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tique de l'Europe, et cependant, fait observer Sa Majesté Impériale, il s'écroule de toutes parts.

L'Empereur ajoute alors que si l'on considère attentivement la situation des divers pays, il est impossible de ne pas admettre que, sur presque tous les points, les Traités de Vienne sont détruits, modifiés, méconnus ou menacés.

Lorsqu'une proposition aussi importante que celle que l'Empereur a mise en avant est appuyée sur certaines raisons, il est de notre devoir d'examiner soigneusement ces raisons elles-mêmes.

Il s'est écoulé près d'un demi-siècle depuis que les Traités de 1815 ont été signés. L'œuvre fut en quelque sorte précipitée par la nécessité de donner le repos à l'Europe après tant de secousses. Toutefois, les transformations opérées pendant cet espace d'une cinquantaine d'années n'ont pas dépassé ce que l'on était en droit d'attendre de la suite des temps, des progrès de l'opinion, de la politique mobile des gouvernements et des besoins variables des peuples. Si nous prenons le demi-siècle qui sépare le Traité de Westphalie de l'année 1700, ou une période semblable entre la paix d'Utrecht et l'année 1763, nous les trouverons caractérisés par des changements étendus, tout aussi bien que l'intervalle écoulé de 1815 à 1863.

Cependant on ne jugea pas nécessaire, aux époques ci-dessus mentionnées, de procéder à une révision générale, soit du Traité de Westphalie, soit du Traité d'Utrecht.

Le Gouvernement de Sa Majesté a la conviction que les principales stipulations du Traité de 1815 sont en pleine vigueur: que la majeure partie de ces stipulations n'ont nullement été ébranlées, et que c'est sur ces fondements que repose l'équilibre de l'Europe.

Si au lieu de dire que le Traité de Vienne a cessé d'exister ou qu'il est détruit, nous nous demandons si certaines portions de cet acte n'auraient pas été modifiées, méconnues ou menacées, d'autres questions se présentent. Parmi les modifications qui ont eu lieu, il en est qui ont reçu la sanction de toutes les grandes Puissances, et qui forment aujourd'hui partie du droit public de l'Europe.

Propose-t-on de donner à ces modifications une sanction plus générale et plus solennelle? Une pareille œuvre est-elle nécessaire? Contribuera-t-elle à la paix de l'Europe?

D'autres portions du Traité de Vienne ont été méconnues ou laissées de côté, et les modifications ainsi opérées de fait n'ont pas été reconnues en droit par toutes les Puissances de l'Europe.

Se propose-t-on d'obtenir des Puissances qui ne se sont pas encore associées à pareille reconnaissance la sanction des modifications dont il s'agit?

Nous arrivons enfin à ces parties du Traité de Vienne qui sont me

nacées, et c'est à leur égard que surgissent les questions les plus importantes de toutes. De quelle nature sont les propositions que compte faire à ce sujet l'Empereur Napoléon? Dans quelle direction tendraient-elles? Et par-dessus tout, si elles étaient adoptées par la majorité des Puissances, devront-elles être imposées par les armes?

Lorsque les Souverains ou les Ministres de l'Autriche, de la France, de la Prusse, de la Russie et de la Grande-Bretagne s'assemblèrent à Vérone en 1823, pour traiter des affaires d'Espagne, les quatre premières de ces Puissances mirent à exécution leurs résolutions au moyen de la force armée, nonobstant les protestations de la GrandeBretagne. Cet exemple doit-il être suivi dans le Congrès actuel en cas de désaccord?

Le Gouvernement de Sa Majesté a besoin d'obtenir des explications satisfaisantes sur tous ces points, avant de pouvoir s'arrêter à une décision quelconque en ce qui concerne la proposition faite par l'Empereur.

Le Gouvernement de Sa Majesté serait prêt à discuter avec la France et avec d'autres Puissances, par voie de correspondance diplomatique, toute question spécifiée à l'égard de laquelle on pourrait arriver à une solution de nature à affermir la paix de l'Europe.

Il ressentirait plus d'appréhension que de confiance de la réunion d'un Congrès de Souverains et de Ministres n'ayant pas de but défini, embrassant la carte entière de l'Europe, et éveillant des espérances et des aspirations que les membres de cette assemblée pourraient se trouver également hors d'état de satisfaire ou de calmer.

Le Gouvernement de Sa Majesté n'a aucune raison de douter que l'Empereur Napoléon ne portât dans une telle assemblée un esprit de modération et de justice. Il est persuadé que son but est de procurer des garanties à la paix de l'Europe. La question est seulement de savoir par quels moyens on doit atteindre ce but.

Vous êtes invité à donner lecture et à laisser copie de la présente dépêche à M. Drouyn de Lhuys.

Agréez, etc.

Signé: RUSSELL.

M. Drouyn de Lhuys à M. le marquis de Cadore, chargé des affaires

de France à Londres.

Palais de Compiègne, le 23 novembre 1863.

Monsieur, M. le comte de Cowley m'a communiqué, il y a quelques jours, une dépêche de S. Exc. M. le comte Russell qui porte la date du 12 de ce mois et qui exprime l'opinion du Gouvernement Britan

nique relativement à la proposition de réunir à Paris un Congrès pour délibérer sur les affaires de l'Europe. Vous en trouverez ci-joint copie. Ma correspondance antérieure répondait à l'avance à quelques-unes des considérations développées dans ce document. Je crois devoir néanmoins résumer dans cette dépêche, dont vous remettrez une copie à S. Exc. le principal secrétaire d'État, les motifs qui ont déterminé la résolution de Sa Majesté.

Le Gouvernement Impérial n'a l'intention de faire ni l'apologie ni la critique des Traités de Vienne. L'Empereur a déclaré, en montant sur le trône, qu'il se considérait comme lié par les engagements souscrits par ses prédécesseurs. Naguère encore, dans sa lettre aux Souverains, Sa Majesté constatait que les actes diplomatiques de 1815 étaient le fondement sur lequel repose aujourd'hui l'édifice politique de l'Europe. Mais c'est à ses yeux une raison de plus pour examiner si cette base elle-même n'est pas profondément ébranlée.

Or, le Cabinet de Londres reconnaît avec nous que plusieurs de ces dispositions ont reçu de graves atteintes. Parmi les modifications qui ont eu lieu, les unes ont été consacrées par la sanction de toutes les grandes Puissances et forment aujourd'hui une partie du droit international; les autres, au contraire, opérées de fait, n'ont pas été reconnues en droit par tous les Cabinets.

Quant aux premières, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer avec quelle force irrésistible elles se sont imposées à l'acceptation des Gouvernements. L'empressemeut de l'Angleterre elle-même à y donner son adhésion prouve combien les anciennes combinaisons répondaient peu, suivant l'expression de lord Russell, à ce qu'exigeaient la marche du temps, les progrès de l'opinion, la politique mobile des gouvernements et les besoins variables des peuples. D'un autre côté, n'est-on pas autorisé à croire que des changements aussi importants ont pu altérer dans une certaine mesure l'harmonie et l'équilibre de l'ensemble? Nous admettons avec lord Russell qu'il n'est pas absolument nécessaire de donner à ces changements une sanction plus générale et plus solennelle; mais nous pensons qu'il y aurait avantage à déblayer les ruines et à réunir en un même corps tous les membres vivants.

Pour les modifications auxquelles les Puissances n'ont pas donné un assentiment unanime, elles constituent autant de litiges qui, d'un moment à l'autre, peuvent diviser l'Europe en deux camps. Au lieu d'en abandonner la décision à la violence et au hasard, ne vaut-il pas mieux en poursuivre d'un commun accord la solution équitable et sanctionner ces transformations en les révisant?

La troisième catégorie comprend celles des parties du Traité de Vienne qui sont menacées. « C'est à cet égard, dit S. Exc. le principal

secrétaire d'État, que surgissent les questions les plus importantes. De quelle nature sont les propositions que compte faire à ce sujet l'Empereur Napoléon? Dans quelle direction tendraient-elles, et pardessus tout, si elles étaient adoptées par la majorité des Puissances devront-elles être imposées par la force? »

L'Empereur, en signalant à l'Europe les périls d'une situation profondément troublée, a indiqué le moyen d'écarter les redoutables éventualités qu'il prévoit et dont, moins que d'autres peut-être, il aurait à s'alarmer; car les questions d'où peut sortir aujourd'hui la guerre ne touchent la France qu'indirectement et il dépendrait d'elle seule d'intervenir dans la lutte ou de s'en tenir à l'écart. Il l'a fait en s'adressant avec confiance et simultanément à toutes les couronnes, sans entente préalable avec aucune d'elles, afin de mieux témoigner de sa sincère impartialité et d'aborder, libre de tout engagement, les graves délibérations auxquelles il les convie. Souverain le plus nouveau, il ne se croit pas en droit d'assumer le rôle d'arbitre et de fixer d'avance aux autres cours le programme du Congrès qu'il propose. Tel est le motif de la réserve dans laquelle il s'est renfermé. Est-il d'ailleurs si difficile d'énumérer les questions non résolues qui peuvent troubler l'Europe?

Une déplorable lutte ensanglante la Pologne, agite les États voisins et menace le monde des plus graves perturbations. Trois Puissances, pour y mettre un terme, invoquent en vain les Traités de Vienne qui fournissent aux deux parties des arguments contradictoires. Cette lutte durera-t-elle toujours?

Des prétentions opposées mettent aux prises le Danemark et l'Allemagne. Le maintien de la paix dans le Nord est à la merci d'un incident. Les Cabinets sont déjà intervenus dans ce débat par des négociations: y sont-ils devenus aujourd'hui indifférents?

L'anarchie continuera-t-elle à régner sur le bas Danube et pourrat-elle à chaque moment rouvrir une sanglante arène au débat de la question d'Orient ?

L'Autriche et l'Italie resteront-elles en présence dans une attitude hostile, toujours prêtes à rompre la trêve qui suspend l'explosion de leurs ressentiments?

L'occupation de Rome par les troupes françaises se prolongera-t-elle pendant un temps indéfini?

Enfin, doit-on renoncer, sans avoir fait de nouvelles tentatives de conciliation, à l'espoir d'alléger le fardeau qu'imposent aux peuples des armements excessifs entretenus par une mutuelle défiance?

Telles sont, suivant nous, monsieur, les principales questions que les Puissances jugeraient sans doute utile d'examiner et de résoudre. Lord Russell n'attend pas assurément que nous indiquions ici le mode

de solution applicable à chacun de ces problèmes, ni le genre de sanction que pourraient comporter les décisions du Congrès. C'est aux Puissances qui y seraient représentées qu'appartiendrait le droit de prononcer sur ces divers points. Nous ajouterons seulement que ce serait à nos yeux une illusion que de poursuivre ces solutions à travers le dédale de correspondances diplomatiques et de négociations séparées, et que, loin d'aboutir à la guerre, la voie proposée est la seule qui puisse conduire à une pacification durable.

Dans l'une des dernières séances du Congrès de Paris, M. le comte Clarendon invoquant une stipulation du Traité de paix qui venait d'être signé et qui recommandait de recourir à l'action médiatrice d'un État ami, avant d'en appeler à la force, en cas de dissentiment entre la Porte et d'autres Puissances signataires, exprimait la pensée que cette heureuse innovation pourrait recevoir une application plus générale et devenir ainsi une barrière opposée à des conflits qui souvent n'éclatent que parce qu'il n'est pas toujours possible de s'expliquer et de s'entendre. Les Plénipotentiaires de toutes les Cours s'associèrent unanimement à l'intention de leurs collègues, et n'hésitèrent pas à exprimer, au nom de leurs Gouvernements, le vœu que les États entre lesquels s'élèveraient des dissentiments sérieux eussent recours à une médiation amicale, avant d'en appeler aux armes. La sollicitude de l'Empereur va plus loin: elle n'attend pas que les dissentiments aient éclaté pour recommander l'application aux circonstances actuelles du principe salutaire inscrit sur le dernier monument du droit public européen, et Sa Majesté invite dès à présent ses Alliés < à s'expliquer et à s'entendre. »

Signé: DROUYN DE LHUYS.

Le comte Russell au comte Cowley, ambassadeur

d'Angleterre à Paris.

Foreign-Office, 25 novembre 1863.

Milord, le Gouvernement de Sa Majesté a reçu de M. le marquis de Cadore copie d'une dépêche adressée à ce dernier par M. Drouyn de Lhuys, en réponse à celle que j'ai écrite à Votre Excellence le 12 de ce mois.

Le Gouvernement de Sa Majesté ayant obtenu une réponse aux questions qu'il avait posées, ne tardera pas davantage à répondre définitiɣement à l'invitation que l'Empereur des Français a fait parvenir à la Reine pour l'engager à prendre part à un Congrès des Puissances européennes devant se réunir à Paris.

Je vous transmets ci-joint copie de la lettre d'invitation de l'Empe

I-1864

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