plaisante au regard.

E. C.

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Ce volume est le premier publié d'une collection nouvelle, destinée à vulgariser, d'entre les ouvrages traitant de l'économie politique ou sociale, ceux-là qui semblent bien, à un titre ou à un autre, les plus considérables.

Trois autres volumes paraîtront prochainement, un Bentham, un Adam Smith, un Cavour; et l'on nous annonce, comme étant en préparation, la publication des principaux écrits de Hume, de Michel Chevalier, de Fourier, de Ricard, de Bastiat, de Schulze-Delitsch, de Quesnay, de Wolowski, de Turgot.

Félicitons et le directeur et les éditeurs de la Petite Bibliothèque. Ils ont été bien inspirés, pensant qu'il serait utile de mettre à la portée du plus grand nombre possible de lecteurs tant de travaux qui ne sont pas faits pour intéresser l'esprit seulement, qui regardent à quelques-unes des conditions de notre activité; ils ont été bien inspirés encore, estimant qu'il ne leur convenait pas d'être exclusifs. Une bibliothèque orthodoxe, si l'on veut, n'eût rien dit qui pût valoir à tous ceux qui se nourrissent des thèses de MM. Malon et Dumay, à ceux qui tiennent plus ou moins consciemment pour la liberté individuelle, pour la liberté du travail, pour la liberté des échanges; le bel avantage qu'il y aurait à ne leur pas offrir les œuvres qui relèvent des différentes écoles socialistes et qui exposent des doctrines telles que celle de l'organisation du travail ou celle de la nationalisation de la terre!

Ajoutons que rien n'a été négligé par les fondateurs de la nouvelle collection pour assurer l'heureux succès de leur entreprise; ils se sont acquis le concours des maîtres en économie po

BIBL. MOD. - XI.

litique c'est M. Courcelle-Seneuil qui présentera partie de l'oeuvre d'Adam Smith, c'est M. Léon Say qui présentera Hume, et M. Leroy-Beaulieu, et M. de Foville, et M. Levasseur donneront leurs soins à d'autres publications. L'Introduction à la Dîme royale est due à la plume de M. Georges Michel. L'étude est courte, elle compte trente-six pages à peine, — elle est très complète pourtant: renseignements biographiques, appréciation du caractère de l'éminent ingénieur, considérations générales sur le système fiscal de la France à la fin du XVIIe siècle, analyse succincte et sobre critique de l'oeuvre de Vauban.

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Dans une première étude consacrée au langage, l'auteur avait distingué quatre groupes de langues des langues trilitères (celles que l'on appelle sémitiques, l'arabe, l'hébreu,) leurs propriétés caractéristiques étant d'avoir leurs radicaux composés de trois lettres, généralement des consonnes, et de ne compter aucune des voyelles o, e, u, dans leur alphabet; des langues plurilitères, de formation postérieure (telles que le grec et le latin), qui possèdent toutes les voyelles, possèdent le verbe, sont vraiment grammaticales; et, précédant, dans le temps, ces deux groupes historiques, deux groupes antéhistoriques, des langues unilitères, des langues bili

tères.

Le colonel Carette avait entrepris la tâche de revivifier ces deux derniers groupes, d'abord simplement présumés. « L'apparition de chaque race, avait-il dit, et répète-t-il aujourd'hui, dut être constatée dans l'idiome unilitère des premiers hommes par une articulation unilitère qu'elle se donna à elle-mème ou qu'elle reçut d'une autre race douée de facultés supérieures; cette articulation devint dès lors l'indice caractéristique de la race. Elle dut la suivre dans le cours de ses migrations et signaler son intervention dans les vicissitudes ou les évolutions des groupes humains. » Ainsi, d'après l'auteur, il est une race dont le signe caractéristique, dont l'articulation distinctive « se dégage avec une netteté particulière. La race, il la nommait, il la nomme à nouveau, c'est la race aryenne; le signe caractéristique, c'est « celui qui figure dans l'ethnique Aria, c'est la lettre R ».

Parmi les articulations unilitères, poursuivait

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M. Carette, il est des gutturales, des dentales, des labiales; d'où, la race des gutturales, la race des dentales, la race des labiales. Et non seulement les « entités » humaines sont .caractérisées par des lettres (l'« entité sidérale » est caractérisée par une lettre pareillement, la lettre L), mais l'« état de l'entité », mais le « genre de l'entité » ont encore des lettres pour caractéristiques. Se rapportant à l'état de l'entité, il y a la réunion ou le groupement (lettre caractéristique, M); il y a l'isolement, la dispersion, l'acheminement (lettre caractérisque, I); il y a le gisement, le stationnement, l'habitation (lettre caractéristique, N); le commencement ou l'origine (lettre caractéristique, S); se rapportant au genre de l'entité... mais laissons parler l'auteur lui-même : « Jusqu'à l'avènement des idiomes trilitères, le genre féminin eut pour signes distinctifs soit la voyelle A, soit la dentale T placée en finale, et le genre neutre, soit la caractéristique du groupement (M), soit la caractérisque du gisement (N), le groupement et le gisement étant supposés réunir les deux sexes. >>

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L'Histoire de la littérature hindoue de M. Jean Lahor un nom de prédestiné, s'il n'est un pseudonyme nous ouvre les sources les plus reculées dans le temps de la poésie la plus merveilleuse par l'imagination la plus riche d'émotion et la plus somptueuse dans la forme, où le rêve humain se soit jamais formulé littérairement et fixé. Cette littérature, si glorieuse, de l'une des plus nobles parmi les races aryennes, -celle des Aryas Hindous, détachée de la grande famille d'où sont sortis aussi les Iraniens, les Slaves, les Germains et les Scandinaves, les Grecs, les Romains et les Celtes, cette magnifique suite d'hymnes et de poèmes religieux et philosophiques n'est à peine connue en France que de nom, même parmi les lettrés. Ce n'est pas que nos savants aient déserté ce champ d'études; notre bibliographie des travaux sur l'Inde est,

au contraire, fort étendue; mais ceux de ces travaux qui ont pour objet les littératures védique et bouddhique sont des œuvres d'érudition sévère. M. Jean Lahor, en ce volume, nous rend le service de présenter l'histoire de ces poèmes condensée dans son ensemble, suivie pourtant dans les phases successives de son développement et de sa décadence, et de page en page incessamment éclairée par de copieuses citations.

Désormais, sans avoir à disperser nos recherches ni à multiplier nos lectures, nous les possédons, sinon intégralement, au moins dans l'essentiel: ce Rig-Veda, qui éclaire d'une si vive lumière la prodigieuse mythologie aryenne et brahmanique; et les six Darsanas, expression de la philosophie des Hindous; et les Lois de Manu; et les grands poèmes bouddhiques, le Mahabharata, le Baghavad-Gita, le Harivansa, le Ramayana; et la poésie mystique de la Gita-Govinda et du Pantchadhyahy; et la religion de Siva; et les belles prières des Puranas et les formules magiques des Tantras. Le livre de M. Lahos est autre chose et mieux encore qu'une Histoire de la littérature hindoue. Une pensée très élevée a guidé l'auteur et domine son œuvre où on la retrouve de la première jusqu'à la dernière page. M. Jean Lahor est un esprit philosophique, je suis même tenté de dire un esprit religieux. Il est préoccupé de la théorie panthéiste et des théories pessimistes, nihilistes même, qui de plus en plus troublent l'âme humaine. Non seulement il recherche et suit ces idées au pays de leur origine, mais de leur histoire il essaye de tirer des prévisions sur les formes futures des religions nouvelles, et sur ce terrain M. Jean Lahor rencontre souvent des mouvements d'une réelle éloquence. Le volume ne porte aucun indice de tomaison; nous espérons cependant qu'il aura son complément, car l'auteur annonce en préparation les Petits poèmes sanscrits, les Fables, les Contes et le Théâtre des Hindous.

E. C.

L'Idéalisme en Angleterre au XVIIIe siècle, par GEORGES LYON, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur agrégé de philosophie au lycée Henri IV, docteur ès lettres. Un vol. in-8° de la Bibliothèque de philosophie contemporaine. Paris, Félix Alcan; 1888. Prix : 7 fr. 50.

M. Lyon rappelle, dans son Introduction, la remarque faite par Victor Cousin: en France, le siècle philosophique ne fut pas le dix-huitième, bien qu'il se soit complaisamment donné ce nom; le siècle philosophique français a été le dix

septième. Nous souscrivons pleinement à ce juge- | Pourquoi, à cette place, cette profession d'une

ment. M. Lyon ajoute que l'âge de Condillac, de Diderot, de Rousseau, de Voltaire fut grand, et très grand, à d'autres égards, qu'il fut même philosophique en un sens, s'étant attribué la mission de transformer la société sur un modèle proposé par la réflexion, mais que, si, par philosophie, on entend. l'étude méditative de ces problèmes « qui dépassent de l'infini les questions ardentes pour lesquelles s'agitent et bataillent les sociétés », force est bien de constater chez nous à cette époque une grande indigence philosophique. Sans doute, alors, chez nous, nous l'accordons, une grand indigence, mais Rousseau, ce nous semble, n'eût pas dû être nommé avec les empiristes de l'école de Locke; Rousseau est un penseur très original, et Kant ne le méconnaissait pas, mais M. Lyon, qui dédaigne Kant, doit aussi dédaigner Jean-Jacques. Quoi qu'il en soit, l'auteur le dit très justement : « Durant ce temps, sous l'action certaine, proclamée par les uns, inavouée ou contestée par les autres, du plus grand des métaphysiciens français, une pénétrante et subtile école intellectualiste dominait en Angleterre, et les prémisses, posées par Malebranche, y produisaient leurs conclusions les plus riches. >>

Toutefois, et il nous prévient tout de suite, l'hypothèse de la vision en Dieu n'émigra point sans laisser quelque chose d'elle aux lieux qu'elle abandonnait. Excepté le recteur de Bemerton, qu'on a pu surnommer le Malebranche anglais, tous ceux qui, de l'autre côté de la Manche, reprirent la doctrine de notre grand oratorien, en modifièrent, sinon le principe, du moins le sens et la direction. « Il se fit comme une transaction entre les axiomes métaphysiques auxquels le platonicien de l'oratoire s'était attaché et cette prédilection pour l'empirisme, qui, de temps immémorial, a été la principale inspiration du génie philosophique anglais. »

M. Lyon, qui va nous raconter, comme il dit, la plus belle époque de la pensée spéculative anglaise, écrit des phrases telles que celles-ci : « Un système philosophique est, à sa manière, un ètre qui a sa naissance, ses tâtonnements, son apogée, son déclin, souvent aussi ses résurrections. C'est donc comme la monographie d'une doctrine en un temps et dans une région déterminés que nous allons donner. Comment germa, mûrit et se transforma l'idéalisme anglais durant la première moitié du xv siècle, voilà quel pourrait être le titre exact de ce livre. Si l'ordre historique nous force à puiser en France les matériaux de notre début, la faute en est à l'évolution des choses, à cette loi du devegir qui fit continuer le Discours de la Méthode par des disciples inattendus. »>

doctrine qu'on n'oserait discuter pour cette raison même qu'il n'y est fait allusion qu'incidemment?

L'exposé est distribué sous neuf chapitres.

Au premier, une fine critique du Discours de la Méthode, du Cogito, ergo sum, et une analyse très heureuse des Première, Deuxième, Troisième et dernière Méditations. M. Lyon appelle l'attention sur cette question que Descartes s'était posée à lui-même : Qui sait si Dieu n'a point fait qu'il· n'y ait aucune terre, aucun ciel, aucun corps étendu, aucune figure, aucune grandeur, aucun lieu, et que néanmoins j'aie les sentiments de toutes ces choses?... » l'attention encore sur la réfutation que le philosophe essayait pour luimême des raisons qui l'avaient auparavant induit à tenir pour certaine l'existence d'un monde extérieur, sur cette réfutation des deux principaux arguments opposés de tout temps à l'idéalisme, l'un par « le sens commun », l'autre par les philosophes, c'est à savoir l'enseignement que donnerait la nature même et l'expérience intime que les idées ne dépendent point de la volonté. Et l'historien de nous montrer Descartes rejetant purement et simplement le premier argument qui se confond avec l'argument du consentement universel, puis s'écriant, à propos du second: «Peut-être qu'il y a en moi quelque faculté ou puissance propre à produire ces idées sans l'aide d'aucunes choses... » Mais Descartes

pose la perfection du souverain Être, sa perfection impliquant sa sincérité, et, puisque Dieu nous a donné une très grande inclination à croire que les idées sensibles portent des choses corporelles, il faut conclure, dit Descartes, qu'il y a, en effet, des choses corporelles qui existent. Voilà l'idéalisme rejeté. Rejeté, mais non pas d'une manière aussi définitive, ni aussi absolue qu'on l'a cru longtemps. Il est bon de regarder à la Correspondance.

Aux deuxième et troisième chapitres, l'auteur note l'accueil fait en Angleterre à la doctrine cartésienne. C'est sir Kenelm Digby, c'est White, c'est More qui tiennent Descartes pour un aussi grand penseur que Platon. Et le grand adversaire de la philosophie nouvelle, ce n'est pas Hobbes qui a fait au subjectivisme une part étroite, mais une part encore; le grand adversaire, c'est. Locke, ne croyant pas « que personne puisse être sérieusement si sceptique que d'être incertain de l'existence des choses qu'il voit et qu'il sent actuellement ». Économiste assez distingué et pédagogue avisé, Locke est, au demeurant, un assez pauvre philosophe. Autrement intéressant que l'Essai sur l'entendement humain est un ouvrage

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