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connaissait pas encore Paris, mais que l'Allemagne et l'Angleterre ont souvent applaudi.

Dans la capitale du royaume des Pays-Bas, j'eus le notable plaisir de me rencontrer avec le distingué pianiste compositeur M. Startenbaker, pianiste de S. M. le roi de Hollande. Ce noble protecteur des arts. ce dilettante très compétent en matière musicale, on le sait, composait à ses heures, notamment pour la flûte, comme jadis le Grand Frédéric.

Hélas! la mort était proche du roi, à mon dernier voyage à La Haye, et l'on sait en quel deuil profond la perte de ce monarque jeta toute la population hollandaise ! J'avais osé espérer que pour ce concert exclusivement néerlandais dont je méditais l'organisation, le roi me concéderait la faveur et le grand honneur de m'autoriser à faire exécuter un morceau de sa composition. Il eut été le great attraction de cette manifestation musicale et nationale.

On voulut porter à Guillaume III mon desideratum, mais Sa Majesté ne put m'accorder cette faveur. Avec une modestie toute sincère et charmante, il me fit répondre qu'il n'avait jamais rien publié de sa musique, laquelle était toujours notée par son pianiste Startenbiker qui s'acquittait si bien de cette besogne,

l'améliorant,

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qu'il avait scrupule, lui le roi, de se considérer comme le seul auteur de ses œuvres. En vérité ce monarque était un homme d'esprit.

Plus j'avançais dans la connaissance des musiciens

hollandais, compositeurs et virtuoses exécutants, plus j'étais persuadé de leur grand mérite, trop inconnu en France, et plus je m'affermissais dans ma résolution de fixer sur eux l'attention du monde musical parisien en offrant à celui-ci une soirée de musique néerlandaise. Sans doute cette soirée sans le secours de l'orchestre, avec des éléments forcément restreints, ne pourrait donner qu'une idée incomplète de l'état actuel de la musique dans le royaume des Pays-Bas; mais c'était un point de départ, une route ouverte, des relations artistiques établies entre les deux peuples, la carte de visite des artistes hollandais disant aux Français : « Nous existons, apprenez à nous connaître et vous nous estimerez et nous aimerez comme nous-mêmes vous aimons et vous estimons. » C'était un élan donné, une impulsion acquise et comme l'a dit Virgile : Vires acquirit eundo.

Ma résolution bien prise, mon plan bien arrêté, j'éprouvai cette détente d'esprit qui est l'heureuse réaction de toute action laborieuse.

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Content de moi, je l'avoue naïvement, je ne pensai plus qu'à jouir des charmes de ce pays hollandais si riche d'art, si rempli de grands souvenirs.

CHAPITRE III

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La Haye. Plaisirs de touriste. Le kursaal de Scheveningue. Un bon mot. Comment il se fit que l'abbé Prévost écrivit son roman Manon Lescaut à La Haye, et comment J. Massenet composa dans cette même ville à cent ans et plus d'intervalle, son opéra de Manon tiré du roman de Prévost. - Regrets exprimés. Retour en France.

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On a dit de la capitale de la Hollande qu'elle est la ville la moins hollandaise de tout le royaume des Pays-Bas, et celle qui est restée la plus française. Je crois cette observation juste. En tout cas, il est bien vrai que La Haye tranche comme aspect sur toutes les autres villes du royaume et que notre langue y est comprise de tous les gens ayant reçu une certaine instruction.

On sent partout à La Haye l'influence de la cour. Il s'y fait peu de commerce comparativement et, par ses grandes maisons, ses larges places et surtout ses plantations de beaux arbres, La Haye a quelque chose

de Versailles. Les canaux qui serpentent dans tous les quartiers de Rotterdam et d'Amsterdam, — qu'on a souvent comparés à la belle Venezia, les canaux ne sont à La Haye qu'une sorte d'encadrement de la. ville à la fois riant et discret. Il y a peu de mouvement de population dans les rues et les voitures y sont relativement rares. En revanche, des tramways sillonnent sur tous les points et quelquefois si près des maisons, qu'ils ne sont pas sans danger pour les personnes distraites ou lentes à se mouvoir.

Le charme qui se dégage de La Haye date de loin. Dernièrement en feuilletant la correspondance de Voltaire, le hasard a fait tomber mes yeux sur une lettre que l'illustre écrivain adressait de La Haye à Mme la présidente de Bernières, et qui porte la date du 7 octobre 1722. J'en détache le passage suivant :

« Je resterai encore quelques jours à La Haye pour y prendre toutes les mesures nécessaires sur l'impression de mon poème. Il n'y a rien de plus agréable que La Haye quand le soleil daigne s'y montrer. On ne voit ici que des prairies, des canaux et des arbres verts; c'est un paradis terrestre depuis La Haye jusqu'à Amsterdam..... Il y a à La Haye plus de magnificence et de société qu'à Amsterdam par le concours des ambassadeurs. J'y passe ma vie entre le travail et le plaisir et je vis ainsi à la hollandaise et à la française. Nous avons ici un opéra détestable; mais

en revanche je vois des ministres calvinistes, des arméniens, des sociniens, des rabbins, des anabaptistes qui parlent tous à merveille et qui, en vérité, ont tous raison.

Toujours spirituel, ce diable d'homme !

Peu d'années après que Voltaire eût quitté La Haye, un autre écrivain français dont la fécondité fut extraordinaire, mais dont un seul ouvrage, un petit roman, un chef-d'œuvre, il est vrai, a survécu au

temps, ce grand démolisseur de livres, l'abbé Prévost, l'auteur de Manon Lescaut, alla s'établir dans cette même ville de la Hollande. On sait par quelle singulière aventure l'abbé Prévost, dont la vie fut un roman qui semble avoir inspiré tous ceux qu'il a écrits, sortit de chez les Bénédictins auxquels il appartenait par ses voeux. On sait qu'une fois libre, il ne voulut plus rentrer au couvent bien que toute sa vie il eût professé des sentiments religieux et qu'il eût gardé pour le supérieur des Bénédictins de la congrégation et pour ses frères en Jésus-Christ la plus grande vénération et une sincère amitié.

Trouvant l'ordre de Saint-Ouen un peu sévère pour son cœur toujours agité, son imagination inquiète et enflammée, il demanda à Rome son changement dans une branche moins rigide de l'ordre. Il dut entrer à Cluny. Le bref devait être fulminé par l'évêque d'Amiens à une date fixée. Mais par suite de certaines intrigues ignorées de Prévost, le bref ne fut point ful

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