Imágenes de páginas
PDF
EPUB

culiers, tandis que les autres croient en connaître l'existence et l'essence.

Nous en arrivons maintenant au point le plus difficile, à la dernière objection de Goering contre le célèbre a priori qui est devenu la nourriture et la vie de la branche la plus virile du développement philosophique qui suivit Kant (Fichte, Schelling, Hegel et aussi Schopenhauer). Donnons tout d'abord un juste tribut de louanges et notre pleine approbation aux paroles suivantes de notre auteur. « Si Kant a été réveillé du sommeil du dogmatisme sous l'influence de Hume, les kantiens, à leur tour, devraient bien sortir de leur léthargie métaphysique sous l'influence de leur maître; en d'autres termes, puisque toute philosophie moderne digne de ce nom procède de Kant, les philosophes doivent de leur côté appliquer leur critique à la critique de la raison pure, afin d'achever par cette œuvre la réforme commencée de la philosophie. » Ces mots se rapportent précisément aux formes de la connaissance a priori de Kant. Or tout homme impartial avoue que cette partie du système du grand philosophe appelle énergiquement une réforme fondamentale. Mais autre chose est de connaître le besoin de révision de l'a priori kantien, autre chose de rejeter absolument cet a priori. Les hommes sans parti pris suivent la première de ces méthodes et Goering la seconde. Poussé, pressé par les con. séquences de son empirisme sensualiste, il dépasse de beaucoup le but, ce qu'il nous reste encore à prouver.

Le but que se propose la Critique de la raison pure, chacun le sait, est de faire un inventaire des connaissances qui procèdent de la raison pure, c'est-à-dire des connaissances a priori. Les deux caractères essentiels de celle-ci sont la généralité et la nécessité, tandis que les connaissances a posteriori ou expérimentales ont tout au plus une généralité et une évidence comparatives. Dans les premières se rangent les propositions telles que celle-ci : deux fois deux font quatre; aux secondes appartient par exemple l'affirmation suivante : dans nos régions la nuit et le jour se succèdent dans l'espace de vingt-quatre heures. Pour les premières il n'y a pas d'exception concevable, dans les secondes celle-ci est possible, en tant que ce genre

-

de connaissance procède de l'induction et non pas d'une loi naturelle nécessaire. Les connaissances a priori sont dans un rapport intime avec l'organisation particulière de notre intelligence; il n'en est point ainsi des autres qui, si elles disparaissent ou changent de contenu, n'altèrent en aucune façon la nature même de notre intelligence. Or d'après Kant, le contenu, la matière de la connaissance, nous est donné a posteriori par l'expérience, sa forme seule est a priori. Ainsi toutes les connaissances en général supposent certaines formes a priori de connaissance, dans lesquelles doivent se ranger, se mouler les connaissances a posteriori obtenues par l'expérience, pour devenir pour nous des objets susceptibles d'être connus. Il en est ici comme de la lumière qui provient des objets visibles et qui doit se conformer aux lois du brisement des rayons qui entrent dans notre œil pour que ces objets puissent être perçus par notre vue. Les deux genres de connaissances de notre intelligence sont ou bien des intuitions ou des pensées ou raisons. Il y a par conséquent des connaissances a priori intuitives et des concepts intellectuels a priori. Les premières sont selon Kant les représentations de l'espace et du temps, qui ne sont pas, comme on le croit communément, puisé dans l'expérience mais qui constitue la condition sine qua non de toute expérience, les autres, les douze catégories, qui conditionnent tous les jugements de l'intelligence, et que pour cette raison Kant déduit par induction des formes du jugement de la logique traditionnelle. Tout cet appareil de la connaissance a priori a été critiqué, rongé et ruiné par les successeurs et les disciples du grand philosophe. Dès longtemps on a sacrifié ce fameux catalogue des douze catégories1, avec lequel l'école kantienne, dans le sens étroit du mot, faisait de la philosophie à bon marché. Quelques-uns (Schopenhauer par exemple) ont défendu et élevé jusqu'aux nues, comme étant le plus bel œuvre de la critique de la raison, l'a priori du temps et de l'espace, tandis que d'autres l'ont taxé de mesquin préjugé. On a beaucoup discuté, jugé et condamné. Plus d'un âne a donné son coup de pied au

'Ainsi Hegel dans son Encyclopédie; Herbart, Trendelenbourg, etc.

lion mort. Mais un fait subsiste; on peut discuter et élever des doutes au sujet du contenu de l'a priori; mais le peut-on au sujet de son existence, de sa réalité même? Parmi les épigones qui suivirent immédiatement le grand maître, Herbart déjà rejette les formes de la connaissance a priori, qu'il ramène toutes à son mécanisme des représentations. Son rejet a été approuvé par plusieurs; Goering est l'un de ceux-là. Il n'y a pas lieu de s'en étonner; cela est fort conséquent, car nihil est in intellectu, nisi quod antea fuerit in sensu, par conséquent le temps, l'espace, la causalité, la substance, etc., pas plus qu'autre chose. Mais au lieu d'examiner la valeur des arguments de Goring, qui trop souvent sont plus que boiteux, nous préférons montrer comment l'existence de l'a priori semble être hors de doute.

La spéculation de Kant va très profond, mais elle ne dessine que les contours des choses; la terminologie de l'illustre philosophe est lourde, parfois peu précise; son style lapidaire et pregnant prête aussi trop souvent à l'équivoque. Aussi plusieurs de ses conceptions, justes en elles-mêmes, mais enveloppées dans un demi-obscur qui tient de l'oracle, ont besoin d'être déterminées et précisées afin d'acquérir leur juste valeur. Ceci s'applique tout spécialement à sa connaissance a priori, notion et expression technique qu'il emprunta à David Hume, qu'il accepta dans le sens que lui avait donné ce penseur, mais qu'il a dès lors singulièrement étendue. D'après Kant, les connaissances a priori doivent être à la fois générales et nécessaires, à telle fin que pour une intelligence de même nature que la nôtre, la notion contraire soit inconcevable. Or la généralité et la nécessité sont précisément les caractères spécifiques de la loi. Dans sa critique de la raison, Kant aborde ses recherches, son analyse de l'intelligence, avec le même postulat qui sert au naturaliste dans son étude du monde extérieur, à savoir que le procès qu'il étudie est dominé par des lois générales et fondamentales. Ses recherches sur les connaissances a priori ne sont rien autre que des recherches sur les lois fondamentales de la connaissance humaine. Celles-ci, quelles qu'elles soient du reste, auront une autorité normative aussi bien ponr la connais

sance du sujet, que pour celle de l'objet connu d'une façon empirique. Il en est de ces lois comme de celles de l'optique, qui valent également pour l'acte subjectif du voir et pour la nature optique de l'image objective perçue. Aussi contient-elle une vérité profonde cette thèse paradoxale du maître de la philosophie moderne : « L'intelligence humaine ne tire pas de la nature les lois naturelles, mais elle les lui impose. » Le sensualisme conséquent peut seul contester un a priori pris dans ce sens; mais en même temps il conteste aussi l'ordre réel, soumis à des lois de la nature. Nous avons vu s'il a tort ou raison. Le grand modéle de Kant était Newton; il a lui-même comparé sa réforme de la philosophie avec la réforme astronomique de Copernic; mais il tendait à plus encore, il aspirait à devenir le Newton de la raison humaine.

Quiconque est persuadé de l'ordre normal du développement dans la nature doit aussi être persuadé de l'ordre normal du développement de la connaissance. Kant peut s'être trompé sur le contenu de l'a priori; il a peut-être taxé trop bas les difficultés de son entreprise; mais il a raison en affirmant l'existence de cet a priori. Une des tâches les plus importantes et les plus difficiles de la philosophie scientifique de l'avenir est précisément de découvrir le véritable a priori, l'a priori authentique.

THÉOL. ET PHIL. 1876.

30

BULLETIN

THÉOLOGIE

G.-F. EHLER.

THÉOLOGIE DE L'ANCIEN TESTAMENT 1.

Au milieu de la désolante pauvreté de la littérature théologique française, on ne peut que saluer avec joie et reconnaissance l'apparition d'une Théologie biblique de l'Ancien Testament, même sous la forme de traduction de l'allemand. C'est, si nous ne nous trompons fort, le premier ouvrage de ce genre dans notre langue, et, à ce titre déjà, il est destiné à rendre de grands services à nos pasteurs, à nos étudiants, voire même à nos laïques cultivés, en offrant une occasion facile d'étudier cette branche si importante de la théologie, souvent si peu connue, souvent aussi profondément, on dirait presque, honteusement ignorée. Beaucoup d'hommes, en effet, au milieu de nous, même parmi les meilleurs, n'ont que des idées très générales, par conséquent très inexactes la plupart du temps sur la religion d'Israël. On n'en connaît ni l'origine, ni le développement, et l'on comprend d'après cela que les rapports entre l'Ancien et le Nouveau Testament soient d'ordinaire fort mal saisis. Merci donc à M. de Rougemont de sa peine et de son consciencieux travail.

Au premier abord, il est vrai, nous l'avouons franchement, nous avons été saisi d'un regret à la vue de cette traduction. Pourquoi choisir Oehler, excellent sans doute à bien des égards, mais qui a pourtant été dépassé, ce n'est peut-être pas l'avis du pasteur neuchâtelois, par Schultz? L'ouvrage de ce dernier est plus historique, plus net, plus clair; si, pour plusieurs, ses bases critiques sont sujettes à caution, l'on ne peut pas nier pourtant l'esprit de respect, de piété même qu'il respire de toutes parts. Oehler, au contraire, malgré toutes ses qualités a cependant de grands défauts; mais nous ne

· Traduit de l'allemand par H. de Rougemont, pasteur. Tome Ier. Paris et Neuchâtel, Sandoz et Fischbacher, 1876. — 1 vol. in-8, XIII et 387 pag.

« AnteriorContinuar »