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borateurs reprit sa part de la pièce, pour la terminer à son goût. Soumet fit une Emilia, qui eut quelque succès au Théâtre-Français avec Mlle Mars. Victor Hugo acheva son drame, qu'il appela Amy Robsart, et, peu curieux de faire jouer une pièce dont le sujet était emprunté, le laissa dormir au fond d'un tiroir. Plus tard, en 1828, son jeune beau-frère, Paul Foucher, qui cherchait, sans y réussir, à se produire au théâtre, apprit par M. Soumet l'existence d'Amy Robsart et demanda à Victor Hugo l'autorisation de la porter à l'Odéon, comptant se faire ouvrir ainsi des portes qu'il n'avait pas pu forcer. La pièce, grâce au nom murmuré de Victor Hugo, fut reçue avec empressement. Mais elle fut extrêmement sifflée. «On a joué hier à l'Odéon, disait, le lendemain, le Journal des Débats, un drame en cinq actes, Amy Robsart, emprunté au Kenilworth de Walter Scott, et qui, traité déjà sur trois théâtres différents, reparaissait pour la quatrième fois, sans autre avantage que d'avoir été allongé outre mesure et déparé par une foule de locutions triviales. Les sifflets et les éclats de rire ont fait justice de cette vieille nouveauté. »

L'auteur de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, auquel les éditeurs ont emprunté le récit de ce qui précède pour servir d'introduction, ajoute, non sans une légitime fierté: « M. Victor Hugo, qui voulait bien donner le succès, ne voulut pas donner la chute; il écrivit immédiatement dans les journaux que les passages sifflés étaient de lui », et la pièce fut retirée le même jour.

Amy Robsart, qui date, comme on le voit, du commencement d'un siècle maintenant à son déclin, semblera moins vieille au lecteur d'aujourd'hui qu'au public distingué du Journal des Débats d'alors. La lutte de l'ambition et de l'amour dans l'âme faible et passionnée de Leicester, la duplicité froide et prête à tout de Varney, la hautaine figure d'Élisabeth, implacable dans sa tendresse autant que dans sa haine, l'ingénuité et l'héroïsme du cœur vierge et ardemment épris d'Amy Robsart, tout, jusqu'aux personnages secondaires comme le père d'Amy, le sorcier Alasco et le bateleur Flibbertigibbet, est dessiné nettement, d'un trait ferme et sûr, et possède cette vie personnelle qui fait, des fantômes nés dans l'imagination du poète, autant d'êtres distincts, souvent plus réels et plus suggestifs d'intérêt et d'émotion que les créatures en chair et en os, au milieu desquelles nous passons indifférents.

Je ne m'attarderai pas à rappeler la donnée du drame. Depuis que Walter Scott l'a tirée de sa chrysalide historique, la touchante histoire a fait frissonner et pleurer des générations de lec

teurs. Est-il besoin de dire que Victor Hugo, loin de lui enlever rien de son intensité, y a ajouté plutôt ? L'horreur de la catastrophe au dernier acte, l'incendie, l'effondrement final où les persécuteurs sont abîmés après leur douce et innocente victime, avec, ricanant au-dessus, la figure grimaçante de l'étrange justicier Flibbertigibbet, forment un tableau où se condense avec une incomparable énergie toute la terreur tragique.

On me dispensera aussi de rechercher les locutions triviales qui choquèrent si fort le goût épuré du Journal des Débats de 1828. La délicatesse des puristes de ce temps-là semblerait fort. ridicule même aux puristes du nôtre. Je préfère noter un passage où la simplicité de l'expression atteint le sublime, et remue le coeur à fond. Varney a comploté d'enlever Amy Robsart du château de Kenilworth, et, pour supprimer toute résistance, il lui envoie un breuvage soporifique par la femme qui la sert; cette femme le lui apporte comme une potion calmante, de la part du concierge Foster, dont Amy connaît le dévouement.

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Esprits simples qui s'imaginent que les plaies de l'âme peuvent se guérir avec les remèdes du corps, que le désespoir n'est qu'une maladie, et qu'on peut rendre le sommeil à des yeux qui ne peuvent plus même pleurer! A quoi bon boire ceci?... Cependant ces bons serviteurs qui m'ont préparé ce breuvage, qui se sont dit : « Cela fera du bien à notre pauvre maîtresse!» dédaignerais-je leurs soins? Il n'y a plus au monde que ces deux cœurs qui s'intéressent à moi, il n'y a plus que ce concierge et cette servante qui aient pitié de la comtesse de Leicester; puisqu'ils veulent me soigner, je leur dois au moins de me laisser faire... Buvons. (Elle prend le gobelet et le porte à ses lèvres.)

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AMY.

Vous avez donc pu vous en échapper?

FLIBBERTIGIBBET.

Je doute que, malgré ma prestesse de lutin, j'aie pu opérer ce prodige. J'ai été tiré de là par un vieux diable, de son nom terrestre Alasco. Un passage secret, ménagé dans l'épaisseur du mur, communiquait de ma cellule au laboratoire. Oh! ce n'est pas par bonté d'âme qu'il m'a délivré, ce cher Alasco! Il a fait ses conditions. On me chargeait de la délicate mission de vous enlever d'ici endormie. Endormie de quelle espèce de sommeil ? je l'ignore. J'ai pu saisir quelques mots d'un rapide colloque entre votre Varney et mon Alasco. Varney venait chercher une boisson commandée par lord Leicester et destinée à lady Leicester. Cette boisson, la voilà.

AMY.

Et qu'est-ce que c'est que cette boisson?

FLIBBERTIGIBBET.

Il n'y a pas à s'y méprendre. Elle sort de la cuisine d'Alasco; c'est du poison!

AMY.

Du poison! Et c'est Leicester qui me l'envoie?

FLIBBERTIGIBBET.

C'est lui qui a commandé pour vous ce breuvage.

AMY.

Mon Dieu, pardonnez-moi! (Elle reprend le gobe. let et le porte vivement à ses lèvres).

FLIBBERTIGIBBET, l'arrêtant.

Que faites-vous, madame? C'est du poison, je vous dis! Ne m'avez-vous pas entendu ?

AMY.

Sans doute, j'ai entendu; mais, puisque c'est Leicester qui l'envoie, ce poison, il faut bien que je le boive. (Elle porte de nouveau le gobelet à ses lèvres : Flibbertigibbet le lui arrache.)

FLIBBERTIGIBBET.

Non! vous m'avez sauvé la vie, c'est mon tour! Au diable cette liqueur du diable! (Il jette le gobelet à terre). Vous verrez qu'avant une heure ce plancher sera aussi noir que s'il avait été brûlé par le triple souffle de Cerbère.

AMY, l'œil fixé sur le breuvage répandu. Qu'avez-vous fait, et que vais-je devenir, maintenant que je n'ai plus de poison?

Je ne connais, dans les chefs-d'œuvre dramatiques de tous les temps, rien de plus grand que ce simple mot.

Au surplus, quand on parle de ce beau drame comme d'une œuvre de jeunesse, on a raison et on a tort. Le poète oublie un temps ce qu'il a fait étant jeune; mais il l'aime inconsciemment, et le souvenir s'en réveille un jour. C'est ainsi que beaucoup plus tard, cette Amy Robsart qui, après l'orageuse soirée de l'Odéon, dormait dans les papiers de Victor Hugo, sollicita tout à coup son esprit, si bien qu'il la reprit, la retoucha et en fit l'ouvrage achevé dont je viens d'essayer de donner

une idée au lecteur. On doit à la vérité d'insister sur ce point.

La reprise du Henri III d'Alexandre Dumas a été un succès; Richepin vient de donner un drame conçu à la façon romantique et qui a été un succès. D'autres expériences, beaucoup d'indices décisifs marquent que les vieilles sources d'émotion ne sont pas taries, et que, malgré ceux qui prétendent avoir changé tout cela, les fibres du cœur vibrent encore à leur ancienne place. Ceci étant, je ne plaindrais point le directeur qui, dans des conditions de mise en scène et d'exécu tion dignes de Victor Hugo, offrirait au public de 1890 la pièce que siffla si bien un soir le public de 1828.

Et le nom de l'auteur n'y serait pour rien. Amy Robsart est un drame intéressant et émouvant; mais il tient une place à part dans l'œuvre de Victor Hugo: lorsque Victor Hugo en a donné le premier jet, le dramaturge qu'il fut plus tard n'était pas encore né. Je ne m'étonne point, pour mon compte, qu'il l'ait abandonné à Paul Foucher, pas plus que je ne m'étonne qu'il ait songé à le parachever depuis. Au point où il est, l'ouvrage est bon et peut, sans faire appel à la religion des souvenirs, par ses seuls mérites, se soutenir à la scène.

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La seconde partie de ce nouveau volume d'œuvres inédites est occupé par un drame en vers, resté incomplet, et intitulé les Jumeaux. Victor Hugo l'écrivait en 1839, entre Ruy Blas et les Burgraves. Pourquoi s'est-il arrêté au milieu du troisième acte? L'avertissement des éditeurs, qui compare heureusement cette composition fragmentaire au premier état des eaux-fortes de Rembrandt ou de tout autre grand graveur que plus d'un amateur préfère à l'état définitif, ne nous le dit pas. Quoi qu'il en soit, le fragment est d'une grande vigueur et, par endroits, d'une merveilleuse beauté. Rien n'est absolument fini; les proportions ne sont pas réglées; des développements trop touffus embarrassent la marche de l'action, comme une végétation trop luxuriante embarrasse les pieds de l'explorateur dans les forêts tropicales. Quelques-uns même sont pénibles et mal venus, comme le boniment du saltimbanque Tagus, qui ne me paraît pas de nature à susciter chez les bourgeois et manants qui l'écoutent, la « vive sensation » que le jeu de scène indique. Mais, comme l'ensemble est d'un effet colossal, modelé d'un pouce souverain, pénétré d'horreur tragique et de pathétique tendresse! Comme on y reconnaît le maître des larmes et du rire, celui qui sait à son gré faire siffler l'ironie, déchaîner la colère, angoisser et fendre le cœur !

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voix qui, en chantant ce qui s'est passé, prédit ce qui se passera.

Le programme que Mazarin se pose a-t-il donc changé de nos jours? ou n'est-il pas redevenu plus pressant que jamais?

Le sujet choisi est un sujet mystérieux, qui a | dans l'histoire passée, voit l'histoire à venir, la vivement intrigué les esprits pendant la période romantique. Alexandre Dumas, Paul Lacroix, d'autres encore, ont trouvé dans l'histoire de l'Homme au masque de fer une source d'intérêt dramatique et de pitié, dont ils ont tiré parti suivant les forces et les tendances particulières de leur talent respectif. Peut-être est-ce à cela qu'il faut attribuer l'inachèvement du drame commencé par Victor Hugo. Traité par tant de mains, le sujet a pu lui sembler, au courant de son travail, décidément trop défloré, et il se sera résolu à ne pas ajouter son Masque de fer à ceux que multipliaient ses contemporains.

Quoi que vaille cette hypothèse, il n'en reste pas moins que les deux actes et demi des Jumeaux sont emportés par le même souffle poétique que les grandes œuvres du Maître, et que j'ai éprouvé maintes fois, en les lisant, la suprême jouissance que seuls donnent les beaux vers.

Les images imprévues et saisissantes abondent, là, comme dans ses autres poèmes.

L'esprit de Mazarin est la seule fenêtre
Par où le roi regarde...

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Et plus loin, Mazarin fait au roi le tableau des exigences ruineuses des princes:

Tout, dans l'arbre, est gourmand, jusqu'aux branches [cadettes.

Puis, s'excusant, il se grandit, s'exalte et fait en termes magnifiques sa propre apothéose :

Quand Dieu dans mon cercueil me criera: Qu'as-tu
[fait?

Je pourrai dire: O Dieu, l'onde a battu ma tête;
Quand je suis arrivé tout n'était que tempête;
L'esprit des temps nouveaux, l'esprit du temps ancien,
Luttaient; c'était terrible, et vous le savez bien!
Louis onze a livré la première bataille;
François premier, venu pour élargir l'entaille,
Est mort à l'œuvre avant que le géant tombât;
Richelieu n'a pas vu la fin du grand combat;
Tous ces hommes, suivant leur loi haute et profonde,
Ont fait la guerre. - Moi, j'ai fait la paix du monde!

Là aussi le poète est le vates, le voyant qui,

Paris qu'on peut atteindre en deux ou trois journées
Est presque à la frontière. Il doit être au milieu.
J'y parviendrai sans bruit, sans guerre...

Si l'on aime l'actualité, où trouver un tableau plus vivant et plus réel, dans sa sanglante ironie, que celui que le comte Jean de Créqui, déguisé en Guillot-Gorju, trace de son temps:

Que si quelqu'un de vous maintenant me demande
A quoi bon ces haillons que j'emprunte aux ribleurs,
C'est mon secret, j'entends le garder. Et d'ailleurs
C'est l'habit de ce siècle ignoble, fourbe, oblique!
Siècle où rien n'a grandi que la honte publique!
Où notre œil, quelque part que nous pénétrions,
Ne voit que charlatans, baladins, histrions!
Farce où se perd l'honneur de tous ! le mien, le
[vôtre!

Retz est sur un tréteau, Mazarin sur un autre.
L'Autriche est le souffleur qui tient le manuscrit.
Or, moi, Jean de Créqui, gentilhomme et proscrit,
Messieurs, puisque la France, à qui la pudeur manque,
Est aux comédiens, je me fais saltimbanque!

Un double amour traverse le drame et lui donne la vie : l'amour ineffablement paternel de Jean de Créqui pour Alix de Ponthieu, sa fille illégitime qui ne doit même pas, par respect pour sa mère morte, savoir qu'il est son père, et l'amour romanesque et pur, mais sincère et profond, d'Alix pour le prisonnier au masque de fer, qu'elle a, par hasard, un jour, entrevu, et qu'elle s'est juré de sauver.

Écoutez Jean de Créqui parler de cette jeune fille, dont il a besoin comme la plante a besoin de soleil.

En quatre mots, voici ce que j'ai dans le cœur.
Banni depuis dix ans, mon âme était en France,
Toute mon âme, hélas! toute mon espérance,
- Un enfant, mon bonheur, mon remords, mon
[devoir...
Un enfant, jeune fille aujourd'hui... Mais pourquoi
Vous confier des détails qui ne touchent que moi?
D'ailleurs ce secret triste est muré dans la tombe.
Elle ignore elle-même, humble et pure colombe,
Et ne saura jamais pourquoi je l'aime ainsi.
Messieurs, voilà dix ans, oui, dix ans ce mois-ci,
Que je n'ai vu cet ange! Eh bien, je ne puis vivre
Sans entendre sa voix, musique qui m'enivre,
Sans voir ses yeux, flambeaux de mes regards troublés,
Sans elle enfin !
Plaignez les pauvres exilés!
Puis autour d'elle aussi tout s'en va, tout décline.
Je crois vous avoir dit qu'elle était orpheline?
Elle a besoin de moi. Depuis quatre ans passés,
Ils ont intercepté mes lettres, je ne sais,
Mais j'ai perdu sa trace. Où vit-elle à cette heure?
Je l'ignore. O mon Dieu! pour la revoir, j'en pleure!

-

- Pour pouvoir être en France et vivre à ses côtés,

J'ai prié, supplié, j'ai fait cent lâchetés,

J'ai dit à Mazarin qu'il était un grand homme,
J'ai fait écrire au roi, de Madrid et de Rome.
Rien! on n'a pas voulu me laisser revenir.
Alors je me suis dit : il est temps d'en finir!
Voilà pourquoi, proscrit, j'arrive en cette ville;
Pourquoi sous cet habit, livrée étrange et vile,
J'entre en un formidable et sombre événement,
Où Dieu m'aide, et qui va peut-être en un moment
Changer, d'une secousse effrayante et profonde,
La forme de la France et la face du monde.

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Le sommeil ne met pas mon âme en liberté.
Dans mes songes jamais un ami ne me nomme :
Le matin, quand j'en sors, je ne suis pas un homme
Allant, venant, parlant, plein de joie et d'orgueil,
Je suis un mort pensif qui vit dans son cercueil.
- C'est horrible! - Jadis, j'étais enfant encore,
J'avais un grand jardin où j'allais dès l'aurore,
Je voyais des oiseaux, des rayons, des couleurs,
Et des papillons d'or qui jouaient dans les fleurs!
Maintenant!...

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Il se lève.

Oh! je souffre un bien lâche martyre!
Quoi donc il s'est trouvé des tigres pour se dire :
Nous prendrons cet enfant, faible, innocent et beau,
Et nous l'enfermerons, masqué dans un tombeau!
Il grandira, sentant, même à travers la voûte,
L'instinct de l'homme en lui s'infiltrer goutte à goutte;
Le printemps le fera, dans sa tour de granit,
Tressaillir comme l'arbre et la plante et le nid;
Påle, il regardera, de sa prison lointaine,

Les femmes aux pieds nus qui passent dans la plaine;
Puis, pour tromper l'ennui charbonnant de vieux murs,
Sculptant avec un clou tous ses rêves obscurs,
Il usera son âme en choses puériles;
Vous creuserez son front, rides, sillons stériles!
Les semaines, les mois et les ans passeront;
Son œil se cavera, ses cheveux blanchiront;
Par degrés, lentement, d'homme en spectre débile
Il se transformera sous son masque immobile.
Si bien qu'épouvantant un jour ses propres yeux,
Sans avoir été jeune, il s'éveillera vieux!
—Oh! je le suis déjà. Mon âme est bien lassće!

Enfant par les terreurs, vieillard par la pensée, Homme jamais! Mon Dieu, vous êtes sans pitié! Il se jette dans le fauteuil, la tête et les bras à plat sur la table, comme abîmé dans son désespoir. Après un instant de silence, il se lève péniblement et va de nouveau examiner le rayon de lumière qui, pendant toute la scène, se meut insensiblement sur le pavé.

Il n'a pas du trajet encore fait la moitié.

Il laisse tomber sa tête avec angoisse et semble se replonger dans sa réverie.

O ma mère! pourtant je vous aurais aimée ! - J'étouffe!

Il va à la fenêtre du fond, monte les marches et regarde dans la campagne.

Dieu! là-bas, comme cette fumée
Monte blanche et joyeuse et s'en va dans le ciel !
Au fond du cachot, du haut des marches.
Quoi! l'homme fait sa gerbe et l'abeille son miel!
Quoi! le fleuve s'enfuit! quoi! le nuage passe!
L'hirondelle des tours s'envole dans l'espace,
La nature frissonne et chante dans les bois,
Tout est plein de concerts, de murmures, de voix,
Tout est doux, tout est beau sur la terre où nous
[sommes;

Et rien ne dit au monde, et rien ne crie aux hommes:
Vous êtes tous heureux! vous êtes libres, vous!
Eh bien dans ce donjon, là, sous de noirs verrous,
Privé de brise fraîche et de chaude lumière,
Enviant sa fumée à la pauvre chaumière,

Un prisonnier languit que les cachots tueront,
Dont nul ne sait le nom, dont nul n'a vu le front,
Un mystère vivant, ombre, énigme, problème,
Sans regard pour autrui, sans soleil pour lui-même!
Triste et morne captif, ô comble de douleurs,
Qui pleure sans pouvoir même essuyer ses pleurs!
Il revient sur le devant du théâtre.
Oh! baigner un seul jour, dans l'air qui partout

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René Maizeroy, continuant la brillante série d'études amoureuses qu'il intitule les Parisiennes, vient de faire paraître P'tit Mi, un nouveau roman de passion, dont l'ardeur continue, l'inassouvissement enragé, ne le cèdent en rien à ses précédentes œuvres. Tout, dans ce livre, est aveuglément soumis à l'amour comme à la grande force fatale brisant les corps, bouleversant les cœurs et courbant l'humanité à sa guise sous un joug de fleurs et de fer. P'tit Mi, le sobriquet donné par Mme de Serpenoise à son amant Georges d'Armagnol, est une de ces natures de jeunes noceurs Parisiens, viciés dès le berceau, sans scrupules, sans foi, sans amour vrai, qui sont de simples débauchés, cherchant le plaisir partout où il peut se trouver, sous quelque forme que ce soit. Il devient très facilement l'amant de la femme du préfet des BassesCévennes, M. de Serpenoise, son supérieur et son ami; la malheureuse créature, hypnotisée par lui, ne voyant plus que par lui, après une vie très sage, roule dans cette faute comme dans un lac de boue d'où elle ne pourra plus sortir. A l'étude d'amour se joint une peinture de la bataille électorale dans le Midi, sous la présidence du maréchal de Mac-Mahon : c'est un tableau très coloré, très mouvant, qui contribuera au succès du livre.

L'Abbé Coqueluche, par Léo TRÉZENIK, Paris, Chacornac, 1889. Un vol. in-18 jésus. - Prix: 3 fr. 50.

La curieuse et fort simple histoire de province que Léo Trézenik appelle l'Abbé Coque

luche, a une grande saveur de sincérité, de franchise émue, en même temps qu'elle touche aux fibres du cœur par la grâce de son affabulation. Si l'Abbé Coqueluche, le héros de l'aventure, le joli et séduisant vicaire Boucher, intéresse jusque dans son crime, lorsqu'il devient pour un instant l'amant charnel de la nièce de son curé, de la touchante et mystique Marie, le docteur Boucher, le frère du séducteur, attire par la grandeur sereine de son silencieux dévouement, lui qui épouse la pauvre fille séduite; nul ridicule ne peut rejaillir sur son acte de courage accompli avec une adrnirable sérénité, le dévouement des âmes hautes. Cette modeste et peu tapageuse histoire, l'écrivain a su en faire quelque chose par l'art dont il l'a enveloppée, par le talent déployé à la conter, par le soin de la phrase et l'absorbante préoccupation du style. Elle est écrite par un lettré pour des lettrés, mais elle ira remuer le cœur de tous, car elle s'adresse à

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On sait la jolie forme d'art que revêtent les écrits de M. A. Claveau, dont le pseudonyme Quidam est connu de toute la littérature; aussi est-ce un véritable régal pour les gourmets de sensations fines, de choses délicates, d'aperçus humoristiques et mordants que d'avoir entre les mains un volume de lui. Toutes ces qualités, toutes ces séductions, nous les retrouvons dans ce livre Pile ou Face, où il passe des questions d'amour aux curiosités de Paris, de la psychologie religieuse au patriotisme, où il cingle d'une plume griffante et fouettante nos filles savantes, les chaussettes bleues, comme il les baptise spiri

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