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La situation actuelle, au moins d'après les derniers arrêts de la jurisprudence française est donc celle-ci : Pour les associations en général, nécessité de déterminer individuellement et dès le principe, à moins d'une renonciation de la part de l'autre partie, les différentes personnes dont les intérêts sont poursuivis par un seul associé, agissant à titre de mandataire; nécessité, par conséquent, de dire dans les exploits « J'agis au nom de MM. un tel et un tel, qui sont mes mandants ». Pour quelques sociétés déterminées, dérogation à cette prescription et, par conséquent, possibilité pour le sociétaire ou le mandataire qui paraît en justice, de faire une simple désignation collective; on dira dans les exploits : « J'agis au nom d'une telle association qui, en me conférant telle fonction, m'a donné le mandat de la représenter ».

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Qu'est-il besoin de faire intervenir dans cette explica

Revue critique, 1875; BERRIAT SPRIX, De la qualité pour agir Revue critique, 1876 et GARSONNET, Cours de procédure, t. I, p. 476.

M. l'avocat général VAN BERCHEM, dans un savant réquisitoire où il passait en revue la jurisprudence belge, disait en 1872: « On pourrait, il est vrai, dans un cas que nous allons déterminer, être très large dans l'interprétation des contrats et des actes de procédure et admettre que, lorsque la société, comme telle, intervient dans les uns et dans les autres, poursuite et diligence de son directeur général, elle veut dire tous les associés, les associés pris dans leur ensemble, et représentés par leur commun mandataire, le directeur général; on pourrait, par suite, admettre, grâce à cette interprétation généreuse, la validité du contrat originaire et y trouver une renonciation valable à la règle: nul ne plaide par procureur ». Ce cas serait celui d'une société civile ordinaire, constituée sur les bases essentielles du titre des sociétés, ou même celui d'une communauté dont les statuts respecteraient les principes du droit commun. Dans ce cas, en effet, on peut concevoir un lien de droit ; il y a des personnes physiques, capables de droits et d'obliga. tions, pouvant être recherchées, chacune étant responsable pour une part; dans ce cas, il y a place pour un mandat, parce qu'il y a des mandants. Il est alors peut-être possible de soutenir qu'aucun principe d'ordre public n'est entamé et de faire prévaloir la loi du contrat ». Belg. judic., 1872, p. 540.

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tion la présence d'un être fictif? Qu'on appelie les sociétés en faveur desquelles on a fait une exception, ou plutôt en considération desquelles on est revenu aux principes généraux, des sociétés privilégiées, soit, nous le comprenons ; mais ce que nous ne saisissons pas, c'est le motif pour lequel on veut chercher la justification de ce phénomène juridique, si clair, si naturel, dans l'apparition d'un être abstrait et idéal (1).

Inutile de parler longuement du caractère mobilier des droits des associés; il ne peut y avoir de grandes perplexités à ce sujet. Pourquoi le législateur a-t-il fait une catégorie isolée des actions des grandes sociétés industrielles ou financières? Comment a-t-il été amené à régler ces droits différemment de ceux que peuvent posséder les membres d'une association civile ? C'est l'observation pratique des faits et de la réalité qui lui a imposé cette diversité de mesures. Il a compris que l'application du droit commun soulèverait en cette matière des obstacles sans nombre, qu'il était très peu habile d'embarrasser le développement de nos vastes sociétés commerciales, en assujé

(1) Si l'on voulait entrer dans les détails, on remarquerait qu'il y a, au point de vue de la procédure, trois differences générales entre les associations commerciales, ou reconnues comme personnes civiles, et les autres sociétés :

1o Relativement à la détermination du lieu où se règlent les contestations, art. 59. Il faut reia quer qu'une disposition analogue existe pour les successions et pour les faillites (art. 59 du code de proc. et art. 110 du co le civil). L ́s sociétés civiles jouissent elles-mêmes d'une semblable faveur devant le juge de paix en conciliation (art. 50 du code de proc.).

2o Relativement à la représentation par un gérant dans les actes de la procédure. C'est la différence principale et c'est pourquoi nous l'avons choisie pour l'objet de notre examen.

3o Enfin, relativement aux formalités de l'assignation. Ce dernier point est un corollaire de la différence précédente. Les noms à inscrire dans les exploits doivent nécessairement être ceux des personnes qui interviennent légitimement dans le procès.

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tissant leurs actions à toutes les règles et à toutes les précautions dont se trouve hérissée notre législation sur les immeubles. Il est nécessaire, disait Treilhard, de conserver aux actions leur qualité de mobilières, parce qu'il importe de faciliter leur circulation ». Dans la réalité, l'article 529 du code n'est donc qu'un privilège permettant d'user, en faveur de certains droits immobiliers, de toutes les simplifications et de toutes les libertés que la loi reconnaît pour la transmission et la gestion des droits mobiliers. Cette observation est si vraie, que, malgré le texte formel de cet article portant que « les actions ou intérêts sont réputés meubles à l'égard de chaque associé seulement, tant que dure la société », la jurisprudence n'a pas hésité à déclarer que ces actions conservaient leur même caractère après la dissolution de la société, disant pour se justifier, que « la force des choses » le voulait ainsi, et que sa décision était commandée par les nécessités de la pratique. Quels embarras ne rencontrerait-on pas s'il fallait suivre dans les liquidations les formalités requises pour les droits immobiliers, et s'il y avait des mineurs parmi les associés? (1)

Très bien pour ces deux faits, nous dira celui qui veut insister, mais comment comprendre d'une manière raisonnée la distinction du patrimoine social et du patrimoine des associés sans reconnaître la présence d'une personne morale? Comment séparer les biens, les dettes, les créances? Coinment? Encore une fois, remarquons que le même effet se produit ailleurs et qu'il est expliqué autre

(1) Cour de cass. franç., 29 mai 1865.

M. Labbé s'est même appuyé sur l'article 52 du code civil pour soutenir que la personnification est un simple voile qui cache pendant un temps le fait de la copropriété, voile qui se di sipe à la dissolution pour Jaisser reparaitre la réalité, c'est-à-dire la juxtaposition des droits individuels en état d'indivision. SIREY, 1881, II, p. 249.

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ment. Il existe une grande analogie entre la situation des créanciers dans les sociétés anonymes et collectives et celle des créanciers dans les successions où il y a soit bénéfice d'inventaire soit séparation des patrimoines. Y a-t-il bénéfice d'inventaire? les créanciers du défunt se paient sur l'actif héréditaire sans pouvoir saisir les biens des héritiers, de même que les créanciers de la société anonyme se paient sur l'actif social sans avoir le droit de mettre la main sur le patrimoine des associés. Dans les deux cas, les créanciers personnels des héritiers, comme les créanciers personnels des associés, ne peuvent rien toucher dans la succession ou dans la société qu'après le paiement des créanciers du défunt ou de la société anonyme. Y a-t-il séparation des patrimoines? alors les créanciers héréditaires ont des droits presque identiques à ceux d'une société collective: ils peuvent, les uns aussi bien que les autres, se faire rembourser par préférence sur les biens de l'hérédité et de l'association, et dans le cas où ces biens ne suffiraient pas, venir, les uns et les autres, réclamer leur paiement sur les patrimoines des héritiers ou des associés, mais en concurrence avec les créanciers personnels des héritiers ou des associés. Imagine-t-on encore aujourd'hui, pour justifier le bénéfice d'inventaire ou la séparation des patrimoines, l'existence d'un être fictif? Et puisque cette hypothèse n'est pas nécessaire dans le chapitre des successions, pourquoi devient-elle tout à coup nécessaire dans le chapitre des sociétés ? Autre anoma

lie. M. Laurent, qui est cependant si rigoureux sur tout ce qui touche de près ou de loin à la personnalité morale, admet que les sociétés civiles peuvent prendre les formes commerciales, tout en conservant leur nature civile et sans avoir l'ambition d'acquérir l'existence juridique. De ces prémisses, il conclut qu'une société civile peut se constituer de manière à restreindre la responsabilité des associés, par exemple en commandite. « C'est là une question,

dit-il, d'intérêt privé » (1). Si le raisonnement est juste, il faudra bien, dans ces sociétés à formes commerciales, expliquer la distinction des patrimoines autrement que par la présence d'une personne morale, puisque les sociétés civiles ne peuvent jamais prétendre, sans une loi spéciale, à une individualité » indépendante. M. Thiry

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va beaucoup plus loin. Il soutient qu'en vertu des seuls articles du code civil et notamment de l'article 1860, les créanciers de la société doivent être préférés sur l'avoir commun aux créanciers des associés. « De même que le propriétaire d'un immeuble qui l'a donné en location, écrit-il, ne peut le vendre ensuite au mépris des droits du preneur (1743), de même l'associé co-propriétaire des biens qui composent l'actif social ne peut en disposer au préjudice de l'association pendant sa durée... Par une conséquence nécessaire il faut bien reconnaître que les associés ne peuvent aliéner leur portion par des actes de disposition indirecte... Il en résulte qu'un sociétaire ne peut, en contractant des dettes, conférer à ses créanciers le droit de saisir la part qui lui appartient » (1). Si on admettait ce sentiment, ne faudrait-il pas justifier le second effet attribué communément à la personnalité civile plutôt par le droit commun, que par l'invocation d'un être imaginaire?

En réalité d'ailleurs, cette distinction des patrimoines, pour l'explication de laquelle on se donne tant de mal, n'est-ce pas une conséquence légitime de la liberté des conventions? Si je contracte avec un de mes créanciers sans poser de conditions particulières à mon engagement, ce créancier aura pour gage tous mes biens présents et futurs,

(1) LAURENT, Principes du droit civil, t. XXVI, no 218. Cpr. en sens contraire, GUILLERY, Sociétés commerciales, t. I, Brux., 1882, n° 170.

(2) THIRY, Revue critique, t. VII, 1855, p. 314.

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