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Tels sont les principes généraux de la matière.

Il nous reste à faire connaître les dispositions du droit positif qui régissent les rapports de l'Etat avec l'Eglise, particulièrement en France.

Nous donnerons ci-après une esquisse historique qui fera connaître jusqu'à quel point les principes que nous venons d'indiquer ont été suivis en France par les deux pouvoirs, civil et ecclésiastique, dans les temps qui précédaient notre époque; mais nous croyons faciliter au lec teur l'intelligence des détails historiques, en indiquant d'abord quelques principes secondaires qui sont la conséquence de ceux que nous venons d'exposer. N'oublions pas qu'il s'agit principalement de l'église catholique.

Aucune législation, et notamment pas celle de la France, ne contient des dispositions suffisamment explicites et étendues sur les limites respectives du pouvoir civil et de celui de l'Eglise. La détermination de ces limites présente de graves difficultés pour le législateur et pour le jurisconsulte chargé d'appliquer la loi.

Pour arriver à cette détermination, il faut considérer, en premier lieu, que le culte lui-même, l'Eglise visible, est ou extérieur ou intérieur. Le culte extérieur, qu'on appelle sacra externa, consiste dans des actes qui se trouvent en contact avec la société civile, avec l'exercice du pouvoir civil; ces actes sont de nature à pouvoir subir des modifications, sans que ces modifications nuisent à l'essence de la religion. Le culte intérieur (sacra interna) se compose d'actes qui se passent dans le sein de la so

où l'Eglise exige que les futurs époux se munissent de dispenses préalables d'un supérieur ecclésiastique: car ces dispenses ne constituent pas un acte extérieur relatif au culte, et que le pouvoir civil doit maintenir et protéger; ce pouvoir n'est pas tenu de donner sa sanction aux sacra interna, sur lesquels il ne prétend aussi pas exercer ses jura majestatis.

ciété religieuse; ils peuvent être regardés comme institués par Dieu; ils consistent dans l'emploi que fait cette société des moyens propres à avancer son but et à écarter tout ce qui s'y oppose : ils renferment le droit de convenir de règles religieuses, de prêcher la parole de Dieu, d'administrer les sacrements, de résoudre les questions de foi et de conscience, de conférer des emplois ecclésiastiques, et de corriger d'une manière convenable ou d'exclure les membres qui manqueraient aux préceptes de la société'.

Les auteurs qui ont écrit sur le droit ecclésiastique et sur le droit des gens appellent jus sacrorum le droit qu'a la société religieuse de procéder à ces actes; ils appellent jura majestatis circa sacra1 les droits que le pouvoir civil exerce dans ses rapports avec l'Eglise. Les droits de cette première classe ne se rapportent qu'aux actes extérieurs du culte (sacra externa); ils sont, comme on verra par l'énumération que nous en ferons, des conséquences im médiates et nécessaires du droit de souveraineté, qui ap partient au pouvoir civil dans toute l'étendue du terri toire, et sans lequel l'Etat ne peut exister: lui refuser ces droits, c'est soutenir que, sous prétexte de culte, chaque habitant du territoire est libre d'exercer des actes exté rieurs qui modifient la souveraineté territoriale.

On reconnaît généralement que les jura majestatis circa

sacra sont :

1o Le jus reformandi3, c'est-à-dire le pouvoir de déci

Sauter, §§ 32, 33, 34, 132, 141 et 142.

2 Martens, Droit des gens, § 112; Klüber, Droit des gens européen, § 87; Sauter, §§ 252 et suiv.; Walter, $$ 44 et suiv. Ce dernier auteur, tout en déclarant qu'en fait le pouvoir civil exerce les droits que nous allons énumérer, lui conteste en droit cet exercice, ainsi que nous l'expliquerons dans les notes suivantes. Vattel, Droit des gens, liv. 1, ch. 12, § 127-157, ne donne sur cette matière que des idées confuses.

3 Le terme jus reformandi n'a pas en lui-même le sens général que les au

der si une église nouvelle sera admise dans le pays, et sous quelles conditions cette admission aura lieu. Ce pouvoir a sa base dans la circonstance que le gouvernement civil doit, dans l'intérêt général, et dans celui de sa propre conservation, prévenir et redresser les empiété ments que l'Eglise pourrait se permettre au préjudice de l'autorité séculière'. Une conséquence de ce pouvoir est la faculté de modifier les institutions extérieures de l'Eglise là où ses institutions entrent en contact avec la vie civile, et cela d'après les vues et le but de cette dernière".

2o Le jus advocatiæ, le pouvoir de protection. Ce pou voir est une conséquence du devoir imposé à l'Etat envers

teurs lui prêtent en cette matière: il date du temps de la réformation de Luther, où l'on employa ce mot pour désigner le pouvoir que les princes s'arrogèrent d'adopter la doctrine de la réforme plus tard on a étendu le sens du mot.-M. Walter, § 44, refuse au gouvernement civil ce pouvoir qui, dit-il, ne peut être admis que dans un État qui ne professe pas un des cultes chrétiens. Aussitôt, ajoute-t-il, que le pouvoir civil a adopté le christianisme, il est de son intérêt et de son devoir d'en professer le culte. Que, si un culte nouveau prétend s'introduire dans le pays, le gouvernement pourra le repousser ; mais, en le faisant, il agira non comme pouvoir civil, mais comme corporation attachée aux principes du christianisme, et le défendant contre les attaques du dehors. En effet, chaque culte se croit le meilleur, le seul véritable, et, par suite, se croit obligé de réfuter les autres et d'en convertir les sectateurs (§ 46). Ce raisonnement est faux : le gouvernement, en refusant d'admettre, dans son territoire, l'exercice d'un nouveau culte, ne s'ingère nullement dans l'intérieur de ce culte, dans les relations que ses sectateurs prétendent établir avec Dieu : il intervient uniquement en ce qui concerne le culte extérieur. Cette intervention est fondée sur le droit de souveraineté territoriale.

Ce principe décide négativement la question posée plus haut, de savoir si, en France, chacun est libre de professer publiquement un nouveau culte, différent de ceux déjà établis et reconnus par le pouvoir civil. Dans les espèces qui se sont presentées en justice, l'examen du fond de cette question a été erdinairement écarté par une fin de non-recevoir, tirée de l'art. 291 du code pénal. Arrêt de la cour de cassation, du 22 juillet 1857 (Sirey, 1837. 1. 360. Dalloz, 1837. 1.367).

2 On trouve une application de cette règle dans l'art. 13 de la loi du 18 germinal an x.-L'Église, dit M. Walter, se refuse à reconnaître à l'État ce pouvoir de troubler sa possession.

l'Eglise. Il ne consiste pas seulement à empêcher toute violence et injure contre l'Eglise; mais aussi à lui accorder des bienfaits. De là il suit qu'en vertu du jus advocatiæ: 1o l'Etat réprime ceux qui font acte de mépris ou de profanation contre l'Eglise ; 2° il donne, par ses lois, sanction aux ordonnances rendues par l'autorité ecclésiastitique, tendant à la conservation de la religion et de la bonne discipline ecclésiastique; 3° il fournit les moyens nécessités par la décence et la dignité du culte extérieur, et pourvoit à l'existence de ses ministres; 4° il protége ces derniers par des prérogatives, et il leur procure ainsi la vénération et l'obéissance qui leur sont dues'. Aussi l'église chretienne a toujours reconnu à l'Etat l'exercice de ce pouvoir 2.

3o Le pouvoir d'inspection suprême sur l'Eglise (jus suprema inspectionis), c'est-à-dire le droit appartenant aux autorités civiles, fondé sur l'intérêt commun de la nation, de prendre connaissance de ce qui se passe dans l'Eglise et de contrôler l'action de ses organes3; le jus inspectionis ne regarde point les sacra interna, le culte intérieur, qui ne touche en rien à la vie civile : l'admission

Sauter, à l'endroit cité, $$ 135 et 134.

2 M. Walter fait observer que l'Église accepte avec reconnaissance ce pouvoir de la part de l'État, sans se disputer sur le mot; mais qu'on ne doit pas confondre la protection avec la tutelle.

3 V. Sauter, à l'endroit cité, §§ 141 et 142.-L'Église, dit M. Walter, reconnait à l'État ce pouvoir, tel que Charlemagne et saint Louis l'ont exercé. Ces princes, tout en maintenant scrupuleusement l'organisme ecclésiastique, qui possède en lui-même tous moyens nécessaires à sa conservation, ont invoqué l'action de l'un des organes de l'Église contre les vices et les défauts d'un autre de ses organes; mais l'Église repousse formellement le système adopté par le pouvoir civil, d'après lequel celui-ci, agissant comme si l'Église ne faisait que lui susciter des dangers, l'entoure partout de surveillants, entrave les communications des membres de l'Église avec ses supérieurs, interrompt la hiérarchie de ses institutions et attire ainsi dans ses mains l'administration intérieure de l'Église, sous le prétexte de maintenir l'intérêt de l'État.

d'une église dans un Etat emporte de plein droit la faculté d'exercer son culte intérieur. Il n'est question ici que des sacra externa, qui sont placés dans l'arbitre humain et peuvent être changés sans porter préjudice à l'essence de la religion; qui viennent en contact avec les intérêts de l'Etat etne sauraient donc être abandonnés au seul arbitre des ministres de l'Eglise. C'est ainsi, dit Sauter, dans l'ouvrage déjà cité, § 144, que l'Etat peut : 1° modifier les institutions ecclésiastiques établies anciennement par les supérieurs de l'Eglise, mais qui, par le changement des mœurs et du temps, ne conviennent plus à l'état actuel de la nation; 2° réduire le nombre excessif des ministres du culte ou des associations religieuses; 3° soumettre à un examen les règles et statuts des congrégations religieuses et les corriger, s'il y a lieu, comme, par exemple, s'ils empiètent sur l'autorité civile ; 4° dans les pays où l'élection des évêques et autres supérieurs ecclésiastiques `appartient aux membres du clergé, repousser l'élu par un veto ou une exclusiva autorisée même par le droit canon (Can. 9, 16, Dist. LXIII); 5° donner une nouvelle circonscription aux diocèses et paroisses, conformes aux limites actuelles et à la division politique du territoire ' 6° admettre le recours (recursus, appel comme d'abus) contre les actes des autorités ecclésiastiques qui excèdent les bornes de leur pouvoir. (Voy. le Can. 31, XVI, qu. VII, et les art. 6 et 8 des articles organiques du concordat); 7° défendre la tenue d'un concile ou synode sans

En France, les nouvelles circonscriptions des archevêchés et évêchés ont toujours été sanctionnées par le pape.

* On trouve des dispositions semblables dans l'édit additionnel à la constitution de Bavière, §§ 32, 33 et 54 ; dans la constitution du grand duché de Hesse, § 42; dans celle de Saxe-Cobourg, S 28, de l'électorat de Hesse, § 155; dans celle de Hanovre, § 65, et dans les édits émanés des gouvernements dont le territoire compose l'archevêché de Fribourg, § 36. - Suivant M. Walter (§ 44), I. 2o SÉRIE.

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