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turée, à trente-trois ans,

Avant de nous être enlevé par une mort prémaGuyau, dont l'activité intellectuelle demeura infatigable jusqu'à la dernière heure, venait d'écrire deux nouvelles œuvres de grande portée : l'une sur l'Art au point de vue sociologique, l'autre sur l'Éducation et l'hérédité. Nous publions aujourd'hui la première; la seconde, en cours d'impression, paraîtra bientôt.

I. Ce travail sur l'art est la suite naturelle du livre universellement admiré sur l'Irréligion de l'avenir. Après avoir montré l'idée sociologique sous l'idée religieuse, Guyau a voulu faire voir qu'elle se retrouve aussi au fond même de l'art ; que l'émotion esthétique la plus complète et la plus élevée est une émotion d'un caractère social; que l'art, tout en conservant son indépendance, se trouve ainsi relié par son essence même à la vraie religion, à la métaphysique, et à la morale.

D'après Guyau, l'originalité du dix-neuvième siècle et surtout des siècles qui viendront ensuite con

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sistera, selon toute probabilité, dans la constitution de la science sociale et dans son hégémonie par rapport à des études qui, auparavant, en avaient paru indépendantes; science des religions, métaphysique même, science des mœurs, science de l'éducation, enfin esthétique.

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On sait que, dans son Irréligion de l'avenir, Guyau considère la religion comme étant, par essence, phénomène sociologique », une extension à l'univers et à son principe des rapports sociaux qui relient les hommes, un effort, en un mot, pour concevoir le monde entier sous l'idée de société. Qu'est-ce à son tour que la métaphysique, qui paraît d'abord un exercice solitaire de la pensée, la réalisation de l'idéal érigé en Dieu par Aristote, la pensée suspendant tout à ses propres lois et se repliant sur soi dans la pensée de la pensée? A y regarder de plus près, la métaphysique n'est point aussi subjective, aussi formelle, aussi individualiste qu'elle le semblait d'abord, car ce qu'elle cherche dans le sujet pensant lui-même, c'est l'explication de l'univers, c'est le lien qui relie l'existence de l'individu au tout. Aussi, pour Guyau, la métaphysique même est une expansion de la vie, et de la vie sociale: c'est la sociabilité s'étendant au cosmos, remon-' tant aux lois suprêmes du monde, descendant à ses derniers éléments, allant des causes aux fins

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et des fins aux causes, du présent au passé, du passé à l'avenir, du temps et de l'espace à ce qui engendre le temps même et l'espace; en un mot, c'est l'effort suprême de la vie individuelle pour saisir le secret de la vie universelle et pour s'identifier avec le tout par l'idée même du tout. La science ne saisit qu'un fragment du monde ; la métaphysique s'efforce de concevoir le monde même, et elle ne peut le concevoir que comme une société d'êtres, car, qui dit univers, dit unité, union, lien; or, le seul lien véritable est celui qui relie par le dedans, non par des rapports extrinsèques de temps et d'espace; c'est la vie universelle, principe du « monisme », et tout lien qui unit plusieurs vies en une seule est foncièrement social (1). Le caractère social de la morale est plus manifeste encore. Tandis que la métaphysique, tandis que la religion, cette forme figurée et imaginative de la métaphysique, s'efforcent de réaliser dans la société humaine la communauté des idées directrices de l'intelligence, la liaison intellectuelle des hommes entre eux et avec le tout, la morale réalise l'union des volontés et, par cela même, la convergence des actions vers un même but. C'est ce qu'on peut appeler la synergie sociale. Guyau n'absorbait point la morale entière dans la

(1) Voir notre livre intitulé: La morale, l'art et la religion selon Guyau.

sociologie, car il considérait que le principe

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la vie la plus intensive et la plus extensive », c'est-à-dire de la moralité, est immanent à l'individu, mais il n'en admettait pas moins que l'individu est lui-même une société de cellules vivantes et peut-être de consciences rudimentaires; d'où il suit que la vie individuelle, étant déjà sociale par la synergie qu'elle réalise entre nos puissances, n'a besoin que de suivre son propre élan, de se dégager des entraves extérieures et des besoins les plus physiques, pour devenir une coopération à la vie plus large de la famille, de la patrie, de l'humanité et même du monde. L'éducation a pour but de préparer cette coopération par une continuelle «< suggestion >> d'idées et de désirs, de corriger ainsi les effets défectueux de l'hérédité acquise par une hérédité nouvelle (1).

Mais l'union sociale à laquelle tendent la métaphysique, la morale, la science de l'éducation, n'est pas encore complète : elle n'est qu'une communauté d'idées ou de volontés; il reste à établir la communauté même des sensations et des sentiments; il faut, pour assurer la synergie sociale, produire la sympathie sociale: c'est le rôle du grand art, de l'art considéré au

(1) C'est le sujet du volume de Guyau sur l'Education et l'hérédité.

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