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dans l'épitre qu'il lui a adressée, et où il la compare à Mme de La Fayette :

...Quel dieu, charmant auteur Quel Dieu vous a donné ce langage enchanteur, La force et la délicatesse,

La simplicité, la noblesse,

Que Fénelon seul avoit joint,

Ce naturel aisé dont l'art n'approche point?

Il est vrai que Voltaire pouvait avoir quelque partialité pour ce roman. Partialité de père, s'il est vrai, comme on l'a prétendu quelquefois, qu'il ait été pour quelque chose dans sa naissance. La lecture n'est pas faite pour démentir cette opinion. L'œuvre a beaucoup de délicatesse, de sentiment et d'esprit. Par ce dernier côté elle peut bien appartenir à Voltaire, si par les deux autres une femme peut la réclamer. L'auteur, MarieLouise-Charlotte de Pilard de Givry, qui épousa Nicolas comte des Fontaines, maréchal de camp, était fille d'un gouverneur de Metz. Voltaire avait dix-neuf ans quand il lui adressa l'épitre que nous venons de citer. Elle mourut en 1730. Voilà tout ce que l'on sait à peu près d'elle et c'est bien peu. Si son roman de la Comtesse de Savoie est tombé dans l'oubli sous cette forme, il a eu une plus brillante destinée sous celle de la tragédie. C'est en effet à cette Histoire de la comtesse de Savoie de Mme des Fontaines, que Voltaire a emprunté le sujet et le plan de son Tancrède (1760), et quarante ans plus tôt, en 1720, ceux de son Artémice. M. Charles Buet a écrit pour cette édition nouvelle du roman de Mme des Fontaines une remarquable préface sur les femmes du xvII° siècle, et une savante étude sur Odon, comte de Maurienne et de Savoie. De tous points cette réimpression est ainsi parfaite.

E. A.

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Le talent de Jules Case s'affine et se perfectionne singulièrement à chacune des nouvelles œuvres qu'il nous donne, et le romancier marche victorieusement vers le succès avec une assurance de plus en plus persuasive. Toutes les quaiités qui se trouvaient en germe dans ses volumes de début, maintenant mûries, semblent toutes prêtes de toucher à leur complet développement. Chez lui la pensée s'est élevée, l'analyse s'est faite plus profonde, plus incisive, allant fouiller aux plus intimes replis du cœur, aux plus ténébreuses circonvolutions du siège de l'âme. Le style si souple, si frais, si simple, si charmant, a acquis un mordant et une force qu'on ne lui connaissait pas on sent que l'écrivain possède ad

mirablement son outil et le dirige à son gré comme le graveur guide son burin sur la planche de cuivre, appuyant ici, effleurant là, d'une main sûre et savante.

Dans Ame en peine le psychologue avait fait chez Jules Case des progrès remarquables, dans l'Amour artificiel il va plus loin, plus haut encore. L'étude était particulièrement originale, pas encore tentée et ne pouvait être traitée que par un analyste subtil et délicat; personne, avant lui, n'avait eu l'idée de chercher à rendre cette âme et ce cœur de la jeune fille moderne étudiant sur elle-même l'amour, l'essayant sur l'un et sur l'autre tour à tour comme on fait vibrer un verre pour s'amuser du son qu'il rend. Stella, à cet égard, est une création saisissante, absolument personnelle; une inconsciente cruauté se dégage d'elle, comme le poison émane d'une fleur dangereuse des tropiques; elle peut empoisonner, tuer, mais elle peut aussi succomber ellemême à la violence de ce même poison. Dans le livre le lecteur la suit avec une anxiété mêlée de trouble, un peu ainsi que l'on suit dans les airs la marche d'un danseur de corde planant à une hauteur formidable; à chaque page la chute est là, sous ses pas, et elle ne tombe pas, et elle résiste il faut l'excès de la lassitude, la complicité des sens surexcités à l'aigu, l'avivement de la curiosité atteignant son paroxysme, pour que, enfin, elle s'abatte, vaincue, palpitante, sur la poitrine du mâle, de Charles Fanti. Puis, après, c'est le réveil, le vide du cœur toujours le même, toujours et partout pas d'amour vrai, seul l'amour artificiel.

A côté de Charles Fanti et de Stella Lemeillan, Jules Case a placé un autre couple, Paul Catrousse et Marthe Lanquais, d'un très séduisant intérêt; un joli type de maîtresse de piano, cette Marthe, qui court les rues et le cachet depuis l'âge de dix-huit ans, effleurant toutes les convoitises masculines, se frottant aux hommes, excitant les désirs, et conservant, à défaut de chasteté, une inattaquable virginité, réservée à l'époux qu'elle saura cueillir dans les maisons où on la reçoit. Sensuelle, pas jolie, mais voluptueuse d'airs et de façons, de bouche et d'œil, elle appartient à la race de ces singesses qui grisent et affolent le mâle mieux que les beautés impeccables et correctes; Paul Catrousse, repoussé par sa cousine Stella, agrippé par Marthe, adorera celle-ci, se fera aimer d'elle et ne sortira de l'aventure que marié. Dans Charles Fanti, l'écrivain a esquissé une silhouette très vraie de l'homme de lettres moderne, aux prises avec la pauvreté, avec l'éditeur, avec les tentations de l'argent plus facile au moyen de concessions à

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faire au public. Au milieu du roman bourdonne le tapage louche des affaires financières, la rumeur malsaine de la Bourse, représentée par le père Lemeillan et par ce colonel Révil, cinquantenaire retraité qui épousera Stella.

C'est là non seulement le roman le plus âpre et le plus puissant de Jules Case, mais un des meilleurs romans de ces derniers temps, une œuvre qui achèvera d'établir la réputation méritée de celui qui l'a tracée d'une plume consciencieuse, implacable et forte.

Étude de Femmes, par ANDRÉ MELLERIO, Paris, A. Lemerre, 1889. Un vol. in-18 jésus. - Prix: 3 fr. 50.

Il y a un joli sentiment d'art dans les cinq Études de Femmes que vient de publier André Mellerio, et on y retrouve cette distinction, cette élégance, que nous avions déjà remarquées dans sa précédente œuvre, Contes psychologiques. On suit avec intérêt le déroulement très simple des histoires d'amour contées par l'écrivain et se poursuivant à travers des paysages adroitement esquissés. Peut-être seulement abuse-t-il du procédé artistique préconisé dans sa préface, et sa préoccupation de la Tache brillante donne-t-elle à sa littérature sensationniste les défauts principaux de l'impressionnisme en peinture, le papillotage des couleurs et des formes poussé à l'excès. Nous pourrions aussi relever dans le style la fréquence trop grande de certains mots, de certaines tournures, de certaines manières de commencer les phrases, qui se répètent à quelques lignes de distance; mais ce sont là de petites négligences faciles à corriger et qui n'enlèvent rien à l'allure générale de ces nouvelles, d'une gracieuse et attrayante venue.

G. T.

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C'est tout un coin d'histoire contemporaine que Georges Duruy enferme dans ce roman si curieux et si moderne qu'il intitule Fin de Rêve. Prenant pour héros la magistrale figure du grand tribun patriote Gambetta, aisément reconnaissable dans Michel Costalla, il le montre dans le dernier épisode de sa vie, montant au pouvoir pour en tomber bientôt et mourir d'une mort presque mystérieuse, emporté en pleine fin de drame, au milieu d'une auréole énigmatique. Autour de cette figure principale, si vivante, si agissante qu'on la croirait voir aller et venir à travers les différentes scènes, tendres, glorieuses ou tragiques

du livre, l'auteur, usant du droit du romancier, a groupé des personnages du plus haut intérêt, des figures connues de la politique, s'aidant des événements inoubliables de ces derniers temps pour augmenter l'intérêt de son œuvre, et groupant habilement les faits récents auprès des faits anciens pour donner plus de force, plus d'émotion à l'ensemble. C'est pourquoi l'on retrouvera là des scandales dont nous sommes encore bouleversés, des silhouettes gravées dans tous les souvenirs, à côté de la cantinière de la commune, Aurélie Vidalin, visiblement inspirée de Louise Michel, le frère de Costalla, maître Morgan, au physique et au moral, portrait saisissant du fameux député tombé d'une des plus hautes situations en entraînant le chef de l'État dans sa chute. Sur l'ensemble du roman flotte l'image douce et charmante de celle qui fut l'Égérie du grand homme. Fin de rêve, écrit d'une plume élégante, tantôt ardente et passionnée, tantôt poétique et tendre, est appelé à un succès assuré, autant par la manière dont l'œuvre a été conçue, que par les souvenirs qu'elle ravive, que par les belles pages où flambe le plus pur patriotisme, et par le caressant parfum d'amour qui se dégage çà et là des pages entre les péripéties de l'action.

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Un brouillard épais cachant le ciel, cachant l'horizon, masquant la masse générale des choses, et au sein duquel s'agiteraient de vagues et pâles fantômes, sans contours précis, sans voix, sans couleur, telle est l'impression bizarre et désagréable causée par le nouveau livre de M. Francis Poictevin. On ne sait ni où l'on est ni où l'on va, ni ce que l'auteur veut dire; cà et là, au milieu de l'épaisseur hallucinante de la brume, on perçoit quelque chose; on cherche à voir mieux, on essaye de comprendre, déjà le mur floconneux, mouvant, s'est refermé et l'on se heurte à de l'impalpable, à du néant. Ce n'est ni un roman, ni une œuvre philosophique, ni une peinture vivante, c'est une suite de petits tableaux informes, à peine indiqués d'une plume qui s'arrête à michemin, une série de paysages inquiétants par leur trompeuse apparence de réalité, par le commencement de lignes qui y est indiqué, de lignes fuyantes ou brisées avant l'éclosion complète, disparaissant ainsi à l'improviste sans jamais aboutir. A l'incompréhensible, au torturant tortillé de ses précédents volumes, M. Francis Poictevin paraît avoir voulu ajouter encore, en plongeant le tout dans l'obscurité d'insondables brumes; il est dangereux de le suivre à travers

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L'éditeur Charpentier vient de rééditer pour la satisfaction des curieux le premier livre d'Éraile Zola, le Vou d'une morte; il ne saurait être question de donner ici l'analyse de cette œuvre de jeunesse, qui ne faisait nullement augurer de l'avenir du maître. Nous croyons qu'il a voulu se donner le plaisir de montrer à ses admirateurs l'énorme distance qui sépare ses débuts de la place qu'il occupe aujourd'hui, à la tête de la littérature. Les gourmets de lettres trouveront un vif intérêt à le constater en relisant cette œuvre que beaucoup ignorent et qu'on a bien fait de nous redonner.

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Mariage riche est une étrange et saisissante histoire; en même temps qu'elle nous montre une étude passionnelle contée avec art, elle éclaire d'un jour spécial le cœur de la jeune fille, cette Suzanne, qui s'est laissé séduire par un garçon riche, dans le but et l'espoir de se faire ainsi épouser forcément et de sortir de la situation mode deste et monotone à laquelle la contraint le peu fortune de ses parents. Hector Malot a choisi pour cadre de ce drame à la fois émouvant et inquiétant le petit port de Diélette, près de la falaise de Flammanville, en face de Jersey et des Écrehons. C'est là, entre la mer et le ciel pour ainsi dire, que se débat la jeune fille, là que se déroulent les péripéties fort simples de sa tragique aventure et que nous la voyons, en apprenant la ruine de son sé

ducteur, refuser de partager sa pauvreté et préférer la mort. Les hésitations de l'heure suprême, les angoisses qui précèdent le suicide sont peintes avec un véritable talent qui fait subir au lecteur le contagieux frisson de cette lutte et l'amène tout remué à l'expiation suprême. Six nouvelles également traitées avec le même bonheur complètent ce joli volume que des illustratations de Duez, de Jeanniot, de Fraipont accompagnent, soulignent et mouvementent; nous croyons que ce ne sera pas là l'œuvre la moins attrayante du romancier connu, car il s'est affirmé, dans ce volume, nouvelliste ému, original et attachant.

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Marie Bas-de-Laine, par Fortuné du Boisgobey. Paris, Plon et Cie. Un vol. in-18. Prix: 3 fr. 50. Le Vœu d'une Morte, par Émile Zola. Paris Prix: 3 fr. 50. Charpentier. Un vol. in-18. Mariage Riche, par Hector Malot. Paris, Marpon et Flammarion. Un vol. in- 18. Prix: 3 fr. 50. L'Avenir d'Aline, par Henry Gréville. Paris, Plon et Cic. Un vol. in-8.- Prix: 3 fr. 50. Sous l'Empire, par Marcelin. Paris, Victor-Havard, Prix: 3 fr. 50. 1889. Un vol. in-18 jésus. Le Père Anselme, par le Comte A. de SaintAulaire. Paris, Victor-Havard, 1889. Un vol. in-18 jésus. - Prix: 3 fr. 5o.

Bruno-le-Fileur, par Joseph Reinach. Paris, Victor-Havard, 1889. Un vol. in-18 jésus. — Prix : 3 fr. 50.

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Pensées et Essais, par JESSE SHEPARD. Paris, Librairie documentaire; 1889. Un vol. in-18 jésus.

Essays and Pen-Pictures, by JESSE SHEPARD. Paris, Symonds; 1889. Un vol. in-18 jésus.

M. Jesse Shepard vient de faire paraître deux volumes, l'un en anglais, l'autre en français, des plus curieux et qui sont comme un symptôme caractéristique de la préoccupation nouvelle des jeunes esprits à l'étranger aussi bien qu'en France; c'est par des œuvres de critique que nos jeunes gens débutent à présent chez nous, c'est par des Pensées et Essais, par des Essays and Pen-Pictures que M. Jesse Shepard débute en littérature, âprement préoccupé de l'Idée, de la Philosophie, de l'Esprit, et prenant ainsi sa part du réveil d'âme qui souffle en ce moment sur nous et que Gustave Flaubert semble avoir prévu, comme en fait foi l'une des lettres de sa correspondance. La même préoccupation métaphysique se retrouve dans chacun des sujets intéressants traités par lui, aussi bien dans la première partie du volume spécialement consacrée aux Pensées, et prouvant un esprit délicat, éclairé, très tourmenté par les problèmes littéraires, par les idées d'impressionnisme, de pessimisme et d'art, que dans la deuxième, Essais, où nous trouvons des études sur Wagner, Shakspeare, Byron, Carlyle, Tolstoï, Victor Hugo, Goethe, etc., etc., pleines de souffle et de science. M. Jesse Shepard mérite d'être signalé à nos lecteurs, à nos lettrés, comme un penseur, un philosophe et un artiste.

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incontestables, un esprit très fin et très français, de courts échantillons des œuvres les plus importantes de notre temps. C'est bien la Bataille littéraire que Philippe Gille, avec l'art charmant et éclairé qui lui est propre, étale sous nos yeux, faisant manœuvrer les écrivains des différentes écoles les uns en face des autres, opposant les réalistes aux spiritualistes, les romantiques aux naturalistes, et complétant admirablement son intéressant volume par le compte rendu sagace et l'exposé des ouvrages de toute sorte, compris sous le titre de littérature historique, philosophique et documentaire, où l'on retrouve les mémoires d'Odilon Barrot, la correspondance de Balzac, les lettres de Mérimée, le Napoléon de Stendhal, Michelet, Maxime Du Camp, Fromentin.

Comme nous l'avons dit, ce livre n'est pas seulement une réunion d'articles bibliographiques concernant tous les noms glorieux de la littérature moderne, c'est en même temps une œuvre à portée philosophique de haute importance, par l'idée qui a présidé à sa formation. Le groupement raisonné des noms, le choix délicat des œuvres étudiées, parmi lesquelles domine naturellement le roman, qui sera peut-être plus tard le meilleur cours d'histoire, la plus exacte peinture de nos mœurs et de notre vie, montrent la préoccupation toute littéraire de l'auteur; sans parti pris, avec le plus intelligent, le plus louable éclectisme, il a voulu surtout soumettre au lecteur le fidèle exposé de notre situation, de nos variations, de nos progrès, de nos luttes dans le domaine de la pensée. Aux Goncourt, à Zola, à Daudet, à Flaubert, classés parmi les soucieux de l'observation, de la vie réelle, du document parfois brutal, il oppose tous les épris d'idéal, d'imagination, de poésie, comme Dumas fils, Feuillet, Cherbuliez, de Banville; il débute en 1875, à l'époque où naît le naturalisme, où la lutte s'engage sérieusement et croît peu à peu, plus ardente, plus violente, à mesure que les années marchent, que de nouveaux adhérents se joignent à Zola, que des jeunes se révèlent.

Ce premier volume, qui s'arrête en 1878, et

dans lequel on voit l'Assommoir, la Fille Élisa, | tophane se fait moins âpre, moins cruellement le Nabab s'avancer contre Thérèse, les Amours d'une femme, l'Idée de Jean Têterol, est comme la première partie, les préliminaires foudroyants de cette campagne énorme qui va gagner, s'étendre, envahir la France, l'étranger et embraser tous ceux que tourmente la noble fièvre des lettres; nous le signalons à tous les passionnés d'art, à tous les lettrés, à tous les bibliophiles, mais aussi à tous les lecteurs qui, en ce volume, trouveront un régal varié, unique, par le choix merveilleux des passages cités, donnant une rare saveur au livre, le rendant amusant, pittoresque, et en faisant le résumé exact de tous les talents et de tous les genres de notre littérature contemporaine.

G. T.

Aristophane et la Comédie ancienne, par E. COUAT. Chez Lecène et Oudin. Un vol.

Il est malheureusement assez rare de trouver réunis un vrai sens littéraire et une érudition solide. On peut compter les travaux remarquables à ce double point de vue. Les plus distingués de nos universitaires nous ont donné pourtant quelques livres excellents sur la littérature grecque; je citerai en première ligne les travaux de M. Jules Girard et de MM. Croiset. L'Aristophane de M. Couat n'a pas une moindre valeur au point de vue de la sûreté dans l'érudition et de la délicatesse du goût; et je trouve chez l'auteur, avec de hautes qualités de pensée, un sens profond de la vie. C'est, en effet, une antiquité bien vivante que nous fait connaître M. Couat, et non pas une antiquité de marbre, pure et froide. Il a envisagé l'œuvre d'Aristophane dans ses multiples rapports avec la société de son temps; et il a su être évocateur en gardant l'impartialité. L'admiration du critique pour le poète est profonde; elle reste entière sans qu'il néglige de discuter et de réduire à sa juste valeur le jugement passionné que porta le grand comique sur la démocratie athénienne. Les conditions dans lesquelles se produisit la comédie antique, la nécessité où se trouvaient les poètes de soutenir quand même le parti oligarchique sont nettement mises en lumière dans le livre de M. Couat. Si Aristophane (dont l'auteur s'occupe surtout, bien qu'il cite fréquemment des rivaux) ne sort point diminué en tant que poète de ce pénétrant examen, il faut avouer que l'homme y perd quelque chose. Il n'en garde pas moins sa claire vision des dangers qu'offrait la démocratie triomphante, quelques indignations de bon aloi, un sincère et noble patriotisme en face des malheurs de la cité. Il faut remarquer aussi qu'en vieillissant, Aris

agressif. Je pense que la vérité doit passer avant tout, et qu'il faut savoir gré à M. Couat d'avoir précisé le degré de bonne foi d'Aristophane. L'auteur nous montre qu'au point de vue de la comédie ancienne, faite de personnalités directes, le poète, ayant à combattre toutes les nouveautés, dans la religion, la pensée, la littérature aussi bien que dans la politique, trouvait en Socrate le seul type possible d'une comédie dirigée contre les sophistes. Les autres novateurs qui professaient à Athènes n'étaient point citoyens de la ville; et, de plus, la figure de Socrate, universellement populaire, se prêtait on ne peut mieux à une puissante caricature. Il faut convenir qu'Aristophane est de fort mauvaise foi dans la façon dont il présente Socrate; mais il est bien probable aussi que la haute valeur du grand moraliste lui échappait comme à l'immense majorité de ses contemporains. Je ne vois rien à redire à ce jugement de M. Couat sur l'illustre comique grand poète, âme moyenne. Rien n'est plus sagace et plus délicat que l'analyse faite par le critique des croyances d'Aristophane. Chargé de défendre la vieille religion comme les mœurs antiques, Aristophane était un homme nouveau; et, s'il respecte profondément les divinités protectrices de la cité, s'il a parfois une religion inspirée qui s'exhale en un lyrisme digne de Pindare, il n'en est pas moins gagné par l'esprit du siècle et par ces nouveautés qu'il combat; il ne peut se tenir de parler sans respect des plus grands dieux, et les arguments qu'il met dans la bouche des impies sont souvent plus forts que les siens propres. De même, il a plus d'affinité réelle avec cet Euripide, si cruellement bafoué par lui, qu'avec le vénérable et grandiloque Eschyle; il a une façon bien ambiguë de défendre et de couronner le vieux poète.

Le résumé trop rapide que je viens de faire du livre de M. Couat inspirera, je l'espère, à nos lecteurs le désir de le lire eux-mêmes; ils y trouveront autant de plaisir que de profit.

Nul pédantisme n'en gâte les rares qualités; et quand l'auteur y rappelle les origines de la comédie ancienne et son naturalisme puissant, lorsqu'il y étudie le rôle des femmes dans la société ou dans la comédie attiques, il est aussi loin de la pruderie que de l'indécence. Je ne sais point d'ouvrage qui donne une impression plus vivante de la grande cité hellénique au temps de sa merveilleuse efflorescence, entre son âge héroïque et sa décadence rapide.

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M. B.

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