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DEUXIESME PARTIE.

DES DAMES GALLANTES.

A MONSEIGNEUR LE DUC D'ALENÇON, DE BRABANT, ET COMTE DE FLANDRES,

FILS ET FRÈRE DE NOS ROYS.

MONSEIGNEUR,

D'autant que vous m'avez faict cest honneur souvent à la cour de causer avec moy fort privement de plusieurs bons mots et contes, qui vous sont si familiers et assidus qu'on diroit qu'ils vous naissent à veue d'œil dans la bouche, tant vous avez l'esprit grand, prompt et subtil, et le dire de mesmes et très-beau, je me suis mis à composer ces discours tels quels, et au mieux que j'ay peu, afin que si aucuns y en a qui vous plaisent, vous fassent autant passer le temps et vous ressouvenir de moy parmy vos canseries, desquelles m'avez honnoré autant que gentilhomme de la cour.

Je vous en dedie donc, Monseigneur, ce livre, et vous supplie le fortifier de vostre nom et auctorité, en atten

dant que je me mette sur les discours sérieux. Et en voyez un à part, que j'ay quasy achevé, où je deduis la comparaison de six grands princes et capitaines qui voguent aujourd'huy en ceste chrestienté, qui sont : le roy Henri III vostre frere, Vostre Altesse, le roy de Navarre vostre beau-frere, M. de Guyse, M. du Mayne et M. le prince de Parme, alleguant de tous vous autres vos plus belles valeurs, suffisances, merites et beaux faicts, sur lesquels j'en remets la conclusion à ceux qui la sçauront mieux faire que moy.

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PREMIER DISCOURS.

DE L'AMOUR DE PLUSIEURS FEMMES MARYÉES, ET QU'ELLES N'EN SONT SI BLASMABLES, COMME L'ON DIROIT POUR LE FAIRE;

LE TOUT SANS RIEN NOMMER, ET A MOTS COUVERTS.

D'autant que ce sont les dames qui ont faict la fondation du cocuage, et que ce sont elles qui font les hommes cocus, j'ay voulu mettre ce discours parmy ce livre des dames, encor que je parleray autant des hommes que des femmes. Je sçay bien que j'entreprends une grande œuvre, et que je n'aurois jamais faict si j'en voulois monstrer la fin, car tout le papier de la chambre des comptes de Paris n'en sçauroit comprendre par escrit la moitié de leurs histoires, tant des femmes que des hommes. Mais pourtant j'en escriray ce que je pourray, et quand je n'en pourray plus, je quitteray ma

plume au diable, ou à quelque bon compaignon qui la reprendra; m'excusant si je n'observe en ce discours ordre ny demy, car de telles gens et de telles femmes le nombre en est si grand, si confus et si divers, que je ne scache si bon sergent de battaille qui le puisse bien mettre en rang et ordonnance.

Suivant donc ma fantaisie, j'en diray comme il me plaira, en ce mois d'avril qui en rameine la saison et venaison des cocus: je dis des branchiers, car d'autres il s'en fait et s'en voit assez tous les mois et saisons de l'an.

Or, de ce genre de cocus, il y en a force de

diverses especes; mais de toutes la pire est, et que les dames craignent et doibvent craindre autant, ce sont ces fols, dangereux, bizarres, mauvais, malicieux, cruels, sanglants et ombrageux, qui frappent, tourmentent, tuent, les uns pour le vray, les autres pour le faux, tant le moindre soupçon du monde les rend enragés; et de tels la conversation est fort à fuir, et pour leurs femmes et pour leurs serviteurs. Toutes fois j'ai cognu des dames et de leurs serviteurs qui ne s'en sont point soucié; car ils estoient aussy mauvais que les autres, et les dames estoient courageuses, tellement que si le courage venoit à manquer à leurs serviteurs, le leur remettoient; d'autant que tant plus toute entreprise est perilleuse et escabreuse, d'autant plus se doibt-elle faire et executer de grande generosité. D'autres telles dames ay-je cognu qui n'avoient nul cœur ny ambition pour attempter choses hautes, et ne s'amusoient du tout qu'à leurs choses basses: aussy dit-on lasche de cœur comme une putain.

- J'ay cognu une honneste dame, et non des moindres, laquelle, en une bonne occasion qui s'offrit pour recueillir la jouissance de son amy, et luy remonstrant à elle l'inconvenient qui en adviendroit si le mary, qui n'estoit pas loin, les surprenoit, n'en fit plus de cas, et le quitta là, ne l'estimant hardy amant, ou bien pour ce qu'il la dedit au besoin d'autant qu'il n'y a rien que la dame amoureuse, lorsque l'ardeur et la fantaisie de venir là luy prend, et que son amy ne la peut ou veut contenter tout à coup, pour quelques divers empeschements, haïsse plus et s'en despite.

:

Il faut bien louer ceste dame de sa hardiesse, et d'autres aussy ses pareilles, qui ne craignent rien pour contenter leurs amours, bien qu'elles y courent plus de fortune et dangers que ne fait un soldat ou un marinier aux plus hasardeux perils de la guerre ou de la mer.

- Une dame espaignolle, conduicte une fois par un galant cavallier dans le logis du roy, venant à passer par un certain recoing caché et sombre, le cavallier, se mettant sur son respect et discretion espaignolle, luy dit : Señora, buen lugar, si no fuera vuessa merced. La dame luy respondit seulement : Si, buen lugar, si no fuera vuessa merced; c'est-à

dire : « Voilà un beau lieu, si c'estoit une autre « que vous. Ouy vrayement, si c'estoit aussy « un autre que vous. » Par-là l'arguant et incolpant de couardise, pour n'avoir pas pris d'elle en si bon lieu ce qu'il vouloit et elle desiroit; ce qu'eust faict un autre plus hardy: et, pour ce, oncques plus ne l'ayma, et le quitta. J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame, qui donna assignation à son amy de coucher avecques elle, par tel si qu'il ne la toucheroit nullement et ne viendroit aux prises; ce que l'autre accomplit, demeurant toute la nuict en grand'stase, tentation et continence; dont elle luy en sçeut si bon gré, que quelque temps après luy en donna jouissance, disant pour ses raisons qu'elle avoit voulu esprouver son amour en accomplissant ce qu'elle luy avoit commandé. Et, pour ce, l'en ayma puis après davantage, et qu'il pourroit faire toute autre chose une autre fois d'aussy grande adventure que celle-là, qui est des plus grandes.

Ancuns pourront louer ceste discretion ou lascheté, autres non je m'en rapporte aux humeurs et discours que peuvent tenir ceux de l'un et de l'autre party en cecy.

J'ay cognu une dame assez grande qui, ayant donné une assignation à son amy de venir coucher avec elle une nuict, il y vint tout appresté, en chemise, pour faire son debvoir; mais, d'autant que c'estoit en hiver, il eut si grand froid en allant, qu'estant couché il ne peut rien faire, et ne songea qu'à se rechauffer: dont la dame le haït, et n'en fit plus de cas.

-Une autre dame devisant d'amour avecques un gentilhomme, il luy dit, entre autres propos, que s'il estoit couché avec elle, qu'il entreprendroit faire six postes la nuict, tant sa beauté le feroit bien piquer. «Vous vous van«tez de beaucoup, dit-elle. Je vous assigne << donc à une telle nuict.» A quoy il ne faillit de comparoistre; mais le malheur fut pour luy qu'il fut surpris, estant dans le lict, d'une telle convulsion, refroidissement et retirement de nerf, qu'il ne peut pas faire une seule poste; si bien que la dame luy dit : «Ne vou«lez-vous faire autre chose? Or, vuidez de mon «lict; je ne le vous ay pas presté, comme « un lict d'hostellerie, pour vous y mettre à «vostre aise et reposer. Parquoy, vuidez.» Et

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