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PRÉFACE.

Il n'est pas un seul épisode de nos annales qui excite autant d'admiration et d'intérêt que la courte histoire de l'arrivée de Jeanne d'Arc au camp français, de ses exploits, de ses vertus et de son supplice. Un événement aussi extraordinaire a donné lieu aux conjectures les plus opposées, et souvent les plus étranges : les uns, partageant les idées du temps, l'ont crue véritablement inspirée de lumières surnaturelles, et ont vu en elle un instrument des desseins secrets de la Providence ; d'autres, moins disposés à croire à l'intervention directe de la Divinité dans les choses humaines, n'ont regardé son enthousiasme que comme l'effet d'une exaltation de sentiments patriotiques et religieux qui se confondaient dans cet esprit aussi simple que pur et élevé; ceux-ci, toujours empressés à supposer de profondes combinaisons dans les événements les plus spontanés, en font l'agent ou la dupe d'une vaste et profonde intrigue ourdie par les hommes d'état de la cour de Charles VII, pour agir plus efficacement sur l'esprit des peuples; un dernier, enfin, bâtit sur cette sublime histoire un doucereux roman d'amour, transforme la paysanne lorraine en une sœur de Charles VII, et, tout satisfait de cette ingénieuse découverte, en déduit à son aise

MONSTRELET. T. IX. CHRON. DE LA PUCELLE.

A

l'explication des faits qui avaient offert les difficultés les plus insurmontables aux historiens moins hardis que lui.

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De tous ceux qui ont parlé avec quelques détails de l'apparition de la bergère de Greux à la tête des hommes de cour et des guerriers de la France, apparition qui, sous quelque point de vue qu'on la considère, n'en a pas moins eu sur l'avenir du pays les conséquences les plus vastes et les plus importantes, Voltaire et Hume ont été, il faut l'avouer, ceux qui ont mis le plus de légèreté dans l'étude des faits, et le moins d'esprit de critique dans leur discussion: leur profond dédain pour toutes les superstitions humaines, et leur horreur pour tous les fléaux que l'ambition et la cupidité d'un côté, et l'ignorance de l'autre, avaient accumulés sur les peuples pendant les âges précédents, les a rendus quelquefois injustes envers les hommes comme envers les choses, et trop souvent ils se sont refusés à reconnaître la vertu, parce qu'elle se trouvait associée à un peu de déraison partielle, le bien parce qu'il était mêlé à un peu de mal. Nés à une époque où la raison humaine commençait à ressaisir son empire, ils ont voulu profiter de ce moment de succès pour lui assurer un triomphe durable, en anéantissant d'un coup, et sans retour, toutes les erreurs et les folies humaines. Ce qu'ils ont fait ne pouvait être fait peutêtre que par eux, de cette manière, et à ce temps. Nous, qui sommes arrivés après la victoire, nous sommes obligés aujourd'hui à plus d'impartialité, et le triomphe certain de la philosophie est la meilleure

garantie de la modération et de l'esprit de justice des écrivains. Nous n'allons donc plus scruter les événements pour les combattre, mais bien pour les connaître. Nous voulons qu'on nous reproduise les faits tels qu'ils ont agi sur les hommes à chaque époque, et nous aimons à nous identifier pour quelques instants avec les erreurs et les préjugés que nous combattrions le plus vivement si, à travers la poussière des tombeaux, ils venaient à se faire jour pour arriver jusqu'à

nous.

Cet esprit de recherche, si avide et si indépendant, est ce qui convient particulièrement à l'époque dont je vais donner la chronique; le sublime s'y trouve à chaque instant mêlé au ridicule : l'ignorance, la superstition, l'héroïsme, l'amour de la patrie, s'y présentent tour-à-tour et souvent confondus; et, comme dans un drame bien composé, il faut ne pas faire de retour sur le temps où on vit, pour ne rien perdre de l'intérêt que l'on prend à des temps si différents des nôtres.

Voulant compléter, autant qu'il m'est possible, l'histoire des trois siècles reproduits dans ma collection, j'ai cru ne devoir rien négliger pour une époque aussi curieuse que celle de Jeanne d'Arc, et j'ai réuni dans ce volume tout ce que j'ai pu retrouver de plus authentique et de plus intéressant; mais, avant de parler des chroniques qui contiennent les deux événements de sa vie, son arrivée devant Orléans, et son jugement à Rouen, il m'a paru convenable de faire connaître l'ensemble de sa vie, d'après les témoignages contemporains. M. Walckenaer a publié sur ce sujet un

A.

cxcellent article dans la Biographie universelle. Je prends la liberté d'en élaguer quelques morceaux non moins curieux sans doute, mais moins utiles à l'objet que je me propose, et je me félicite de pouvoir citer un travail aussi consciencieusement fait.

» Jeanne d'Arc était une simple paysanne de Domremy, hameau situé dans un riant vallon, arrosé par la Meuse, entre Neufchâteau et Vaucouleurs. Son père se nommait Jacques d'Arc; sa mère Isabelle Romée : c'étaient de bons cultivateurs, vivant d'un peu de labourage, du produit de quelque bétail; pieux, hospitaliers, d'une probité sévère, jouissant d'une réputation sans tache, mais dans une situation voisine de la pauvreté. Cinq enfants, trois fils et deux filles, furent les fruits de leur union. Une de ces filles était cette célèbre Jeanne dont nous retraçons l'histoire. On la connaissait dans son village sous le nom de Romée, d'après l'usage du pays, qui était de donner aux filles le nom de leur mère. Son éducation fut conforme à son état; jamais elle ne sut lire ni écrire coudre, filer, soigner les bestiaux, aider aux travaux des champs et à ceux du ménage furent les occupations de son jeune âge. Elle était laborieuse, douce, simple, bonne, et tellement timide, qu'il suffisait de lui adresser la parole pour la déconcerter. Sa mère lui avait donné les premiers principes de la religion; et, dès ses plus jeunes années, un penchant extrême à la dévotion se manifesta en elle, et lui attira les railleries de ses compagnes. Jeanne fuyait les jeux et les danses pour se retirer à l'église, et n'aimait à parler que de Dieu et de

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