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pour des rénovateurs, ne vous gênez pas, allez-y gaiement et sans scrupule, riez-leur au nez. » On ne s'est pas gêné, en effet.

Il est, d'ailleurs, noble et fortifiant, ce spectacle d'un esprit passionnément épris d'art, cherchant, marchant, tombant pour se relever plus haut, multipliant les défaites et finalement arrivant vainqueur. M. de Goncourt est un homme de combat. A peine a-t-il touché le sol avec Germinie Lacerteux, à l'Odéon, qu'il ceint ses reins pour un nouvel assaut au Théâtre-Libre. La Patrie en danger, qui n'est point taillée dans un roman, qui est une œuvre faite de toutes pièces pour le théâtre, aura-t-elle, chez M. Antoine, meilleur accueil que son aînée chez M. Porel? L'auteur, qui attribue partie de son insuccès à la composition de la salle et partie aussi aux coupures exigées par la censure ou demandées par le directeur, le croit fermement. La question sera peut-être résolue quand paraîtront ces lignes. Qu'elle le soit dans un sens ou dans l'autre, ce sont là de généreuses batailles, les seules qui puissent assurer le triomphe de l'art. Une autre tentative qui a soulevé d'intéressantes polémiques, où d'ailleurs tout le monde est d'accord pour reconnaître le talent avec lequel l'auteur l'a conduite, a été la Mort du duc d'Enghien, trois tableaux en prose de M. Léon Hennique, représentés sur la scène du ThéâtreLibre dans les premiers jours du mois dernier. C'est l'histoire adaptée au théâtre, sans addition d'aucune sorte, sans autre ornement que la représentation exacte des lieux où le fait s'est passé. Cette restitution de l'histoire sur la scène, l'un l'appelle le théâtre réel (Écho de Paris, 14 décembre), l'autre l'appelle le théâtre analytique, par opposition au théâtre synthétique, auquel vont toutes ses préférences (Écho de Paris, 13 décembre). Nous avouons, quant à nous, que théories, formules, recettes, tout cela ne vaut que ce que vaut l'artiste ou le cuisinier. Ce qui est beau est de la bonne école, et toutes les dissertations n'y feront rien.

Transportons-nous à l'Institut, s'il vous plaît. Ce n'est, après tout, que changer de théâtre. Le mois dernier, les livres d'étrennes ont pris la place que nous réservions d'ordinaire aux immortels. Aussi, pour ne rien omettre, nous fautil remonter aujourd'hui jusqu'à la séance publique des cinq Académies, le 25 octobre, sous la présidence de M. d'Hervey de Saint-Denis. Un discours de M. Ludovic Halévy sur la première séance publique de l'Académie française (12 janvier 1673), et l'attribution du prix Volney

à M. Émile Ernault pour son Dictionnaire étymologique du moyen breton sont, croyons-nous, tout ce qu'il y a à retenir de cette solennité. Pendant l'année dans laquelle nous entrons, le bureau de l'Institut aura pour président M. Descloiseaux, délégué de l'Académie des sciences. Les autres membres sont MM. Camille Doucet, délégué de l'Académie française; Barbier de Maynard, délégué de l'Académie des inscriptions et belles-lettres; - Chapu, délégué de l'Académie des beaux-arts; - Bouillier, délégué de l'Académie des sciences morales et politiques, viceprésidents; et MM. J. Bertrand et Pasteur, secrétaires.

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Nous ne mentionnons que pour mémoire la séance annuelle de l'Académie française, le 15 novembre, avec le rapport de M. Sully-Prudhomme sur les prix de vertu, et celui de M. Camille Doucet sur les concours de l'année. Nos lecteurs ont été tenus au courant de ces concours, et ce n'est pas en pareille matière que l'on peut dire bis repetita placent. Le 22 du même mois, l'Académie a élu M. Melchior de Vogüé au fauteuil de feu Désiré Nisard. Il est permis de se demander si l'ardent et classique historien de notre littérature nationale aurait voté volontiers pour le litté rateur aimable qui a tant contribué à précipiter sur nous l'avalanche de productions slaves qu'on nous fait presque un devoir patriotique d'admirer quand même. Dans ses deux premières séances de décembre, l'Académie a reçu MM. Jules Claretie et d'Haussonville, élus le 26 janvier de la même année. Ce mois-ci, elle recevra (24 janvier) l'amiral Jurien de la Gravière. Il ne lui restera plus qu'à procéder aux réceptions de MM. Meilhac et de Vogüé pour être officiellement au complet.. Puisse-t-elle le rester longtemps!

L'Académie des inscriptions et belles-lettres a publié plusieurs sujets de concours pour 1890 et 1891. Les intéressés se les procureront facilement. Aussi n'en retenons-nous qu'un qui se rapporte directement aux choses dont nous nous occupons particulièrement ici. Le prix Brunet (3,000 fr.), pour 1891, sera décerné au meilleur travail sur la question suivante : « Dresser le catalogue des copistes de manuscrits grecs; indiquer les copies qui peuvent être attribuées à chacun d'eux; ajouter les indications chronologiques, biographiques et paléographiques relatives à ces copistes. >>

La même Académie a tenu, le 23 novembre, sa séance publique annuelle. Un rapport de M. Gréard, remarquable par l'élévation de la pensée et l'élégante lucidité de l'exposition, sur les concours de 1887, un éloge d'Henri Martin par M. Jules Simon, en voilà plus qu'assez pour donner à une séance académique un attrait peu

commun. Mais ce qui, pour nous, donne à celle-ci une importance vraiment extraordinaire, c'est la magistrale et piquante étude que M. Léopold Delisle y a lue sur un grand amateur français du XVIIe siècle, Fabri de Peyresc (1580-1637), dont M. Tamizey de Larroque est chargé, par le comité des travaux historiques, de publier la correspondance. Voyageur, érudit, lettré, « Peyresc s'occupait avec une égale ardeur et une égale compétence d'histoire naturelle, de géographie, d'astronomie, de droit, de littérature et de beauxarts... Il tenait table et maison ouvertes pour tous les savants que le hasard ou leurs affaires amenaient dans son voisinage. » Sa passion pour les livres rares était extrême. Au bout de vingt ans, il se rappelait une grammaire samaritaine « à laquelle il avoit faict l'amour » et qu'il faisait venir du Levant, avec un Pentateuque en trois langues et des manuscrits précieux. Il avait la délicatesse et les raffinements du vrai bibliophile, comme en témoignent maints passages de ses lettres. « J'ai un relieur si gentil garçon qui se rend grandement aimable, écrit-il un jour. Il a nom Corberon et dore aussi proprement comme il relie fort assidûment. » Et ailleurs : « Mon relieur vault son pesant d'or et feroit aussi bien que Le Gascon ou son doreur, s'il avoit de petits fers aussi gentils. » Et il lui en fait acheter à Paris, d'aussi beaux qu'il en peut trouver, pour orner les maroquins qu'il faisait venir par Marseille pour les reliures de sa bibliothèque. — Nous nous devions de nous arrêter un peu devant cette glorieuse figure d'ancêtre.

L'Académie des inscriptions et belles-lettres avait un remplaçant à donner à M. Bergaigne, mort si malheureusement naguère. Elle a élu (7 décembre) l'abbé Duchesne par 21 voix, contre 16 données à M. Clermont-Ganneau, savant dans les inscriptions et les poteries des vieux Sémites.

cadre des attributions de l'Académie. C'est de quoi faire flamber en plus d'un cœur l'amour désintéressé des études morales.

A l'Académie des sciences, nous notons l'élection de M. Duclaux, professeur à la Sorbonne, en remplacement de M. Hervé-Mangon, et celle de M. Schutzenberger, professeur au Collège de France, en remplacement de M. Debray. Les femmes font parler d'elles partout, en ce tempsci, et jusque dans le sein de la docte et vénérable compagnie. Un prix de mathématiques de la fondation Bordin sur cette question: «Perfectionner en un point important la théorie du mouvement d'un corps solide », a été donné à Mlle Sophie de Kowalesoski, professeur de calcul intégral et différentiel à l'Université de Stockholm. Par un sentiment de galanterie envers une étrangère que tout le monde appréciera, le prix a été porté pour cette fois à la somme de 5,000 fr.

Le concours pour le prix Rossini (les Noces de Fingal) a été clos le 31 octobre dernier à l'Académie des beaux-arts. Le concours pour l'année prochaine est ouvert dès maintenant, et ne sera fermé que le 31 décembre 1889. I.e lauréat recevra une récompense de 3,000 fr., et, suivant les termes du légataire, devra parfaitement approprier les paroles à la mélodie, et « observer les lois de la morale ».

Enfin, et pour rappeler aux Français que le mal académique sévit ailleurs que chez eux, M. Eugène Müntz a été nommé membre correspondant de la classe historique par l'Académie royale des sciences de Munich.

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Nous trouvons peu de chose à signaler dans les faits et gestes transactions, disent nos voisins des académies au petit pied qui croissent et multiplient, à Paris abondamment, en province effroyablement. Indiquons cependant le programme du Congrès des sociétés savantes pour cette an

:

De son côté, l'Académie des sciences morales et poliques ayant fait passer M. Ch. Waddington, membre correspondant de la section de philoso-née, qui a été publié tout au long dans un des phie, dans la section de morale en qualité de membre titulaire, lui a donné M. Ferraz comme remplaçant (8 décembre). La semaine suivante (15 décembre), elle élisait un titulaire dans la section de législation, droit public et jurisprudence, M. Colmet de Santerre, et deux correspondants étrangers, MM. Pabedanastjer, procureur général près le Saint-Synode à Pétersbourg, et sir James Stephen, à Londres. Elle a aussi annoncé qu'elle décernerait, pour la première fois cette année, le nouveau prix annuel de 20,000 francs, fondé par M. de Barrère, ancien consul général de France à Jérusalem et à Smyrne, au nom de Le Dissez de Pénaurum, à l'auteur de travaux rentrant dans le

derniers numéros du journal l'Université (Cerf, rue de Médicis). Les travaux sont répartis entre cinq sections histoire et philologie; archéologie; sciences économiques et sociales; sciences; et géographie historique descriptive. Le même journal, qui est l'organe de la Société pour l'étude des questions d'enseignement secondaire, annonce qu'un congrès international d'enseignement doit se tenir à Paris à l'occasion de l'Exposition universelle. Quelle universelle occasion! La Société des gens de lettres y trouve celle de coopérer à l'organisation d'un congrès international pour régler les questions de propriété littéraire et dramatique pendantes entre la France

et les pays étrangers, œuvre louable à laquelle se sont attelés déjà plusieurs congrès nationaux ou internationaux, sans avoir pu jusqu'ici arriver au but. Les efforts de l'association littéraire internationale, dont M. Louis Ulbach est président, l'en font cependant approcher un peu plus chaque année. Toujours est-il que la Société des gens de lettres, qui avait d'abord voté six mille francs la réception des littérateurs étrangers, a pour élevé la somme à dix mille. Bonne volonté évidente de faire grandement les choses!

C'est au moment ou se tiendront ces congrès divers que sera décerné par la Société d'économie politique un prix de 3,000 fr., offert par M. de Marcoartu, au meilleur ouvrage sur l'influence que les dépenses militaires exercent sur le prix de revient de la production. Une étude sur l'influence que les expositions exercent sur les prix payés par la consommation ne manquerait pas de piquant, et ne viendrait pas moins à propos.

Le Conseil municipal qui, personne ne l'ignore, est le padischah de la grammaire et des mathématiques dans les écoles de la ville de Paris, en est aussi le grand régulateur poético-musical. Il ouvre un concours entre tous les littérateurs français pour la composition d'un poème destiné au concours-que de concours! - musical de la ville de Paris. Le sujet, pris dans l'histoire, les légendes ou les grandes œuvres littéraires de la France, devra être de nature à comporter les développements les plus complets d'une œuvre musicale en plusieurs parties, avec soli, choeurs et orchestre, et exprimer les sentiments de l'ordre le plus élevé; sont exclues les œuvres écrites au point de vue spécial du théâtre ou de l'Église, ainsi que celles qui auraient déjà été exécutées ou publiées.

Les manuscrits doivent être déposés à l'hôtel de ville, bureau des beaux-arts, le 15 février, date extrême.

Le Soir, qui est un journál sérieux, bien informé et rédigé par des gens qui savent écrire, nous informait, dès le mois de novembre dernier, qu'une exposition de portraits d'auteurs et d'acteurs était ouverte dans les galeries du Théâtre d'application, 18, rue Saint-Lazare, et il ajoutait que ces œuvres constituent une véritable histoire rétrospective du théâtre. Dire d'une histoire qu'elle est rétrospective est peut-être un éloge un peu banal. En tout cas, cette galerie iconographique a un véritable intérêt pour l'histoire de l'art théâtral.

Si cette exposition n'était pas si absolument rétrospective, on y pourrait voir le portrait d'un

certain évêque hongrois, le Dr Karl Szass, qui vient d'avoir une tragédie, la Mort d'Attila, couronnée dans un concours institué par un de ses compatriotes, M. Koczan. Cet ouvrage sera représenté cet hiver au Théâtre national de Budapest. Voilà qui va faire frémir dans leur sépulcre les cendres de M. de Beaumont.

Un fait littéraire analogue se passe d'ailleurs à côté de nous. Cette fois, pourtant, il ne s'agit plus d'un prélat, non pas même d'un prêtre en exercice; mais d'un ancien prêtre du diocèse de Tours, nommé Bertrand, rédacteur en chef d'une petite feuille intitulée Tours-Journal, qui a donné au théâtre d'Amboise un drame en quatre actes intitulé la Trahison. La scène a été transportée dans l'Inde, pour éloigner les allusions politiques et religieuses qui y fourmillent, et l'abbé défroqué a joué lui-même le rôle du brahmane.

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et s'écrier: « Voilà des vers délicieux qui expriment d'une façon exquise ce qu'il veulent exprimer », c'est, il nous semble, faire mentir quelque peu Descartes lorsqu'il dit que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». On lira avec plaisir, sur cette question, un article de Nestor, dans l'Écho de Paris du 29 novembre, intitulé les Groupes littéraires. Après avoir signalé la scission de la nouvelle école en trois groupes, les décadents, les symbolistes et les philosophiques-instrumentistes, M. Henri Fouquier trouve que « le public n'est pas si sot de confondre ces trois groupes », et qu'en les prenant ensemble « il y a là une douzaine de fumistes et un cent de déséquilibrés qui s'amusent, les uns, à les autres mystifier les bourgeois ou qui pontifient en charabia. »

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Le second numéro des Écrits pour l'art n'est

nonces, ont un caractère dominant de publicité pour les diverses maisons qui y ont collaboré. Le Livre belge, au contraire, en dehors de la partie matérielle, se compose d'articles littéraires, de notices, de poèmes, etc., la plupart inédits, pour lesquels il a été fait appel aux littérateurs nationaux. Il renferme notamment diverses études techniques des plus intéressantes...

pas de nature à faire changer le verdict. Il s'y | effet, formées principalement de pages d'anmanifeste d'ailleurs une ardeur de polémique assez réjouissante, et M. Brunetière qui s'est, par un article dans la Revue des Deux Mondes, « intéressé à la chaotique nullité décadente et symboliste », n'a qu'à se bien tenir, ou on le convaincra d'être en retard d'un an ou deux sur l'évolution du poète qui a nom René Ghil! Quoi qu'il en soit, il faut répéter, en citant deux des meilleurs vers de l'école philosophique-instrumentiste :

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C'est en Belgique que se recrute l'état-major des philosophiques, symboliques, décadentistes et autres instrumentistes. En ce coin de terre hors frontières, la langue française, la littérature, l'art français, sont d'ailleurs cultivés avec passion. Il n'y a point à s'étonner que les excrescences et végétations parasitaires s'y développent abondamment. N'est-ce pas sous les frondaisons les plus touffues, dans le sol le plus épais d'humus et le plus gonflé des sucs qui font la sève, que croît en plus grand nombre « le champignon difforme ».

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L'imprimerie belge n'a pas voulu rester étrangère au mouvement qui, de toutes parts, se produit en vue de relever l'art de Gutenberg, un peu délaissé en ces dernières années, il faut bien le reconnaître.

« A cet effet le Cercle de la librairie avait convié ses membres à la publication d'un ouvrage qui, sous le titre de le Livre belge, devait constituer, dans l'esprit des organisateurs, un véritable album de spécimens d'impression.

« Le même travail a déjà été effectué en France et en Hollande avec un grand succès. Toutefois, si le projet belge a été établi sur les mêmes bases, une modification très importante a été faite pour le texte.

« Les publications française et hollandaise, en

« Le volume, imprimé dans le format impérial (35 × 25) est dû à la collaboration de vingt et une firmes pour la partie matérielle...

«La plupart des travaux ont été exécutés en typographie ou en chromotypographie. Le volume renferme aussi plusieurs pages en chromolithographie et un grand nombre de gravures reproduites d'après les divers procédés des arts graphiques.

« La reliure est due à M. Gustave Schildknecht, fondeur et relieur à Bruxelles.

« Celui-ci avait organisé un concours entre les artistes belges, peintres, décorateurs, architectes, dessinateurs et graveurs, pour le dessin destiné à servir de modèle à la plaque du plat et du dos du volume. Une prime de 200 francs a été accordée au croquis allégorique dû à M. Joseph Dierick, artiste-statuaire à Bruxelles.

« Le dessin représente un lion héraldique soulevant une draperie qui laisse à découvert une imprimerie d'autrefois. Celle-ci renferme une presse à bras qu'un ouvrier, dans une pose de grande conception, met en mouvement. Au haut de la draperie se trouvent appendus divers attributs représentant la fonderie, la gravure et la fabrication du papier.

« Le tirage chromolithographique du plat est en sept couleurs et a été éxécuté par la maison Severeyrs, de Bruxelles.

« Sur le dos du volume on voit une branche de laurier autour de laquelle est enroulée une banderole portant cette inscription: 1888. Livre belge.»

A côté de ce compendium de la librairie belge, et sans vouloir établir autrement des comparaisons, nous signalerons l'Agenda de la curiosité, des artistes et des amateurs, publié par M. Aug. Dalligny, l'habile et érudit directeur du Journal des Arts.

Enfin le Conseil municipal, que l'on retrouve partout, a ordonné, toujours à l'occasion du centenaire de 1789, la publication d'une bibliographie de l'histoire de Paris pendant la période révolutionnaire. Ce travail est confié à M. Tourneux, que ses études sur Diderot et d'autres im

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FRANCE

La question des catalogues dans les grandes bibliothèques publiques est toujours et sera, malheureusement, selon toute apparence, longtemps encore à l'ordre du jour. Un petit journal hebdomadaire qui s'intitule la Curiosité universelle (1, rue Rameau; 8 fr. par an; départements : 10 fr.), et qui ne paraît manquer ni d'ardeur, ni d'indépendance, fait, dans son numéro du 26 novembre, une charge à fond de train contre l'habitude qui sévit encore de donner les meilleures places de bibliothécaire, en guise de fauteuil de digestion et de méditation, à des littérateurs ou à des artistes trop occupés à l'extérieur de leurs travaux et de leur renommée, ou trop vieux et trop fatigués pour avoir, dans les fonctions qu'on leur confie, d'autre utilité que celle de toucher un plus ou moins gros traitement sine cura. Le rédacteur prétend, et nous n'osons point lui donner tout à fait tort, que quelques jeunes gens actifs, dont l'honnête prétention serait, comme il convient, de gagner leurs appointements par leur travail, qu'on engagerait à titre de simples catalographes, feraient, sous la direction et la surveillance d'un bibliothécaire spécialiste, incomparablement plus de besogne que les littérateurs ou fils de littérateurs dont la plupart voient, dans ces emplois de bibliothèque, une récompense accordée à leur mérite ou au mérite paternel, bien plus que des devoirs nouveaux. Il serait ainsi, d'après lui, facile, en quelques mois, de mettre à jour le catalogue de tous nos grands dépôts de livres, à l'exception de la Nationale, et encore! Le public

saurait alors exactement ce qu'il peut demander, et ne serait plus réduit, comme il l'est le plus souvent, à compter sur la bonne volonté d'un garçon mieux au courant que les autres, pour avoir la chance d'obtenir le volume qu'il désire consulter. Tels sont les voeux et réclamations de la Curiosité universelle, qu'on trouvera, nous en avons peur, bien fougueusement révolutionnaires; à moins qu'on ne proclame très haut leur justesse, ce qui est presque toujours l'indice certain que rien ne sera changé.

M. Jules Tellier, qui écrit dans le Parti national du 20 novembre un article intitulé Bibliothécaires, en est arrivé à ne plus guère fréquenter les bibliothèques parisiennes. « On ne s'y sent pas chez soi. Les chinoiseries administratives y sévissent. Il y faut, pour obtenir des livres, emplir et signer de petits papiers et attendre longtemps. » Combien il préfère les vieilles bibliothèques de province, celle du Havre qui domine le port; celle d'Évreux, qui «< est un rez-de-chaussée dans un jardin! » Non point tant, semble-t-il, au point de vue des secours que les livres y peuvent fournir au travail, qu'au point de vue du pittoresque, du confort, de la solitude, qui en font les véritables homes de la nuageuse et absorbante rêverie. Quant aux bibliothécaires qui gardent ces délicieux séjours du demi-sommeil littéraire, ils ressemblent aux gnomes qu'on rencontre parfois dans les palais des contes de fées, tant ils sont invraisemblablement fantastiques. L'un, le père Laplume, bibliothécaire au Havre, était un ancien capitaine de navire marchand. « Il avait été prisonnier des sauvages. On se chuchotait qu'il avait eu parmi

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