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nistration d'une maison; et quand on y a ajouté, dans les temps modernes, le mot de politique, le sens est resté le même, il s'est agi toujours de ce qui constitue l'administration d'une maison seulement la maison a été agrandie et est devenue la cité. Lors donc que l'on comprend sous cette dénomination la philosophie pratique tout entière, on risque de ne voir dans toutes les sciences sociales qu'une question économique, et de subordonner le général au particulier. C'est ce qui est arrivé aux économistes du xvш siècle, qui, tout en ayant l'intention d'établir les bases du droit naturel et de la politique, n'ont traité en réalité que la question de la propriété. C'est ce qui est arrivé aussi à M. Proudhon, dans ses Contradictions économiques. Il a déduit de l'économie politique la théologie, la morale, l'esthétique et une foule d'autres sciences. Mais il est évident, et le livre de M. Proudhon le prouve surabondamment, qu'on ne peut arriver à de tels résultats sans faire violence à la logique, et qu'il n'est pas de méthode humaine, fût-ce celle de Hégel, qui permette, pour nous servir des formules de l'auteur, d'élever au rang d'une catégorie générale et absolue une catégorie, qui, dans les faits, apparaît nécessairement comme spéciale et subordonnée.

M. Buchez, dans son Introduction à la science de l'Histoire, après avoir divisé l'activité humaine en ses trois branches essentielles, le sentiment, le raisonnement et l'action pratique, et montré comment le premier de ces termes engendre l'art, le second la science, résumait aussi sous la dénomination d'économie politique, toutes les manifestations humaines qui dérivent de l'action pratique. La politique, la guerre, la famille, l'hygiène, etc., rentraient ainsi dans l'économie. Mais M. Buchez reconnaissait en même temps qu'un terme nouveau eût été préférable, et qu'il n'avait choisi le mot déjà employé dans cette acception générale au xvir siècle, qu'en vue de la discussion contre les économistes de l'école anglaise. Dans son Traité de philosophie, il a restitué à cette science générale le titre de Pratique, qui lui revient de droit.

De tout ce qui précède, il résulte :

1° Que l'économie politique est une dans ses principes avec les autres sciences sociales, et que toutes ces sciences sont entre

elles dans un ordre de dépendance dont on doit tenir compte. 2° Que néanmoins l'économie politique forme une science spéciale répondant à une branche spéciale de l'activité humaine.

Nous avons donc à déterminer d'une manière positive quelle est cette branche spéciale de l'activité humaine qui forme l'objet de l'économie politique; ensuite à rechercher le rang que celle-ci occupe dans l'ensemble des sciences sociales. Mais avant d'entrer dans cet examen, nous avons besoin d'insister sur les conditions requises pour une bonne définition des sciences.

§ 4. Distinction entre l'objet et le but des sciences, entre les faits et les principes, les faits naturels et les faits dérivés.

Nous avons suivi jusqu'ici l'usage vulgaire, en désignant indifféremment la science par son objet ou par son but. Le moment est arrivé d'établir une distinction sans laquelle toute bonne définition est impossible.

En toute science, il faut distinguer entre l'objet et le but. L'objet est le fait général, pris, soit dans le monde matériel, soit dans le monde spirituel, dont la science s'occupe. Le but est le motif en vertu duquel notre esprit s'occupe de ce fait. L'objet est donné par la nature des choses; il existe indépendamment de notre volonté. Le but vient de nous-mêmes, il résulte de l'intervention de notre activité et de notre intelligence dans les faits naturels. Si l'homme ne devait pas agir sur la nature, il n'aurait aucun motif d'étudier les faits; l'objet de la science existerait, mais il n'y aurait pas de science. Mais que l'homme ait besoin d'agir sur ces faits, de les modifier ou de les diriger, aussitôt il est obligé de les connaître ; il a un motif d'en rechercher les causes et les lois, et la science commence.

L'homme n'étudie donc les faits naturellement indépendants de sa volonté que pour les soumettre à cette volonté, pour se les assujettir et les transformer suivant sa propre pensée. Il veut connaître le monde physique, parce que sa destination est de dominer ce monde; il veut connaître le monde social, parce que la société est la condition même de sa vie, et que dans cet ordre de faits le premier rôle appartient à sa propre activité.

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De quelque côté que l'on se tourne, c'est donc toujours le but qui constitue l'unique mobile de la science. Dans les sciences sociales, il en constitue en même temps un des éléments principaux; car, à cet égard, il existe une différence notable entre ces sciences et les sciences physiques.

Quand il étudie le monde physique, les faits non humains, l'homme n'a qu'un seul but général et essentiel : celui de prévoir les phénomènes. Cette prévision lui permet en effet de les diriger à son gré. Mais cette direction n'influe pas sur l'étude des faits généraux eux-mêmes; aussi la pratique, dans cet ordre de connaissances, donne-t-elle lieu à des sciences spéciales, les sciences d'application, qui subsistent séparément des sciences théoriques.

Il n'en est pas de même dans l'ordre des connaissances morales et sociales. Ici, c'est l'homme lui-même qui est l'objet de la science. Les faits qu'il étudie ne sont plus indépendants de lui; au contraire ils sont son œuvre, ils sont l'expression de sa volonté et de son libre arbitre; ils sont en grande partie ce qu'il a voulu qu'ils fussent. Or cela étant ainsi, il arrive nécessairement que le but de la pratique humaine se confond avec le but de la science elle-même. Supposons qu'en politique l'un des buts soit de réaliser l'égalité, ce but de l'action politique sera en même temps celui de la science politique; car c'est pour connaître les moyens de la pratique, qu'on étudiera cette partie de la science. En outre, le but lui-même formera l'objet des investigations, c'est-à-dire un des élements de la science; on cherchera non-seulement les moyens de réaliser l'égalité, mais en quoi elle consiste, quelles en sont les conditions, etc. En d'autres termes, dans l'ordre physique, l'homme commence par étudier les faits, sauf à apprendre ensuite à les diriger; dans l'ordre moral, les faits sont eux-mêmes des volontés humaines, des actes humains qui ont nécessairement une direction quelconque, et qu'il est impossible d'étudier indépendamment de

cette direction.

Dans l'ordre physique donc, le but domine la science, mais n'en forme pas un élément proprement dit; dans l'ordre moral, au contraire, ilen constitue un des éléments immédiats et positifs. Par la même raison, les sciences morales et sociales sont essen

tiellement pratiques. Il est impossible en effet d'étudier l'activité humaine dans sa direction vers un but, sans embrasser dans cette étude les moyens d'atteindre ce but. La pratique ne cesse ici d'être du domaine de la science, que lorsqu'elle se spécialise au point d'exiger elle-même une théorie particulière, c'est-àdire quand elle rentre dans la catégorie des arts.

La distinction de l'objet et du but, nous conduit à celle des principes et des faits, qui, dans les sciences morales, est trèsimportante. Dans les sciences physiques, les principes se confondent avec les lois générales qui sont elles-mêmes des faits généraux. Dans les sciences morales, les principes sont les buts à atteindre. En politique, la liberté, l'égalité sont des principes; ce sont, en effet, des buts proposés à l'activité humaine, et que celle-ci doit réaliser. En économie politique, la juste rétribution du travail, le droit de tous les membres de la société à la vie suffisante, sont des principes. Ce sont des buts à atteindre.

Sur ce point, nous sommes en opposition formelle avec l'école anglaise, qui, fidèle à sa donnée première, et traitant l'économie comme une science des choses, érige en principes tous les faits généraux. Or, la distinction des principes et des faits est celle de ce qui est et de ce qui doit être. La question est de savoir si, dans l'ordre des faits humains, on doit se placer au point de vue de ce qui est ou de ce qui doit être; s'il faut se soumettre passivement aux faits existants, ou s'il faut transformer ces faits en vue du bien. Oh! si l'humanité était privée du libre arbitre, si elle obéissait à des lois purement fatales, et que rien ne dépendît de son action propre et de sa volonté, oh! sans doute, en ce cas, il n'y aurait qu'à accepter comme principes les lois générales que fournirait l'étude des faits. Mais s'il est vrai que l'humanité est libre et progressive; qu'elle a pour mission de modifier incessamment ce qui est, pour créer ce qui doit être, de marcher toujours vers un but qui lui est posé et qu'il dépend d'elle d'atteindre; alors reconnaissons que les principes qui doivent la guider dérivent de ce but même, que c'est ce terme où elle tend qui détermine la route qu'elle devra suivre, et que les faits ne sont que le point de départ, la base d'opération sur laquelle elle s'appuie pour marcher en avant. Dans les sciences sociales, il est d'ailleurs une distinction.

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importante à faire entre les faits eux-mêmes. Les uns, résultant de la nature même des choses, sont imposés à l'homme comme des lois fatales auxquelles il ne saurait se soustraire. Telle est en économie politique la nécessité où nous sommes de travailler pour manger, de manger pour vivre. Il est d'autres faits au contraire qui sont de création humaine, qui sont le résultat même de notre activité; toutes les institutions sociales rentrent dans cette catégorie. Nous appellerons les premiers faits naturels ou primitifs, les seconds faits dérivés. Qu'il nous suffise ici d'avoir posé cette distinction; nous en apprécierons plus tard les conséquences.

Ces notions préliminaires étant établies, nous avons à chercher quels sont l'objet et le but de l'économie politique. Nous commencerons par l'objet.

§ 5. Objet de l'économie politique.

Cet objet doit être un fait universel, constant, nécessaire : autrement il ne donnerait pas lieu à une science.

Il doit être en outre un fait humain, car l'économie politique est avant tout une science morale et sociale.

Quel est-il?

Serait-il la richesse? Nous avons prouvé le contraire. La richesse d'abord n'est pas un fait primitif; elle n'est qu'un résultat, un produit de l'activité humaine. En second lieu, la richesse n'est pas un fait humain, elle n'est qu'une chose. Prendre la richesse pour l'objet de la science, c'est donc donner à l'effet une importance plus considérable qu'à la cause, c'est toujours subordonner l'activité humaine à son produit.

L'objet serait-il à la fois le droit, la politique et la production des richesses? Nous avons suffisamment réfuté cette opinion.

Serait-il la conservation sociale? Nous avons déjà montré que c'est là une idée trop vaste pour l'économie politique. En tout cas, la conservation sociale serait le but et non l'objet de la science; c'est ainsi du moins que l'a entendu M. Buchez, quand il a défini l'économie politique la science de la conservation sociale.

Serait-il la conservation physique de la société et des individus?

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