Imágenes de páginas
PDF
EPUB

à faire accréditer l'idée que nos populations chrétiennes sont mécontentes, que l'insurrection de Candie en est l'expression; que le feu qui s'est allumé sur ce point de l'Empire menace d'embraser les autres provinces de la Turquie; que, par conséquent, le danger est imminent; que la question d'Orient se pose de nouveau devant l'Europe, et à laquelle on ne voit d'autre solution qu'une large satisfaction à accorder aux vœux de ces populations. - Quels sont ces vœux? quand est-ce qu'ils ont été formulés? et dans quelle mesure faudraitil y satisfaire? On n'a rien précisé à cet égard; mais une rumeur vague parle déjà de la cession de l'île de Candie et d'une rectification de nos frontières en Roumélie et en Épire. Bien que ces combinaisons soient à l'état de rumeur, je crois devoir m'en occuper. J'y procéderai d'après l'ordre que j'ai établi plus haut et de manière à ne laisser dans l'ombre aucune des questions que l'on agite en ce moment relativement à nos affaires.

Je vais donc aborder et examiner un à un tous les griefs portés à notre charge. La première question que nous nous posons est celleci: Par quels signes le mécontentement de nos compatriotes chrétiens se révèle-t-il, et quels sont les motifs qui le provoquent? C'est la situation générale de l'Empire, dit-on, c'est la non réalisation des promesses solennellement faites en faveur des chrétiens; c'est enfin la lenteur de la marche du Gouvernement dans la voie des améliorations qui amènent ce fâcheux état de choses. Eh bien ! qu'il nous soit permis de répondre le passé et le présent sont là pour attester, sinon le non fondement, du moins l'immense exagération de toutes ces accusations. Les progrès déjà effectués prouvent aussi combien le Gouvernement impérial a marché d'un pas sûr et décidé dans la voie des réformes. Nous en appelons au témoignage de ceux qui connaissent à fond notre pays, et nous leur demandons si ce qui a été fait dans l'espace d'une vingtaine d'années n'a pas exigé des siècles d'efforts ailleurs.

Ce que je dis n'est pas un paradoxe; car ce qui s'est opéré en Turquie depuis ce laps de temps n'est pas une simple réforme administrative; c'est la réforme sociale et religieuse qui a été entreprise et en grande partie accomplie : nous avons changé en vingt ans notre moyen âge que l'Europe a mis quatre siècles pour détruire. Le grand principe de l'égalité des classes une fois admis, tous les efforts du Gouvernement se sont dirigés vers sa mise en pratique sans amener de commotion et de choc entre elles, et les musulmans ont, il faut leur rendre cette justice, secondé les vues de leurs gouvernants en montrant une résignation que les castes privilégiées en Europe n'ont pas montrée lorsqu'on leur a imposé ce principe d'égalité.

Quels sont les distinctions et les priviléges dont la race dominante

seule aurait le monopole et dont les chrétiens seraient exclus? Ces derniers ne jouissent-ils pas à un égal titre des bienfaits de toutes les réformes accomplies? Dans les provinces, chaque communauté est appelée à contribuer pour une part égale à la gestion des affaires publiques. La justice est égale pour tous, et les tribunaux que nous avons créés pour les affaires mixtes sont composés d'autant de chrétiens que de musulmans. Non! les chrétiens n'ont pas lieu d'être mécontents, et ils ne le sont pas, comme on le croit en Europe. En veut-on une preuve saisissante? C'est que, malgré toutes les suggestions, toutes les intrigues qui se font sans relâche, ils restent tranquilles chez eux. Il n'y a de chrétiens mécontents que ceux qui, égarés par des promesses chimériques et par des menaces de mort, ont un moment été les instruments des fauteurs étrangers, et qui, émigrés ou ayant pris part à une échauffourée, demandent au Gouvernement impérial le pardon ou leur patrie, qui ne leur sont jamais refusés. Ceux-là sont mécontents, mais ils ne le sont pas de nous.

Sont-ce les provinces vassales qui sont mécontentes? Mais les Principautés-Unies de Moldo-Valachie, heureuses de ce qu'elles ont, nous assurent qu'elles n'ont rien à demander, et la Servie reconnaît déjà la sollicitude paternelle de notre auguste Maître à son égard.

Oui! c'est à tort qu'on voit dans la situation générale de l'Empire des causes latentes d'agitation, des germes de mécontentement pour les populations chrétiennes. L'insurrection crétoise, le seul fait dont nos ennemis puissent se prévaloir, est loin d'être une explosion de ce mécontentement. Le prétendre, c'est oublier les circonstances dans lesquelles cette insurrection a éclaté et les causes qui, au vu et au su de tout le monde, l'ont provoquée.

A une époque où une conflagration générale était à craindre, et où la guerre était déjà allumée en Europe, nos ennemis ont pensé un moment que la guerre éclatée au centre de l'Europe, guerre qui menaçait d'amener une conflagration générale, aurait profité à leur dessein subversif, et ont dirigé tous leurs efforts pour égarer une partie des malheureux habitants de Candie. La chose est-elle sans exemple, même dans les pays les plus civilisés et sous les gouvernements les plus forts et les plus réguliers? Les échauffourées et les insurrections partielles dans ce pays ont-elles été la manifestation d'un mécontement des populations? N'est-ce pas une conséquence forcée de ce que l'intrigue et les illusions ont beaucoup de prise sur l'esprit simple des peuples et que ses sentiments vrais peuvent être momentanément faussés par les menées des agitateurs? L'insurrection de Crète n'a pas même été une insurrection générale de l'île; elle n'était et elle ne serait restée qu'une misérable échauffourée, si le bruit que nos ennemis ont fait ne nous avait pas amenés à montrer

une fois de plus que nous voulions être patients jusqu'au bout et que nous ne voulions user de la force qu'en dernier ressort. Le résultat en a été que nous avons donné beau jeu à nos ennemis, et qu'une échauffourée a pris les proportions d'une insurrection. Cette insurrection même est étouffée depuis plusieurs mois déjà, et nous n'avons plus à lutter que contre le brigandage de plus en plus réprimé et restreint. Quel a été le contre-coup de cet événement en Épire et en Thessalie? Aucun, et cela prouve surabondamment jusqu'à quel point sont fausses les insinuations de nos ennemis à l'égard des dispositions de nos populations chrétiennes. On ne peut citer même une collision entre les indigènes. L'incursion exercée par les brigands étrangers, sous l'uniforme militaire d'un pays voisin, est le seul fait qui tranche avec l'état normal de ces provinces; mais ces brigands aussi, les autorités sauront s'en rendre raison. Que nos amis soient rassurés ! Le Gouvernement impérial est assez fort pour se faire respecter à l'intérieur et maintenir la tranquillité dans les provinces limitrophes de la Grèce, même contre les agitateurs étrangers. Le danger que l'on croit imminent n'existe pas dans les causes intérieures. Le danger est plutôt dans les dangers de remaniement et de rectification des frontières. Ces rumeurs servent admirablement le plan des perturbateurs, qui cherchent à allumer des incendies pour crier, après, au feu! Le but de ces messieurs est d'éveiller des espérances irréalisables, de retarder la marche progressive et régulière des réformes, et de présenter notre Gouvernement à l'Europe comme un État condamné à l'inaction. Nous sommes persuadés que les Puissances amies ne permettront pas plus longtemps la continuation de ce jeu révolutionnaire. Nous ne pouvons pas croire un instant qu'elles veuillent nous imposer un suicide qui serait en même temps celui de l'équilibre européen. Qu'est-ce qu'on entend, en effet, par rectification des frontières? Selon les rumeurs en question, il ne s'agirait de rien moins que de la cession à la Grèce, outre la Crète, de l'Épire et de la Thessalie. Mais en vertu de quel principe voudrait-on procéder à ce démembrement? Le principe de l'agglomération des races, s'il devait même être admis, n'est point applicable à ces provinces. La Crète compte pour un tiers d'habitants musulmans, la Thessalie en compte pour un quart, et les habitants de l'Épire sont moitié musulmans, moitié chrétiens. De quel droit voudrait-on déposséder les uns au profit des autres? Il n'est pas nécessaire d'entreprendre de longues dissertations pour prouver l'inanité, l'injustice et l'impossibilité de toutes ces combinaisons, qui heureusement ne reposent que sur des rumeurs vagues.

Ce que l'Europe doit nous conseiller dans une vue large de progrès et de civilisation, c'est d'achever ce que nous avons commencé. C'est là la vraie question d'Orient. En dehors de cela, il n'y a aucune solu

tion pratique et équitable. Nous marcherons dans la voie des réfor mes pourvu qu'on ne cherche pas à nous mutiler.

J'ai tenu à vous faire part de mes impressions pour que votre langage, en présence des rumeurs ci-haut mentionnées, soit en tous points conforme aux vues du Gouvernement impérial. Je vous autorise même dans ce but à donner lecture de cette dépêche à S. Exc. M. le Ministre des Affaires étrangères de Sa Majesté....

Veuillez, etc.

Signé FUAD.

N° 10. Fuad pacha aux Représentants de la Sublime Porte à Londres, Paris et Saint-Pétersbourg.

(Télégramme.)

Constantinople, le 11 mars 1867.

Bien que les nouvelles officielles reçues de Crète ne confirment pas les bruits qu'on répand partout sur la situation malheureuse des veuves et des orphelins laissés par les victimes de l'insurrection, et qui seraient protégés par des agents étrangers, la S. Porte, désireuse toutefois de rendre aussi complète que possible l'œuvre de réparation qu'Elle y poursuit, vient de charger Costaki Effendi, fonctionnaire du Ministère des Affaires étrangères, ainsi que le docteur Sava Effendi, de se rendre immédiatement en Crète et d'y instituer sous la présidence de S. E. Server Effendi une Commission d'assistance qui aura à soulager les familles éprouvées par les derniers événements.

Une grande quantité de vivres et d autres objets de secours sera à cet effet mise à la disposition de cette Commission.

Signé FUAD.

N° 11. Fuad pacha à Photiadès bey, à Athènes.

Constantinople, le 27 mars 1867.

Monsieur, vous avez été plus d'une fois appelé à représenter au cabinet d'Athènes la gravité de l'état de nos frontières du côté de la Grèce qui sont devenues depuis quelque temps le repaire d'une armée de brigands, guettant à tout moment l'occasion de fondre sur nos paisibles populations qui tiennent à honneur de protester de leur dévouement à l'autorité de S. M. I. le Sultan, en semant ainsi la

discorde et l'épouvante parmi elles. Autant cette situation était en elle-même pleine de périls, autant nous étions au regret de trouver le Gouvernement hellénique si peu disposé à y remédier. Non-seulement rien n'a été fait pour faire cesser cet état de choses, mais la situation s'est aggravée à tel point que la S. Porte se voit dans l'obligation de la signaler de nouveau au Gouvernement hellénique. En effet, si les autorités impériales de la ligne frontière n'ont eu jusque dans ces derniers temps à surveiller ou à combattre que de petites bandes de brigands, aujourd'hui elles voient devant elles un véritable ennemi ayant son centre d'action en Grèce et renforcé journellement par des secours de toute sorte et qui, appuyé moralement pour ainsi dire par les corps d'observation placés sur les frontières helléniques, commence à déverser sur notre territoire des masses composées souvent de quinze cents individus recrutés, organisés, équipés et armés, nous pouvons le dire, au vu et au su du Gouvernement hellénique. Le danger d'une telle situation est évident. Car, bien que nos autorités soient mises partout en état de repousser ces attaques, comme le nombre des troupes qui sont lancées à la poursuite des agresseurs est proportionné nécessairement au nombre de ceux-ci, et comme parfois elles pourraient se trouver dans la nécessité de leur donner la chasse jusque sur le territoire du Royaume, conformément à la Convention du 29 septembre / 11 octobre 1865, l'on prévoit aisément les graves conséquences auxquelles ces déplacements seraient de nature à donner lieu. Il pourrait même en surgir entre les autorités respectives des conflits dont la responsabilité retombera sur les autorités helléniques qui, au lieu de s'opposer à la formation de ces bandes, paraissent au contraire vouloir garder une attitude qui n'a malheureusement servi jusqu'ici qu'à favoriser leur développement. Il serait oiseux de citer ici un à un les faits qui corroborent cette assertion et que, d'ailleurs, V. E. connaît déjà.

Le Gouvernement de S. M. I. le Sultan ne peut voir sans un regret infini l'état de ses relations avec la Grèce devenir de plus en plus intolérable. Si les choses ne parlaient assez d'elles-mêmes, les déclarations faites en dernier lieu en pleine chambre par M. Tricoupis suffiraient pour démontrer quelles sont les vraies tendances des ministres de S. M. le Roi Georges. Partout nous voyons nos voisins pousser les choses à l'extrême. Après les équipées trop connues du << Panhellénium » et de l'Hydra» dont ils se sont servis jusqu'ici pour le ravitaillement de la rébellion candiote, aujourd'hui nous voyons paraître sur la scène un nouveau bateau-pirate, l'Arcadion, qu'on est allé jusqu'à armer de canons et qui commence déjà à concourir à l'épreuve de flibusterie ouvertement organisée en Grèce. En un mot, sur mer comme sur terre, nos ennemis trouvent moyen d'é

α

« AnteriorContinuar »