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publié treize ans auparavant, l'Organum vetus et novum l'auteur, Burthogge, longtemps méconnu, on le pourrait considérer comme l'un des précurseurs du criticisme.

Non moins curieux que le premier chapitre est le quatrième avec une des plus belles études qui aient encore été faites de la philosophie de Malebranche, de sa psychologie de la conscience, de sa métaphysique de la vision et de l'action en Dieu. En ce chapitre-là surtout l'auteur a fait preuve d'une grande pénétration d'esprit.

Nombreux sont les prosélytes de Malebranche en Angleterre, timides sont ses contradicteurs. Dans les derniers chapitres de son bel ouvrage, M. Lyon analyse les travaux des uns et des autres, ceux de John Norris, d'Arthur Collier, qu'on oubliait, et ceux encore de Berkeley souvent analysés, résumés, présentés chez nous depuis tantôt quinze ans. Avant d'en venir à Hume, qui, pour lui, achève de fausser l'idéalisme, M. Lyon nous parle des immatérialistes américains, de Samuel Johnson, de Jonathan Edwards.

Dans sa conclusion, il laisse comme percer le regret de voir le « rationalisme » cartésien parcourir une aussi brillante carrière; il est intellectualiste. Mais c'en est-il fait de l'immatérialisme? Il pose la question et y répond : « Même de nos jours, la philosophie de l'idée est demeurée vivace en Angleterre. Le devant de la scène y est occupé par des écoles brillantes qui marquent à nos yeux les arrière-plans profonds où se tiennent les héritiers de l'immatérialisme. Ces derniers n'ont d'ailleurs à témoigner nul parti pris contre les hypothèses semi-physiques, semi-psychologiques qui accaparent aujourd'hui la curiosité générale. Bien plus, ces hypothèses, à les supposer établies, se peuvent, à la rigueur, disposer dans les cadres de leur philosophie propre. Il y a place, au sein de l'idéalisme, pour une doctrine de l'évolution, comme pour une psycho-physiologie. »> Le conflit de l'immatérialisme avec les jeunes écoles n'éclate, ajoute M. Lyon, que du moment où, peu satisfait de fournir une conception, ici cosmique, là biologique, acceptable après tout même aux Berkeleyens, évolutionnistes et psychophysiologistes prétendent seuls tenir la clef des problèmes qu'agitent le psychologue et le métaphysicien. « Ils ne s'avisent pas combien leur ambition est peu justifiée, puisqu'ils prennent pour point de départ le point d'arrivée de la philosophie mentale. Les hautes difficultés qu'ils se croient appelés à aplanir, ils ne songent pas que leurs hypothèses initiales les supposent levées. La tentative accomplie par les théoriciens de l'évolution, en vue d'expliquer et l'origine et les transformations de la connais

sance, n'aboutit que parce que les dates dont ils se sont servis impliquent et cette connaissance et la conscience même préformées... Ils débutent par une flagrante pétition de principe... » Et pour les psycho-physiologistes, que font-ils, sinon caresser « la même illusion réaliste qui fit commettre à l'école écossaise et aux éclectiques, en France, de si évidents cercles vicieux? »

Nous n'avons pu nous défendre de reproduire ces critiques, si justes, d'un esprit aussi peu dogmatique. « L'idéalisme », a encore déclaré M. Lyon, « ne barre en aucune manière la route au savant », mais, il le veut, sua cuique scientiæ tribuatur provincia.

Le dix-neuvième siècle, texte et dessins par ROBIDA. Un très beau vol. in-4° de 405 p. Paris, Georges Decaux, éditeur; 1888.

Cela trouble d'avoir à reconnaître que l'essence mystérieuse, intangible et, par définition, indéfinissable entre toutes: l'Esprit, cette flamme au foyer invisible, cette lumière qui nous éblouit sans qu'on la voie,-ne se présente jamais à nous que sous la forme d'une personne très distincte, opérant elle-même, à ce point que l'interprète le plus fidèle, la transmission la plus immédiate, efface ou gâte l'Esprit. Nous nous sommes complu jadis et nous revenons souvent encore à de lentes promenades du souvenir et de l'hypothèse, autour de ces deux mots déconcertants l'Esprit et l'Humour. Et toujours, nous avons trouvé que rien ne vaut pour se faire entendre à soi-même, il n'est pas question de les définir, de pareilles abstractions, le témoignage et l'exemple vivants. Il y aurait autant de façons que de personnes de goûter et de vouloir décrire l'esprit; mais il n'en est qu'une de le faire voir. Elle nous est fournie par le sage historique, à qui l'on demandait de prouver le mouvement, et qui, sans mot dire, se mit à marcher. En effet, l'esprit porte la marque propre de chaque individu, et le plus spontané, le plus personnel esprit est celui qu'acceptent le mieux les autres. L'esprit des gens du monde et celui des auteurs, écrivains ou artistes, approuvera de ne point tenir compte de celui des avocats ou des députés, ont un charme différent. Et, dans nos professions elles-mêmes, que de nuances, qui sont des mondes dans l'ordre de l'idéal! L'esprit de Labiche n'est point celui de Meilhac et Halévy; l'esprit acéré et délicat de Henri Rochefort, grévistes et communards à part, — n'est pas celui d'Albert Millaud, fantaisiste attique; l'esprit de Gréin, aux légendes merveilleuses, et l'esprit de Caran d'Ache, au cari-*

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car on nous

catural parisianisme exotique, ne sont pas l'esprit | Georges Decaux. A l'approche du mois des de Robida, de qui la fécondité toujours originale, et la maligne ironie toujours éclairée de bonne humeur, réclament une place légitime, en tête des plus rares esprits de notre âge.

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Depuis longtemps nous désirions payer notre dette de gratitude, pour les heures aimables dont nous lui avons l'obligation, à l'auteur du Voyage de M. Dumollet, du Vingtième siècle, du Portefeuille d'un très vieux garçon... ce dernier, véritable bijou d'humour et de talent, revue moqueuse et mélancolique des victoires et conquêtes d'un ancien beau, âgé de cent un ans... Ce portefeuille est aussi une évocation de la France passée, — la France du Directoire, de l'Empire, de la Restauration, et de Louis-Philippe, à l'appel d'un galant épicurien, doublé, comme il arrive souvent à ces heureux ennuyés, d'un sagace appréciateur de la vie, des hommes... et même des femmes... Robida, l'intarissable source de gaieté de « la Caricature, » l'illustrateur fort intelligent de Rabelais (de ce Rabelais que nul ne comprit, a dit Victor Hugo), est aussi l'auteur de plusieurs volumes de romans ou contes qui nous ont agréablement divertis, tels que: Voyages extraordinaires de Saturnin Farandoul, le Vrai sexe faible, la Vie en rose et les Peines de cœur d'Adrien Fontenille. Chacun de ces volumes est orné de dessins, dus à la même plume que le texte. La part du hasard, dont il a été parlé ici même, est la plus récente composition littéraire de M. Robida, que nous plaçons, pour son seul talent d'écrivain, en plus haut rang qu'il ne l'imagine lui-même.

Par la brutale concurrence amenée par l'irruption de tous les illettrés de l'univers dans la carrière jadis heureusement fermée des lettres, il s'est perdu d'abord le sentiment et bientôt jusqu'à la notion des signes particuliers de l'écrivain de race, remplacé par l'écriturier de métier, un être qui fait grincer la plume et puer l'encre. Il n'en est pas un seul, de ces sots parvenus, qui ne prétende nous initier à ses luttes avec le démon du mot, de l'épithète rare... et cependant toute une année les voit tous se servir du même substantif malpropre, du même impropre adjectif, de la même désarticulation de phrase, lancée par un chef de file. Aussi, quelle sensation rafraîchissante, lorsqu'on retrouve ce détachement de l'artiste ou de l'écrivain de race, qui se contente d'offrir au monde son fruit, comme un arbre bien élevé... son fruit de vie et de philosophie, amsi qu'on le voit faire au talent original, au charmant esprit, que nous désirons louer aujourd'hui.

A tous ces titres déjà hors de pair, Robida vient d'en ajouter un vraiment considérable, avec le Dix-neuvième siècle, paru d'hier à la librairie

étrennes, nous le signalons avec chaleur parmi les plus aimables présents que l'on puisse faire, aussi bien aux « belles mondaines » friandes des visions les plus coquettes de la mode d'autrefois, qu'aux liseurs de toutes classes: les simples, les raffinés et les réfléchis. Les simples s'amusent très sainement à ces histoires ingénieuses et bien conduites; les raffinés auront bientôt reconnu les ressources d'art qui se cachent sous ce facile travail; les réfléchis accorderont que l'auteur a bien rempli ce titre redoutable: le Dix-neuvième siècle, Il va finir ce siècle qui fut notre famille, notre maison, le berceau de notre père et de notre mère! Certes, en observant le perpétuel devenir de l'humanité à travers les temps, on serait illogique et téméraire de prétendre accorder à l'une de ses phases au regard de l'autre aucune différence ou supériorité. J'entends par là qu'il se trouvera toujours quelque raisonneur pour rétablir l'équilibre... ou mieux pour démontrer la quasi parité de tous ces chaînons d'une chaîne perpétuelle. Cette réserve faite, il nous semble que, malgré son renom de prosaïsme et de vulgarité, le Dix-neuvième siècle est d'une extraordinaire poésie. On le voit naître au bruit des fanfares et des chants de gloire, dominé par la jeune figure de celui que nous vimes appeler ces jours derniers dans un journal anglais : « La plus intéressante figure qui ait paru dans le monde, depuis nombre de siècles (For many à century). » Figure célébrée par les poètes de toutes les nations, Byron, Goethe, Lamartine, Chateaubriand, et par Victor Hugo, qui le chantait encore, avec un lyrique délire (et le plus sincère qu'il ait connu), dans ses derniers

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Après cette fulgurante image de Napoléon, c'est notre romantisme issu d'elle en partie... et puis, contraste unique dans les annales de l'activité humaine, parallèlement à ces excès de la fantaisie, l'entrée en scène triomphale de la vapeur, des chemins de fer, du gaz, de l'électricité, de l'industrie et de la spéculation. En repassant ce Dix-neuvième siècle dans l'éclatant livre-album de Robida, nous nous disions : « Ne semblerait-il pas, vraiment, qu'une àme différente de la nôtre ait habité les corps parés de ces étranges costumes, et que l'on devait recevoir une autre impression de la vie, au temps où c'était un long et pénible voyage d'aller jusqu'à Blois ou Valenciennes ?» Gardez-vous d'en rien croire. Qui de

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nous n'est frappé des excursions lointaines que s'offraient nos pères, à l'époque des diligences et des malles-postes? On allait déjà beaucoup à Rome avant 1820... et l'on agiotait même à des dates antérieures à celle-là. . On y fabriquait aussi du sucre, du papier, du drap et de la toile pas sensiblement moins bons que les nôtres. Veuillez noter aussi comme les figures de ces femmes et de ces hommes logés dans les hauts étages des étroites rues de jadis, sont plus gaies et plus vives que celles de nos « Five o'clock » et de nos « petits hôtels ». N'est-ce pas encore Napoléon qui a dit: « L'homme a tout perfectionné, excepté l'art d'être heureux »? Sans insister davantage sur les côtés saisissants de l'histoire du xixe siècle, on y peut bien signaler aussi, comme choses merveilleuses, les choses d'Allemagne depuis trente ans, l'énorme grossissement de la Prusse et l'aventure sans pareille de l'Italie baisant les bottes de la puissance militaire qui, en 1859, enraya les victoires libératrices de notre armée. Et si l'on touche à l'intérieur royal des nations germaniques, la noyade du roi de Bavière et la destinée de l'empereur Frédéric ne sont pas non plus indifférentes au poète et au moraliste.

Le Dix-neuvième siècle, de Robida, à n'en juger ici que le texte, la partie illustrée revenant de droit à une critique plus compétente, joint à ses autres mérites celui d'une variété très intelligente, dans l'ordre des aspects où l'auteur entend nous donner une sorte de panorama visionnaire de ce siècle. Le premier chapitre : « Comment Frédéric Ponto, trente campagnes, vingt blessures, ne devint pas maréchal de France »; aventures d'un brave des armées de

la République et de l'Empire, est digne des cahiers du capitaine Coignet, mais d'un Coignet moins enthousiaste, et qui en avait par-dessus la tête du grand homme. Ponto ne l'envoie pas dire, et, en se plaçant à son point de vue de fantassin abruti de contremarches, on ne saurait lui donner tort. C'est ensuite « la Confession d'une ancienne jeune actrice », très amusant morceau de psychologie de modiste, modèle (pas de vertu ... mais de peintres), finalement épouse légitime d'un Gross-Herzog. Les scènes d'ateliers romantiques, les séances de lectures dito, et le partage du cœur de Me Palmyre entre le peintre Petrus Ringard, le poète Marcus Marcassus l'Agreste et le romancier Guindoulas, sans parler des vaines tentatives du député d'Angoulême, sont d'un trait juste et réjouissant. Les cinq chapitres suivants nous disent les Mémoires d'une maison exposée aux barricades et aux coups de fusil de toutes nos révolutions en ce siècle; les Vieux de la vieille, déjà honorés d'une sublime poésie de

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Gautier, et d'une page splendide de Richepin, opposant l'indigence propre de ces vétérans aux goinfreries des gueules d'avocats du Parlement; Cinquante ans de dandysme, où les amours d'un vieux beau, de dix en dix années racontés par lui-même, sous l'influence du sommeil hypnotique; le Zouave Jean Bernille, héroïque histoire d'un de nos soldats, depuis la prise de Constantine jusqu'aux insurrections algériennes qui suivirent nos désastres de 1870; la ¡ernière ́diligence, évocation d'une auberge d'autrefois. J'avoue que j'abandonne sans regret au bon vieux temps ses taverniers ventripotents et ivrognes, et ses hôtelleries au confort trop primitif, dont plusieurs de nos grandes villes offrent encore des exemples nauséabonds. « Les tribulations d'un homme de goût qui n'en avait pas » et « les Victoires et conquêtes d'Alexandre Colohy » nous disent ensuite l'invasion du bric-à-brac et du bibelot, et les exploits d'un garde national depuis les comiques du temps de Gavarni jusqu'aux jeux de bouchon, aux bastions glacés, aux sorties et à la guerre sociale de 1870-71. Le Café Jeannisson est un résumé pittoresque des vicissitudes du quartier Latin; Tête fêlée, le cas d'un étudiant de 1848, pris par la politique d'alors, garibaldien pratiquant, aujourd'hui vieille barbe aux illusions perdues; la Châtelaine de Plouhic, l'humoristique tableau du lancement d'une plage.

L. D.

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Quel a été le dessein de l'auteur? A-t-il voulu vraiment, et pour notre instruction, faire reparaître à la barre cinq orateurs, au talent hautement prisé par leurs contemporains, et de qui les plaidoiries caractérisent assez bien cinq époques distinctes de l'éloquence judiciaire en notre pays? Ou bien n'a-t-il rien tant désiré que nous faire admirer, par le moyen de cinq portraits qu'il nous donne, ses propres mérites d'écrivain? Il est fâcheux qu'on soit amené à se poser pareille question, plus fàcheux qu'on soit forcé de conclure à un manque de discrétion, tout au moins, de la part de M. Munier-Jolain.

A M. Munier-Jolain on pourrait faire les reproches mêmes qu'il adresse à Patru, à Romain Desèze; on le pourrait blâmer d'avoir pris un trop grand souci des mots, « d'avoir taillé sa pierre avec un trop visible effort et une multiplication fatigante de facettes »;-il l'a remarqué: l'effort ne doit se laisser deviner, «trop de lueurs heurtées nuisent à l'unique et limpide clarté que

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dégage toute œuvre maîtresse, » de ses remarques il n'a point tiré profit; et on le pourraît blâmer de s'être, mettons apparemment, appliqué à faire de notre vieille langue française une langue synthétique. Regardons moins pourtant à ce qui gène notre esprit qu'à ce qui est capable de l'enchanter; avouons que la phrase de notre auteur, qu'elle soit elliptique et se présente comme une énigme, ou que, franche, elle ne cèle rien de ce qu'elle peut enfermer, est alerte, pleine de mouvement et de vie; que, court vêtue, parée d'un rien coquettement choisi, coquettement placé, elle va, se presse et rit; qu'elle donne aux chapitres du livre un air de conférences; le facheux, et nous y revenons, c'est qu'on fait attention aux façons de dire du conférencier plutôt qu'à ce qu'il dit.

Au reste, les qualités, bonnes ou mauvaises, de styliste ou de diseur de M. Munier-Jolain le servent en quelque manière. Les jugements qu'il porte sont superficiels, on ne s'en aperçoit pas tout de suite. Il nous parle de Claude Gaultier avec humeur; - Gaultier, qui appartient au barreau d'avant les Plaideurs (première époque), n'avait jamais tout vu comme l'Intimé; il nous parle d'Olivier Patru fort agréablement, deuxième époque le roman d'Honoré d'Urfé a paru et Patru est un précieux qui commente Vaugelas; autre époque, Loyseau de Mauléon et tout l'appareil de sensibilité; combien de larmes n'ont pas fait verser les malheurs de Valdahon! autre époque: Desèze, qui, retour de Ferney, arrive à Paris; qui abandonne le parti des philosophes pour passer dans celui de la cour, qui se charge de la défense que l'on sait, et, c'est Chateaubriand qui le dit, jouit ensuite avec bonheur et naïveté de sa gloire, semblant craindre de profaner les souvenirs religieux qu'il porte au fond de son coeur; enfin, l'époque contemporaine Berville, qui manque d'élan, de chaleur, qui fait intervenir Philippe le Bel dans l'affaire des quatre sergents de La Rochelle! M. MunierJolain parle agréablement encore, et de Loiseau de Mauléon, et de Romain Desèze et de Berville. Il est indulgent au manque de caractère des deux derniers orateurs, et, généreux pourtant, nullement sceptique, il chante son hymne à la liberté. Les analyses, plus spirituelles que fines et pénétrantes, sont bien telles que peut se les permettre un conférencier.

Nous eussions mieux aimé de véritables études.

F. G.

Les Représentants du peuple en mission et la justice révolutionnaire dans les départements en l'an II (1793-1794), par HENRI WALLON, membre de l'Institut. Tome I: la Vendée. Un vol. in-8". Hachette et Cie, éditeurs. Paris, 1888.

La République datant du 22 septembre 1792, on compta l'an I jusqu'au 31 décembre de cette année, et l'an II à partir du 1er janvier 1793, adaptant l'ère nouvelle au calendrier en usage: 1er janvier 1793, l'an II de la République française une et indivisible. Mais au mois de septembre suivant on voulut rompre avec le passé, en substituant au calendrier grégorien un calendrier où l'année commençât du jour anniversaire de la proclamation de la République. Le 22 septembre 1793 était, en réalité, le premier jour du premier mois de l'an II: c'est ainsi qu'on le compta, sans plus de souci des dates précédemment insérées dans les actes officiels.

Ainsi l'an II, commencé avec le calendrier grégorien le 1er janvier 1793, se continua avec le calendrier républicain jusqu'au 22 septembre 1794. L'an II, l'année de la Terreur, a plus de vingt mois.

Sur cette longue période, M. Wallon a fait l'enquête historique la plus minutieuse et la plus sévère. L'Histoire du fédéralisme en 1793, publiée naguère, était la suite de ses recherches sur le tribunal révolutionnaire et les préliminaires du nouvel ouvrage.

Dans l'histoire des missions, on peut marquer trois grandes époques: 1° celle de l'institution. même à propos de la levée de 300,000 hommes; 2o la révolution du 31 mai suivie de la constitution du 24 juin; 3o l'établissement du gouvernement révolutionnaire par la loi du 14 frimaire an II (4 décembre 1793).

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La Convention institua les missions pour agir sur les différents corps provinciaux; ils devaient y représenter le gouvernement, puisque les administrateurs, procureurs-syndics, du département, du district, de la commune, sortaient de l'élection. On recevait les lois, on les enregistrait, on y devait obéir; mais il n'y avait personne pour y veiller et y contraindre au nom du pouvoir central; en telle sorte que le gouvernement était sans action efficace sur les départements mal disposés. Pour combler cette lacune, il fallait qu'elle envoyât en province des hommes sur qui elle pût compter. Elle les prit dans son sein : mesure que M. Wallon qualifie avec raison de fâcheuse en ce qu'elle enlevait beaucoup de repré. sentants du peuple à leur devoir essentiel, le vote de la constitution et des lois, mais qui parut

à la Convention commandée par le besoin de donner à ces commissaires une autorité suffisante.

Les pouvoirs des représentants en mission étaient absolument illimités : ils n'étaient responsables que devant leur conscience.

M. Wallon prouve que beaucoup n'en avaient pas. Après un examen critique des missions en général, M. Wallon se renferme dans l'histoire de la guerre de Vendée; et son plan doit le mener successivement dans les différentes provinces.

autre mode, sans doute encore qu'il faudrait tout égorger, y eût-il neuf cent mille hommes. Mais je suis loin de le croire. »

C'est fort heureux.

Il est banal de dire que ce volume est d'un puissant intérêt; après l'avoir lu, l'on sent une grande impatience de voir paraître les suivants : alors seulement, du reste, il sera possible et utile de discuter.

Campagne dans le haut Sénégal et dans le haut Niger (1885-1886), par le colonel H. FREY, commandant le 2e régiment d'infanterie de marine. Un vol. in-8° accompagné de trois cartes. Paris, 1888. Plon et Cie, édit.

La méthode employée par l'éminent historien est d'une rigueur extrême il est allé, en personne, fouiller les greffes de provinces, complétant ainsi les renseignements fournis par l'ouvrage de Berriat Saint-Prix. Pas une assertion, pas une appréciation qui ne s'appuie sur un document. Nous voyons l'immixtion perpétuelle des représentants missionnaires en toutes choses, surtout en celles où ils n'entendent rien. Ils pèsent sur les conseils des généraux et s'instituent critiques de leurs ordres, les rendant à leur gré suspects au gouvernement, provoquant les rappels, les révocations, les mises en accusation, uniquement guidés par la passion politique, et partout augmentant le désarroi, ainsi que le prouvent leurs correspondances: Thirion dans la Sarthe, La-le colonel Frey. Ce sont bien les mêmes péripéties

planche dans le Calvados, Garnier de Saintes dans l'Orne et dans la Manche, Le Carpentier dans la Manche, Jean Bon Saint-André et Prieur de la Marne, dans l'Ille-et-Vilaine, Carrier dans la Loire-Inférieure, Francastel en Maine-et-Loire, tous adressent au Comité de salut public les dépêches les plus alarmantes, et, ajoute M. Wallon, <«<l'insulte qu'on y jette à l'ennemi (les Vendéens), qui d'avance n'est le plus souvent qu'une preuve de la peur qu'on en a. »

Sans doute les sympathies politiques de M. Wallon ne sont pas ignorées, et l'on peut garder une certaine réserve avant d'adhérer à ses conclusions cependant les pièces sont là, et il semble que l'historien, pressentant bien qu'en pareille cause son impartialité pourrait être sujette à caution, ait voulu la mieux garantir contre tout soupçon par l'entassement des documents authenthiques et justificatifs.

Un seul trait en donnera une idée: M. Wallon reporte sur les hommes de la Convention toutes ou presque toutes les horreurs commises dans la guerre de Vendée. Il cite le rapport de Lequinio: ce missionnaire examine les moyens d'en finir, et il écrit: « Si la population qui reste n'était que de trente à quarante mille âmes, le plus court sans doute serait de tout égorger, ainsi que je le croyais d'abord; mais cette population est immense; elle s'élève encore à quatre cent mille hommes... S'il n'y avait nul espoir de succès par un

Nous voudrions penser que ce livre, triomphant de l'indifférence habituelle du public à l'égard des ouvrages sérieux, sera lu et médité par l'élite des esprits français.

Sans exagération aucune, l'admirable récit que fit Salluste de la guerre de Jugurtha peut seul soutenir la comparaison avec l'histoire des campagnes de notre corps d'occupation du Sénégal, écrite dans un style sobre, vigoureux, précis par

d'une guerre de ruse et de combats sauvages, les mêmes rivalités des rois africains et de leurs tribus indisciplinées, les mêmes défiances, les mêmes luttes entre frères, la trahison, le ravage, le massacre, tous les éléments dramatiques que l'historien latin relève en cette guerre de Numidie, mais avec cet intérêt en plus que l'action est contemporaine, qu'au lieu de Rome c'est la France qui joue le rôle difficile, que les forces, les courages, les ressources, engagés et sacrifiés dans ces contrées lointaines et meurtrières de l'Afrique occidentale, ce sont les nôtres.

L'injustice inconsciente des hommes, qui tient sans doute à l'étroitesse de leurs moyens de connaître, a laissé dans l'ombre les événements annuels du Sénégal, tout occupés que nous étions d'une expédition plus considérable, celle du Tonkin. L'ignoble politique est cause de l'importance presque exclusive qu'a prise cette entreprise coloniale d'un si désastreux résultat jusqu'à présent; et si vous parlez du Sénégal, même à nos espèces d'hommes d'État, il est entendu que c'est une colonie faite, les manuels de géographie l'indiquent depuis longtemps comme une possession française definitive d'où l'on conclut naturellement qu'il n'y a plus à s'en occuper, que c'est un territoire organisé, productif. De temps en temps les journeaux enregistrent bien la nouvelle d'une épidémie de dysenteric, de fièvre jaune, qui décime notre corps expéditionnaire.

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