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demande M. Vernes, d'un commun accord ne nous replongerions-nous pas dans cette grande théologie du passé, pourquoi ne voudrions-nous pas nous nourrir de ce pain des forts, de cette moelle qui a fait la force des époques précédentes? Luther et Calvin ont encore à nous apprendre, nous leur joindrons Schleiermacher qui, dans un temps bien semblable au nôtre et plus rapproché, a tenté un essai de reconstruction dont l'expérience a montré la valeur en bien des parties, et qui suffit à faire voir que la dogmatique n'est pas morte à jamais. Quand, comme nous, on a perdu son fil directeur, on retourne aux pères sans s'astreindre à adopter, les yeux fermés, leur œuvre, mais décidé à leur demander des leçons dont nous avons grand besoin. »

Toutefois, pour que cette étude historique soit profitable, il faut demeurer protestant; il faut le devenir plus que ne l'ont été nos pères. M. Maurice Vernes rappelle que « l'église protestante, par l'organe de ses meilleurs dogmatistes, a toujours déclaré ses symboles révisables dans la mesure où ils seraient trouvés en désaccord avec l'Ecriture. » Le fait est vrai, le principe est irréprochable. Mais n'est-il pas toujours resté à l'état de simple théorie dont on s'est bien gardé de faire usage? Ne part-on pas toujours de la supposition tacite qu'en fait les symboles sont pleinement d'accord avec l'Ecriture? Chaque fois qu'une révision est demandée sur un point quelconque il se trouve qu'elle est refusée, non pas au nom d'une infaillibilité des symboles, qu'on n'admet du reste pas, mais sous prétexte qu'il n'y a nul désaccord entre l'Ecriture et l'article incriminé. Malgré cette répugnance la force des choses a bien obligé les partisans les plus décidés des symboles à laisser tomber certains dogmes dans l'oubli, mais à l'exception de quelques petites congrégations libres de langue française, nous ne connaissons pas d'église protestante qui, depuis le XVIe siècle, ait procédé à une complète et franche révision de ses confessions de foi pour les mettre plus en harmonie avec l'Ecriture. On a toujours trouvé d'excellentes raisons pour se dispenser de ce devoir. La théorie admettant une révision des symboles de la Réformation est toujours restée à l'état de lettre morte. Aussi voyez ce

qui est arrivé. Faute de révision suivant les besoins du temps on a abouti à des révolutions. Nous avons eu d'une part ceux qui s'attachaient aux symboles qu'ils s'obstinaient à ne pas amender, de l'autre les hommes qui à aucun prix ne voulaient de confession de foi. Il est manifeste que ce refus des orthodoxes de mettre en pratique l'excellent principe qu'ils professaient a contribué à pousser les libéraux dans une position extrême. Refusant de se laisser leurrer indéfiniment par cette prétendue révisibilité des symboles qui ne devenait jamais pratique, ils ont cru que le seul moyen de reconquérir la liberté était de répudier toute profession de foi.

Les libéraux ont été évidemment trop loin, comme le rappelle fort bien M. Maurice Vernes. Ne voyant pas que tout le mal venait de la non application d'une théorie excellente, ils ont repoussé le principe lui-même.

Sur ce point M. Maurice Vernes devient décidément par trop autoritaire. << Le fidèle, dit-il, commence par recevoir docilement le dogme, puis y adhère par une acceptation réfléchie quand il se sent en âge de le comprendre et par suite s'il appartient aux conducteurs autorisés de l'église, peut en réclamer la modification ou le perfectionnement partiel. » Où donc M. Maurice Vernes a-t-il trouvé ces fidèles qui commencent par recevoir docilement le dogme, sauf à y adhérer par une acceptation réfléchie quand ils se sentent en âge de le comprendre? Si les choses se pratiquent ainsi à Paris, nous n'hésitons pas à déclarer que la capitale, en fait d'émancipation, est étrangement en retard sur la province. Le fait est que beaucoup de catéchumènes des deux sexes montrent fort peu de docilité à accepter le dogme qu'on leur propose; et quant à ceux qui s'y résignent pendant quelque temps, ce n'est pas nécessairement pour y adhérer plus tard par une acceptation réfléchie, mais pour le répudier s'il est trop en désaccord avec leur culture intellectuelle. Bien loin d'attendre d'avoir pris rang parmi les conducteurs autorisés de l'église pour réclamer la modification ou le perfectionnement partiel des symboles, on devient indifférent au dogme comme à une lettre morte qui ne vous dit plus rien, si même par réaction on ne passe hardiment dans le camp de

ceux qui n'ont plus conservé qu'un dogme unique, l'horreur et la répudiation de tout dogme.

Voilà l'état réel des esprits sur lequel il importe infiniment de ne pas se faire d'illusion. Il n'y a qu'un seul moyen de ne pas exposer les générations nouvelles à répudier les dogmes anciens, c'est de ne pas leur en parler. Jésus-Christ et ses apôtres annonçaient l'Evangile et non pas des dogmes. Il conviendrait de se résigner enfin à ne pas s'y prendre autrement qu'eux. Commencez par faire accepter la bonne nouvelle par le cœur et par la conscience et plus tard vos fidèles prendront naturellement à l'égard des dogmes du passé cette attitude à la fois respectueuse et libre qui seule convient à un protestant intelligent. Alors seulement l'église se trouvera dans les conditions voulues pour se faire la théologie réclamée par notre époque, c'est-à-dire pour exprimer la vérité religieuse éternelle, l'Evangile, sous la forme intellectuelle qui convient à nos préoccupations, à notre culture. Mais lorsque par malheur on cède à la tentation facile de présenter le christianisme, non pas sous la forme évangélique la plus simple et la plus primitive, mais sous celle que lui a donnée la théologie de telle ou telle époque, on risque de recruter pour l'ennemi, en repoussant beaucoup d'esprits qui n'auront pas su faire une distinction capitale entre la foi et le dogme, la religion et la théologie.

Nous avons déjà abordé la grande question qui domine tout le développement dogmatique dans le cours des âges, celle des rapports de la vérité et de l'histoire. Malheureusement, en pénétrant ainsi au cœur de notre sujet, nous avons le regret de ne plus nous trouver d'accord avec M. Maurice Vernes. Il nous paraît aborder le problème avec des axiomes philosophiques qui doivent lui en interdire l'intelligence, parce qu'ils sont nés dans un milieu idéaliste et aprioristique, hostile nonseulement au christianisme, mais encore à toute religion et à toute morale. « Au point de vue intellectuel, dit notre auteur, l'application franche et sans réserve des règles de la critique historique aux problèmes de l'histoire religieuse me semble nécessaire; je ne dissimule point que cela n'est pas sans un grand danger pour les éléments miraculeux que contiennent les

récits bibliques, parce que la critique historique suppose, ou il ne s'en faut guère, la croyance en la continuité des événements dont la trame constitue l'histoire, et n'admet pas volontiers une rupture de la chaîne des causes et des effets, attribuable à une intervention supraterrestre. »

Pourquoi la critique supposerait-elle une chose plutôt qu'une autre? Sous peine d'être infidèle à sa mission, elle doit se borner à constater les faits historiques et non prétendre les construire, au nom d'une philosophie décidément brouillée avec les réalités de ce monde. La critique, nous dit-on, n'admet pas volontiers une rupture de la chaîne des causes et des effets, attribuable à une intervention supraterrestre. Pourquoi la critique prendraitelle ainsi parti et aurait-elle des préférences? il ne lui appartient pas de consulter ce qui lui déplaît ou lui plaît; l'impartialité lui commande de constater simplement ce qui est. S'il est des événements qui ne'puissent s'expliquer que par une rupture de la chaîne des causes et des effets, elle est tenue de s'arranger en conséquence, de s'élargir et cela de bonne grâce, sans se faire prier. Or, nous n'avons pas besoin de le rappeler à M. Maurice Vernes, la colossale tentative de l'école de Tubingue pour rendre compte humainement de la personne de Jésus et des origines du christianisme, demeure un échec éclatant. Ce faitlà ne peut être ignoré que par nos théologiens dilettanti qui, tout en prétendant mettre notre public au courant de la science allemande, se gardent bien de pénétrer au fond des questions et se bornent à recueillir çà et là les idées piquantes, le dessus du panier, qu'ils savent devoir amuser les oisifs pour lesquelles ils écrivent. En présence de tels résultats, la critique doit se rappeler ce qu'elle est, le jugement et le bon sens appliqué aux choses de l'esprit. Alors, au lieu d'aller prendre langue près d'une philosophie à la mode condamnée à nier les faits les mieux constatés qu'une étroitesse insigne ne lui permet pas d'expliquer, elle s'attachera à en signaler la vanité.

Du reste, nous ne craignons pas d'élargir le problème en le portant dans le monde des idées pures. Il est une manière de comprendre le développement historique en contradiction directe avec la notion même du développement. On ne sau

rait contester que des éléments nouveaux font leur apparition dans la trame de l'histoire, tout en s'accommodant aux résultats antérieurs. Les hommes de génie dans tous les domaines sont porteurs d'un élément original, nouveau qui ne saurait s'expliquer uniquement par le milieu dans lequel ils font leur apparition. .

L'élément nouveau dans l'histoire religieuse c'est le surnaturel, le facteur divin parfaitement compatible avec le facteur humain. Ici nous laisserons la parole à notre directeur. Il la prend trop rarement pour que personne se formalise de la longueur de notre citation. On verra qu'il réfute du même coup et ceux qui prétendent que le christianisme ne saurait être le fruit du développement religieux antérieur et ceux qui affirment que ce fait exclurait l'idée de tout élément nouveau. surnaturel.

« Et d'abord, nous dira-t-on sans doute, un fait surnaturel étant une création nouvelle, un commencement absolu, il implique contradiction que le christianisme puisse être envisagé comme le simple produit de ce qui l'a précédé.

>> Cette considération devrait nous toucher, s'il n'était pas facile de discerner à sa base une idée qui, pour être très généralement répandue, n'en est pas moins, à notre avis, une grave erreur. On se représente souvent, en effet, un développement sous la forme d'une série de causes et d'effets; on croit qu'il lui est esssentiel que chacune des phases dont il se compose apparaisse, tout à la fois, comme le résultat immédiat de celle qui l'a précédée et le principe efficient de celle qui doit la suivre. Or, cette conception est inexacte. Que l'idée du développement renferme celle d'une connexion intime, d'une relation nécessaire entre les faits successifs dans lesquels il se réalise, que dans une certaine mesure chacun d'eux soit déterminé par celui qui le précède, qu'il trouve dans celui-ci la condition sans laquelle il ne serait pas ce qu'il est, sans laquelle même il ne serait jamais parvenu à l'existence, voilà ce qui est vrai. Mais convertir ce rapport simplement conditionnel en un rapport de causalité active dans le sens exact de ce mot, c'est le dénaturer gravement; car c'est confondre deux

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