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la fois sceptique et attendri, joignant à des facultés extrêmement limpides de conteur et de styliste une érudition légère, M. Anatole France a conquis de bonne heure l'admiration d'une élite, mais la célébrité ne lui vint que très-tard. En revanche, il

n'est pas aujourd'hui de célébrité qui soit plus unanimement reconnue, ni plus franchement acquise, et on ne peut accuser M. France d'y être parvenu par cette insistance de nos gloires ascendantes à divulguer, avec ostentation, l'intimité de leur << moi >> en manière de provocation et de charlatanisme. Et pourtant, son œuvre n'est presque entièrement qu'une confession, souvent même, comme dans Le Livre de mon ami, une autobiographie à peine

déguisée; car Anatole France est un écrivain essentiellement subjectif, mais loyalement et discrétement, sans arrière-pensée de réclame. Cette discrétion chez lui est telle, même, que longtemps

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l'on ne

– jusqu'à ce que sa vie publique l'eut obligé, dans une certaine mesure, à se répandre connut guère, dans le grand public, de son aspect physique et de l'atmosphère où il vivait — une atmosphère de tour d'ivoire » - que ce qu'en laissait entendre les on-dit. Ceux-ci se multiplièrent du jour où l'écrivain connut les grands succès de librairie. Ces bruits étaient, pour la plupart, malveillants, fantaisistes ou erronés, d'autant plus qu'Anatole France s'affirmait à l'heure de la vie où, d'ordinaire, l'homme fatigué cesse de prendre part aux agitations sociales, comme un partisan agressif de la parole et de l'écrit.

Pourtant, parmi les nombreux articles qui lui ont été consacrés, les uns antérieurs, les autres postérieurs à cette tardive volte-face, il en est qui dégagent nettement et fidèlement, la physionomie intime du père intellectuel de Sylvestre Bonnard et de M. Bergeret, ces deux types si contraires de sa création. Dans le début d'une étude (datée du 30 décembre 1896), M. G. Lanson, l'universitaire, évoque « cette cité des livres » qu'il habite, et où a grand, robuste, la moustache et la barbiche blanchissantes, le visage légèrement marqué de cette fatigue par où la vie intellectuelle adoucit la fraicheur vulgaire des santés animales, M. France se présente au visiteur le corps enveloppé d'une sobre robe de chambre grise, la tète mise en valeur par une lumineuse calotte de soie rouge, dans une délicate et complète harmonie avec toutes ces choses élues qui mèlent de la beauté parmi

les plus obscures perceptions de la vie journalière, et qui en composent, pour ainsi dire, l'air même de cette maison ».

Peu d'années après, M. Eugène Thébault devait, pour les lecteurs de son journal (1), silhouetter « ce littérateur au visage un peu chafouin, aux yeux plissés de Latin, au profil de gendarme rondde-cuir et, ce sera, plus tard, aux jours d'une période agitée, l'interwiew de M. France par M. Adolphe Brisson, entre deux allocutions démocratiques de ce magicien des lettres. Le reporter nous décrit par le menu cet intérieur de M. France, situé dans les parages somptueux de l'Arc-deTriomphe. « Il est discret, écrit-il, silencieux et tout fleuri d'élégance. Un goût délicat et pur l'a aménagé. Dès le seuil il vous surprend par je ne sais quelle grace raffinée. La sonnette de M. France n'est pas une sonnette du commun. Elle est formée d'un morceau de vieux bronze florentin, figurant une tète de vieillard. La porte franchie, on se trouve dans une atmosphère de musée. Ce ne sont que tableaux, statuettes, fragments de marbres dorés par le soleil de l'Attique, estampes fixées aux murs, bois du quatorzième siècle naïvement sculptés et enluminés (2). » Quel décor merveilleux pour les exquises causeries qu'alimente la parole élégante, ironique et subtile du maitre de la maison! « La parole de M. France, dit M. Brisson, n'est pas une parole de rhéteur. Elle ne procède point par période; elle ignore la déclamation et l'emphase elle caresse les idées et les choses, elle les enveloppe, les modèle, ses hésitations mêmes ont du charme. Elle est étonnamment souple et évocatrice....))

(1) La Volonté, (16 novembre 1898). (2) Ad. Brisson: Les Prophètes.

Cependant l'Affaire » ayant fait se jeter M. France dans la bataille politique et sociale, le jour cru d'une popularité bruyante menaçait d'effacer l'impression quasi-mystérieuse et, par suite, favorable, d'une existence familière aux seuls élus du monde littéraire. Il n'en a rien été. Encore que l'orateur public soit, chez M. France, sensiblement inférieur au causeur des réunions intimes, et qu'il n'ait point, à l'instar de quelques autres chefs lettres du parti démocratique, tels que Laurent Tailhade et Jean Jaurès, la faculté inouïe d'entrainer les foules par la chaleur communicative de son verbe, il a su charmer, dès le premier abord, en ses discours, par la clarté toute latine de ses arguments jusqu'à ses adversaires politiques euxmêmes. Et la su imposer au caprice des masses un homme inconnu d'elles, par l'effet de son éloquence convaincue, portant, ainsi, jusqu'au dehors (en cette Italie, notamment, qu'il avait naguère parcourue en simple amateur du Passé), la parole limpide et mesurée de l'érudit et du citoyen.

* **

Né de Paris, empres Ponthoise

Vers fameux que M. Anatole France, en sa qualité de docte ironiste se dédierait volontiers à lui-même si ce vers n'était d'un sentiment tout opposé au profond amour qu'il a toujours ressenti pour sa ville natale. Il l'avoue avec émotion : « Je suis Parisien, de toute mon ame, de toute ma chair, écrit-il quelque part; de Paris je connais tous les pavés, j'adore toutes les pierres. » M. France qui n'a pas les raisons du poète Villon pour railler la capitale, a, tout au contraire, lieu de se féliciter d'y

être né.

De Paris, en effet, il a, dès ses primes années, respiré l'atmosphère spéciale d'art et d'érudition qui enveloppe, plus particulièrement, ses paisibles vieux quartiers de la rive gauche. C'est au quai Malaquais que naquit, en 1844 (1) AnatoleFrançois Thibault, (car le nom de France est le pseudonyme paternel qu'il devait reprendre pour ses débuts dans le Livre), et ainsi, put-il pénétrer de bonne heure les secrets de beauté qu'aujourd'hui encore, nonobstant les rapides changements de la vieille cité, recèlent ces parages. A ce voisinage, il éduqua merveilleusement sa jeune àme. Et il a pu dire, avec raison: « Il ne me parait pas possible qu'on puisse avoir l'esprit tout à fait commun si l'on fut élevé sur les quais de Paris, en face du Louvre et des Tuileries, près du Palais Mazarin, en face la glorieuse Seine qui coule entre les tours, les tourelles et les flèches du vieux Paris. »

Toutefois, France, était, de par son ascendance paternelle, apte, plus que tout autre, à s'imprégner profondément d'un tel spectacle. Son père, Noël Thibault, connu, à titre de libraire, sous le nom de France, était surtout un bibliophile estime, tenant boutique de livres rares pour le compte de Bachelin-" Deflorenne, l'éditeur (2). Ancien garde du corps de Charles X, le « père France » ainsi qu'on l'appelait volontiers entre amis, avait des opinions ultramon

(1) Sa maison natale qui portait le numéro 19, est, aujourd hui, disparue. Elle occupait, d'après le témoignage de M. France lui-mème (Voir le Livre de mon ami) l'emolacement où s'élèvent actuellement, les bâtiments neufs de l'Ecole des Beaux-Arts.

(2) La boutique du père d'Anatole France (d'après l'adresse indiquée sur son édition du catalogue de La Bedoyère, dont il était, au surplus, l'auteur, et qui porte le millésime de 1865) se trouvait au numéro 9 du quai Voltaire. Cette boutique est aujourd'hui occupée par l'éditeur Champion, acquéreur du fonds de Noël France Thibault,

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