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Lucien français, un Lucien de Paris, et des quais de Paris, un Lucien Bergeret.

Ce style d'Anatole France! Il mériterait toute une étude à part. Les Marty-Lavaux futurs la lui consacreront. Il aura son lexique, comme Jean Racine. Ce sera un grand classique. On n'a jamais mieux écrit en français, nit au XVIIe ni au XVIIIe sièle. C'est la perfection. Renan même écrivait moins bien au point de vue purement

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technique: il y avait chez lui des lourdeurs de philosophie allemande et des locutions de journal. Chez Anatole France tout est toujours élégant. L'abstraction même est toujours bien disante. Et toujours ce sourire, ce sourire caractéristique de son œuvre. C'est un style qui s'amuse à des grâces surannées, qui prend plaisir à de vieilles locutions comme goûter un plaisir ou mener

des pensées, un style qui sourit parfois d'être un pastiche. Pastiche du XVIIIe ou du XVIIe, voir du XVIe siècle, comme dans les délicieux morceaux du dernier volume (1) sur les Trublions. Pastiche même plus lointain. Voici un souvenir de l'Odyssée a propos de Piédanel, « ce fils ingénieux du cordonnier. » Toutes les lettres grecques, latines et Françaises sont mêlées en ce style pourtant si uni, si fondu, lisse comme un airain qui serait léger. Ce

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style, c'est du bronze de Corinthe. D'avoir habité en pensée la ville au beau golfe et écrit les Noces Corinthiennes, France a gardé le secret du métal merveilleux. Et c'est un style qui sait tout dire avec les vieux mots de Fénelon et de Voltaire, sans goncourtisme, sans écriture artiste, sans apparent effort. Il semble qu'on en ferait autant. C'est la marque des très belles formes.

Anatole France est bien nommé. Le mot qui caracté

(1) Monsieur Bergeret à Paris, 1 vol., in-18, 1901, C. Lévy,

Paris.

rise son génie propre, c'est le beau mot de France. Son œuvre est de la plus pure Ile-de-France. On y retrouve ses ciels d'un bleu léger, sa lumière égale et fine, ses coteaux modérés et harmonieux, et son âme, son âme un peu narquoise, et, sous sa moquerie qui est encore aimable, très droite, très sensée, très humaine, soumise à la raison et éprise de justice. On la croit souvent sceptique, cette âme française, elle ne l'est pas. Il n'y a pas de sceptique d'ailleurs à proprement parler. Les sceptiques sont des croyants qui ont la paresse de chercher leur foi. Quand il le faut la France qu'on croyait légère et ironique, se dresse ardente et généreuse. Ainsi Anatole France. Il tient par ses fibres les plus profondes à notre sol, au cœur de la patrie. Il est la plus nette illustration de la théorie de M. Barrès sur la terre et les morts. Il est de la grande lignée française qui, des délicieux Gallo-Romains, se continue jusqu'à nous sans interruption. Il est le frère, à travers les siècles, de Marot et de Montaigne, de Racine et de La Fontaine, de La Bruyère et de Fénélon, de Diderot et de Voltaire. C'est le Français. Un homme à ce point représentatif, selon l'expression d'Emerson, est un être rare et considérable. La pensée d'Anatole France, sa sensibilité, sa philosophie, sa nature en un mot, sont profondes à force d'être pures, comme son art atteint à la grandeur à force de perfection.

Revue Bleue, 23 février 1901.

De M. Maurice Barrès

Il n'est pas dans l'Ile-de-France, au coucher du soleil, un jardin planté à la française et ennobli de quelques marbres déités, qui nous offre un plaisir plus doux, une mollesse plus gentille que l'œuvre d'Anatole France. Avoir vingt-deux ans et pour la première fois de sa vie, vers six heures au mois de mai, se promener sur la terrasse de Versailles, c'est ressentir la volupté qu'on

trouve chez ce maître et dont l'intensité atteint à la tristesse. Dangereuse mollesse de cette œuvre, pleine de plus de rêves que ne peut en contenir un jeune homme qui se promet d'être sociable et utile. Certaine beauté est un dissolvant; elle brise les nerfs, dégoûte, attriste. Dans l'atmosphère d'Anatole France, nous nous promenions touchés d'amour pour les femmes futiles et passionnées, pour les sophistes, pour tous ceux qui raffinent sur l'ordinaire de la vie, et par là, France peut être suspect aux magistrats chargés de veiller à la bonne santé de ce peuple.

Mais par ailleurs, ils le doivent louer, car nul mieux que lui ne sait nous inspirer l'amour de cette race française, dont il est un des fils les plus chargés de grâce.....

Des images d'Egypte se présentent d'abondance à propos d'Anatole France, car il associa aux formes anciennes et singulières de cette terre qui sent la mort l'un des rêves où il mêle délicieusement l'art, la femme et le luxe. Sa tendre Thaïs. Ai-je besoin de donner en passant un baiser à cette prostituée ? Pourtant la vraie patrie d'Anatole France et la réserve, les greniers de son génie, c'est l'Ile-de-France, et la région environnante, le Vexin, le Valois, le Beauvaisis, une partie de la Champagne, le bassin de l'Oise, la vraie France. Dans Sylvestre Bonnard et vingt fois dans sa Vie littéraire du Temps, France a parlé de cette région qui est le cœur de notre race avec une perfection et une appropriation des termes où seul (depuis tels traits rapides de Jean de la Fontaine) avait atteint Gérard de Nerval...

Ce goût du terroire et de la tradition, cet instinct profondément national n'empêche point chez celui que nous admirons une apparente contradiction, un duel très poétique. En même temps qu'il s'émeut (comme le jeune Jean Servien, ce petit parisien qu'il nous raconta) pour la beauté servie par le luxe, macérée dans l'oisiveté et qui n'a d'autres chagrins que la satiété, France aime la vertu courageuse, la belle humeur, la résigna

tion de la multitude vouée à la tàche rude de gagner son pain quotidien. Lui qui nous dit, comme sainte Thaïs, sainte un peu suspecte, trouva le bonheur à flageller son corps divin qui n'avait jamais été froissé par les caresses, il nous prépare une héroïque Jeanne d'Arc, jeune, confiante, agissante.

Je le dirai le plus sage et le moins sage de nos contemporains, très profond et très frivole: c'est un corrupteur aussi bien qu'un éducateur.

On sait de Grégoire de Tours une jolie anecdote sur la femme de l'évêque Namatius. Elle fit construire beaucoup de palais et d'églises, elle avait un bon goût et dirigeait les peintres, les sculpteurs et les architectes. Un jour qu'elle était très simplement vêtue (pour ne point se salir dans les plâtras, sans doute) un mendiant du parvis la prit pour une pauvresse et lui donna un morceau de pain. Eh bien, cette personne de la vieille France me semble la marraine de notre Anatole France. Elle lui enseigna les arts raffinés qui décorent les maisons des puissants, mais en même temps..... elle le fit communier avec les simples, lui fit goûter le pain des pauvres gens.

(Scènes et doctrines du Nationalisme. Juven, 1902).

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