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hommes imaginatifs à l'origine des civilisations. La science va ramassant ses fagots de tous côtés; mais c'est l'imagination qui les brûle pour la plus grande illumination des âmes.

Une vérité est découverte par un savant; comptez les menteurs qui l'exploitent, depuis les industriels qui la mettront dans leurs prospectus jusqu'aux théoriciens qui la logeront bon gré mal gré dans leurs systèmes. Tel découvre qu'il y a du fer dans le sang; aussitôt cent pharmaciens de mettre en vente des pilules de fer d'une efficacité plus ou moins douteuse, proclamée incontestable par mille certificats de médecins plus ou moins convaincus. La vulgarisation des sciences serait moralisatrice si elle contribuait à développer la véracité. Mais elle ne produit cet effet que sur une très faible partie du public, à savoir non sur le manufacturier ou le politique qui font de la science un instrument de domination et de richesse, ni sur le romancier ou le poète qui lui demandent de nouvelles émotions, mais seulement sur le savant qui emploie la science à faire progresser la science, mode d'emploi très spécial et très rare. L'organisme social, en somme, se défend contre la vérité qui l'assaille de toutes parts, comme l'organisme naturel contre les intempéries et les forces physiques. Il a besoin d'elle, comme l'être vivant a besoin des agents extérieurs, contre lesquels pourtant il est en lutte constante et sans lesquels il mourrait. De même, la société vit de vérités, de connaissances toujours renouvelées; elle consomme, pour se les assimiler, toutes celles que ses savants et ses philosophes lui fournissent. Ceux-ci sont situés sur les confins du monde social, qu'ils sont chargés de mettre en rapport avec l'univers, à peu près comme les cellules épidermiques et les tissus de l'œil reçoivent le choc des vibrations aériennes ou éthérées et les transmettent à l'intérieur du corps, où elles se brisent en mille fragments et se dévient de mille manières.

Maintenant, ce besoin social d'illusion, qui explique l'habitude du mensonge en raison inverse de l'erreur, et

par suite la hausse ou la baisse de la délictuosité astucieuse, sur quoi est-il fondé? Il est fondé, et c'est là ce qui nous oblige à le croire immortel, sur le besoin même d'organisation sociale, c'est-à-dire d'accord logique, dans le sens social du mot. L'accord logique est, pour les sociétés comme pour les individus, la formation d'un faisceau de jugements et de desseins de plus en plus convergents, par l'élimination graduelle des jugements et des desseins que repousse ou contredit la majorité des autres 1. La seule différence est que, en logique individuelle, les jugements ou les desseins à accorder sont inhérents au même individu, tandis qu'en logique sociale ils sont incarnés dans des individus distincts. Cette différence importe ici; en effet, pour l'individu, le désir d'être logique fait partie du besoin d'être sincère; et la répugnance à se démentir soimême par la suite de ses actes ou de ses pensées seconde en lui le dégoût de mentir. Toute idée, tout projet, dès que son opposition avec une croyance plus forte ou avec un désir plus fort vient à apparaître, disparaît aussitôt, et l'épuration du système interne s'opère ainsi sans difficulté. Mais, en logique sociale, les propositions et les programmes à éliminer sont des hommes qu'on n'élimine pas et qu'il faut convertir, quelquefois par force, plus souvent par habileté. En outre, la poursuite d'un bien réel, saisissable et vrai, tel qu'un domaine rural, un héritage, la main d'une femme, est propre à produire individuellement la convergence logique des désirs; mais, socialement, elle n'est presque jamais propre qu'à diviser les désirs et placer la société sur un pied illogique. Car la possession indivise soit des terres et des troupeaux, soit des femmes et des esclaves, n'est possible qu'à l'origine, et leur partage forcé ensuite mécontente presque tout le monde. D'où la néces

1 Pour l'intelligence de ceci et de tout ce qui suit, je dois faire remarquer qu'à mon point de vue mais ce n'est pas le lieu de le développer ici l'Éthique et l'Esthétique se ramènent, au fond, à la Logique.

sité de susciter quelque grand objet imaginaire, ciel mystique, gloire patriotique, beau artistique, qui fait converger dans le vide et s'accorder idéalement les désirs de tous entre-heurtés sur terre. Un halluciné ou un imposteur montre ce but, suggère cette vision; elle éblouit des aveugles et les fait marcher en bon ordre à la victoire. Quand les yeux seront dessillés, ils iront pêle-mêle à tâtons, redemandant leur rêve.

Il s'agit, par suite, pour supprimer les délits d'astuce, pour chasser la fourberie, d'accorder l'accord logique individuel avec l'accord logique social, c'est-à-dire de rendre ce dernier lui-même compatible avec la franchise. Il le faut, puisqu'une nation forte suppose de fortes individualités, droites et loyales. Or, si le système des idées et par conséquent des désirs d'un individu isolé peut s'établir logiquement sous l'empire d'un principe positiviste, il n'en est pas de même, comme il vient d'être dit, du système des idées et des vœux d'un peuple. L'individu, en s'associant, doit donc se soumettre à cette nécessité et partir de quelque postulat transcendant. C'est d'autant plus aisé pour la grande majorité des hommes que la religion établie se présente toujours à eux comme le plus logique, le plus cru, c'est-à-dire le plus croyable des systèmes. Tant que ce haut torrent de foi coule et arrose un peuple, c'est folie de chercher ailleurs l'inspiration et l'appui du devoir. Mais quand il se dessèche, que faire? La science apparaît; saluons! Cependant pour être un vrai croyant, dont la foi inébranlable implique une conduite invariable et rassurante pour autrui, on doit, non seulement être pénétré

1 Les États-Unis, où les ressources d'un solimmense s'offrent pour rien au premier venu, semblent échapper par là à cette nécessité. Mais, vienne le moment où leur territoire sera rempli, - et déja les meilleures places y sont prises,- le désir de s'y enrichir, qui aujour. d'hui y est encore une cause d'union, y deviendra une source de luttes; et, pour y mettre fin, il faudra bien là aussi sublimer les désirs.

2 C'est surtout des hommes publics, des gouvernants, qu'on est en droit d'exiger cette rigidité des principes. Car elle est, je me

de l'importance de certaines vérités, mais encore être persuadé que les connaître est le plus grand bien, que les ignorer est le plus grand mal, que leur rendre témoignage par ses actes est le premier et souverain devoir de l'homme. L'homme religieux est plein d'une foi pareille. Combien de temps s'écoulera-t-il avant que les vérités scientifiques ou philosophiques soient l'objet de telles convictions?

Il n'y a pourtant pas à espérer que l'esprit de mensonge soit exorcisé de nos sociétés, si ce n'est quand elles se seront installées de nouveau dans quelque majestueuse erreur stable et profonde, dans un Crodo spécieux qui les oriente vers un idéal fascinateur. Ce sera, plus tard, l'œuvre de quelque puissant esprit, plus sincère que Pythagore ou Mahomet, espérons-le; mais ce ne pourra être que lorsque la source, aujourd'hui si abondante, des découvertes scientifiques, aura tari. Comme il n'y aura plus alors à se préoccuper que des anciennes, une synthèse philosophique, durable et définitive, sera possible, à l'ombre de laquelle l'humanité assoupie rêvera en paix, exempte de tous délits comme de tous maux... Mais nous, en attendant, s'il en est ainsi, consolons-nous d'être de notre siècle; et ne croyons pas acheter trop cher, au prix de tous nos délits et de tous nos crimes, et de tous nos mensonges même, nos lumières et nos découvertes, si du moins les plus respectables illusions ne valent pas à nos yeux les plus dangereuses vérités.

chargerais de le démontrer, la seule vraie garantie des gouvernés contre la possibilité de leurs crimes, la plupart impunis. Agir contrairement à ses principes, c'est, pour un homme d'État, un mensonge criminel. Or, je le demande, l'utilité de tels mensonges va-telle ou non en décroissant?

TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS.

CHAPITRE I. LE TYPE CRIMINEL..

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I. Caractères anatomiques. Le corps. La tête. Contraste par-
fait avec le type idéal d'Hégel. II. Caractères physiologi-
ques et pathologiques. Utilité de ce signalement physique.
-III. Caractères psychologiques. Analogies avec le sauvage,
différences avec le fou. Relativité du crime, non de la folie.
Faits qualifiés crimes aux diverses époques. Responsabilité
du criminel et non du fou; pourquoi. IV. Caractères
sociologiques.Grandes associations de malfaiteurs: Camorra.
Nulle similitude avec les tribus sauvages. Tatouage et argot
des bagnes. Graphologie criminelle. V. Essai d'explica-
tion. Les femmes ont le type criminel. Les types pro-
fessionnels. VI. Atténuation possible du virus criminel

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dans l'avenir.

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CHAPITRE II. LA STATISTIQUE CRIMINELLE.
I. Progression rapide et réelle du nombre des délits. Baisse
apparente du nombre des crimes. Causes de cette illusion.

· II. Discussion avec M. Poletti: si l'activité productrice
compense l'activité malfaisante. - III. La récidive. Action
de l'exemple. Pourquoi le métier de malfaiteur est devenu
excellent. Relé gation et sociétés de patronage. — IV. Civi-
lisation et révolution. La politique et la courbe des délits.

V. Magistrature; ses progrès constants à tous égards.
Chiffre stationnaire des procès civils. Comparaison des trois
statistiques judiciaires. Jury. Aperçu historique sur la dis-
tinction du civil et du criminel.-VI.Religion,son influence.
Instruction primaire,son inefficacité. Instruction supérieure,
sa vertu. La morale fondée sur l'esthétique.

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