Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

malheureux prince, pour adoucir ses longs malheurs, n'avait d'autre consolation que les lettres qu'il avait toujours aimées. Il faisait des vers mieux que personne en France, et trouvait un douloureux plaisir à célébrer, dans de touchantes ballades', le regret de passer sa vie loin de son pays, de sa famille, de ses amours, et de rester oisif et inutile, sans pouvoir gagner la gloire des chevaliers. Il déplorait aussi les calamités, et rappelait l'ancienne renommée du noble royaume de France, lui reprochant ses désordres qui avaient attiré la colère céleste. Il demandait à Dieu de lui accorder, avant d'arriver à la vieillesse, les plaisirs de la paix et du retour. D'autres fois il reprochait à la fortune d'exercer sur lui une si rude seigneurie, et de faire si fort la renchérie:

« Dois-je toujours ainsi languir?

« Hélas! et n'est-ce pas assez? »

Ce triste refrain revenait à chaque couplet de la ballade, et elle finissait ainsi:

« De ballader j'ai beau loisir,
« Autres déduits me sont cassés,

'Poésies de Charles duc d'Orléans.

<< Prisonnier suis, d'amour martyr ;
« Hélas! et n'est-ce pas assez? »

Quand il avait rencontré chez le comte de Suffolk les ambassadeurs de Bourgogne', il était venu à eux, leur avait affectueusement pris les mains; et lorsqu'ils s'enquirent de sa santé : « Mon « corps est bien, dit-il; mais mon âme est dou«loureuse. Je meurs de chagrin de passer ainsi les plus beaux jours de ma vie en prison, sans « que personne songe à mes maux. » Les ambassadeurs repartirent que c'était à lui qu'on devrait le bienfait de la paix, et qu'on n'ignorait point qu'il y travaillait.« Messire de Suffolk pourra « vous dire, ajouta le prince, le soin que j'y prends, et comment je ne cesse de presser le << roi et son conseil; mais je suis ici inutile « comme l'épée qu'on ne tire pas de son fourreau. « Je l'ai toujours dit, il faut que je voie mes pa« rens et mes amis de France; ils ne pourront << traiter sans en avoir consulté avec moi. Certes, « si la paix dépendait de moi, quand je devrais « mourir sept jours après l'avoir jurée, je n'y << aurais pas de regret. Au reste, qu'importe ce < que je dis; je ne suis maître de rien. Après les

«

'Histoire de Bourgogne.

<< deux rois, c'est le duc de Bourgogne et le duc << de Bretagne qui y peuvent le plus. » Sur ce, le sire Hugues de Lannoy affirma que nul ne souhaitait la paix plus que le duc Philippe.

« Ne « vous l'avais-je point dit, monsieur? » ajouta le comte de Suffolk. « Pourquoi, en effet, répliqua « le prince, mon cousin de Bourgogne ne pense<< rait-il pas comme moi? Il doit bien savoir que < ce n'est ni lui ni moi qui avons suscité la guerre « en France. Hugues de Lannoy, vous savez mes << sentimens là-dessus; je n'en veux point chan«ger. » Alors il lui reprit la main, la pressa, et lui serra même le bras comme pour signifier qu'il avait bien des choses à lui dire. « Et ne viendrez« vous point me visiter? continua-t-il; promettez«le-moi ; vous savez si je me tiendrai heureux de « vous voir. Ils vous verront avant leur dé< part, interrompit le comte de Suffolk d'un ton qui annonçait qu'aucun entretien particulier ne leur serait permis.

Le lendemain, Jean Canet, barbier du comte de Suffolk, vint trouver les ambassadeurs : « Je « suis natif de Lille, leur dit-il, fidèle sujet du « duc de Bourgogne, et tout prêt à le servir. « Comme je parle français, c'est avec moi, plus « qu'avec aucun autre de notre hôtel, que le duc

« d'Orléans aime à deviser. Si l'on vous a dit qu'il << haïssait le duc de Bourgogne et parlait de lui << en mauvais termes, on vous a trompés : il l'aime

beaucoup, il le tient dans une haute estime, et << voudrait le lui témoigner. Si vous croyez que le << duc Philippe le trouve bon, il lui écrira, et je « me charge de vous apporter la lettre. » Les ambassadeurs donnèrent les mêmes assurances au nom de leur seigneur. Le lendemain ils revirent le duc d'Orléans, mais toujours chez le comte de Suffolk et en sa présence. « Pourrais-je écrire à « mon cousin de Bourgogne? demanda-t-il.— « Vous y penserez pendant la nuit, monsieur, » répondit le comte de Suffolk. La lettre que Jean Canet vint ensuite remettre aux ambassadeurs n'avait pu être écrite librement. Il le leur dit, et leur confia aussi que si le roi Charles se refusait à faire la paix, le duc d'Orléans, pour sortir de sa triste prison, traiterait enfin de son côté; car il ne pouvait plus endurer sa triste position.

Les ambassadeurs rendaient compte aussi de leur visite au comte de Warwick. Il ne leur avait

pas caché que la noblesse et le peuple d'Angleterre étaient offensés de ce que le duc de Bourgogne témoignait si peu d'égards à leur roi. « Il << n'est pas venu une seule fois le visiter, dit-il,

« AnteriorContinuar »