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ABEL HOVELACQUE

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Alexandre-Abel Hovelacque naquit à Paris le 14 novembre 1843. Sa mère appartenait à une vieille famille parisienne où les goûts artistiques et littéraires étaient très cultivés l'un de ses parents, bien connu dans le monde des lettres, Charles Coran, a publié plusieurs recueils de poésies gracieuses et délicates. La famille de son père, originaire du Nord, se rattachait à cette vaillante race flamande où l'indépendance des idées est assurée par la vigueur physique et l'amour assidu du travail utile et productif: la maison de commerce, établie à Lille par le père et les oncles d'Hovelacque, ne s'est dissoute qu'après la guerre de Crimée, laissant à chacun de ses membres une fortune importante, acquise pendant une longue période de labeur patient et acharné, sans aucune de ces spéculations louches et hâtives, sans aucune de ces combinaisons aventureuses, qui déshonorent trop souvent les entreprises commerciales de nos jours.

Fils unique, et sans doute, pour employer le terme consacré, trop gâté dans sa première enfance, Abel Hovelacque fut enfermé, à l'âge de huit ans, dans

un établissement scolaire clérical qui existait alors à Auteuil; il y resta dix ans. L'étroitesse et l'absolutisme des idées religieuses qu'on prétendit lui imposer, la sévérité de la discipline, la régularité mécanique du travail et des exercices, durent contribuer à développer en lui, avec le mépris du banal et du convenu, ce besoin d'indépendance allant parfois jusqu'à l'originalité, cette soif d'ordre matériel touchant presque à la manie, cette susceptibilité délicate qu'il posséda toute sa vie au plus haut degré. Il fit d'excellentes études et lorsqu'il se présenta, le 24 août 1860, aux examens du baccalauréat, son succès fut un triomphe. Il me montrait encore naguère, avec une véritable satisfaction, le brouillon du discours latin qu'il écrivit ce jour-là et qui était en effet une fort bonne composition scolaire. Le régime impérial, par la main cléricale des Falloux, avait tronqué le programme de l'examen, en réduisant à la «<logique » la philosophie toujours redoutée des religions absolues, en supprimant par la fameuse « bifurcation » les études scientifiques qui enseignent la méthode, l'observation, l'expérience, le raisonnement; mais on n'avait pas encore, sous prétexte de surmenage ou de temps perdu, inventé ces distinctions singulières, ces catégories bizarres, où sombre ce qu'on appelait jadis « les humanités », et qui font souvent aujourd'hui du diplôme de bachelier un certificat de médiocrité prétentieuse. Sorti de l'école, Hovelacque fit son droit, sur le désir de ses

parents, sans enthousiasme, mais aussi sans trop d'ennui; il passa sa licence le 12 décembre 1866. Nous avons pu, non sans peine, retrouver un exemplaire de sa thèse qu'on chercherait en vain dans les collections publiques et dans les recueils particuliers. C'est une petite brochure in-8 de 48 p., avec couverture bleue, imprimée à la façon ordinaire des thèses; elle porte au verso du titre les dédicaces: « à mon père, à ma mère, à mes grands-mères»; elle a été soutenue devant MM. Duverger, Valette, Demangat, Barthe et Desjardins. Le sujet de la thèse latine (p. 3-12) était « de Captivis, et postliminio, et redemptis ab hostibus (Dig., lib. XLIX, tit. xv) » et celui de la thèse française (p. 13-38): « de la déclaration d'absence et de ses effets relativement à l'état des personnes (C. N., art. 115-122; 139-143 » ; le sujet de droit administratif (p. 139-148) était : « des conflits d'attributions; ordonnances du 1er juin 1828 et du 12 mars 1831, art. 6 et 7 ».

En commençant ses études de droit, Hovelacque passait d'une réclusion sévère à la liberté la plus complète; il ne paraît pas qu'il ait abusé de la situation. Certes, il ne mena point, -et on le lui reprocherait à bon droit, la vie ridicule d'un cénobite ou d'un dévôt, mais il aimait trop le travail pour avoir du temps à perdre, et il ne tomba jamais à ces erreurs de sentiments, à ces faiblesses fâcheuses auxquelles s'abandonnent trop souvent les étudiants riches.

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Hovelacque avait pris de bonne heure le goût des études linguistiques; mais ce fut surtout quand il eut terminé son droit qu'il s'y consacra tout entier avec une ardeur toujours nouvelle. On voulut lui faire apprendre à fond l'allemand et le hasard fit qu'on lui donna pour professeur Honoré Chavée, le grand linguiste belge. Il devint vite son élève favori et il apprit de lui non seulement la linguistique générale, le sanscrit, le zend, les langues slaves, mais encore, y a entre ces sciences des relations plus étroites qu'on ne le pense, la musique et l'harmonie.

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et il

Les parents d'Hovelacque iguoraient alors que Chavée avait été prêtre; ils se seraient sans doute opposés à une fréquentation que leurs habitudes et leurs idées leur auraient représentée comme éminemment périlleuse. On croit volontiers, en effet, dans un certain monde que, lorsqu'un prêtre dépose la soutane et reprend sa liberté, c'est qu'il y est amené par la «< concupiscence ». Je ne saurais affirmer que la question féminine fut tout à fait étrangère à la « laïcisation» de Chavée, si cette expression m'est permise, mais il est certain qu'elle fut surtout causée par une évolution logique d'idées comme tant d'autres, Chavée avait cherché à démontrer par la comparaison des langues, l'unité de création des races humaines; il y trouva au contraire la preuve irréfutable du polygénisme humain et, du coup, le bandeau qui couvrait ses yeux tomba. Il lui resta toutefois une

onction de langage, un autoritarisme de style, une tendance aux comparaisons mystiques, dont il ne put jamais se débarrasser, et des bizarreries d'expressions dans son enseignement, telles par exemple que ses formules de couleurs des sons ou d'attraits sexuels des consonnes et des voyelles.

L'influence de Chavée sur Hovelacque fut heureusement limitée. La vie un peu fantaisiste, pour ne pas dire bohême, du maître choqua très probablement ce jeune travailleur habitué à l'existence large et à la froide régularité des bonnes maisons bourgeoises. Il ne prit à Chavée que sa méthode de travail, et ce fut seulement après les avoir discutées qu'il adopta les conclusions des longues études de son professeur sur la diversité originelle des langues, sur leur développement, etc. Ce n'étaient d'ailleurs, avec un peu plus de précision et quelques hardiesses nouvelles, que les enseignements de l'École scientifique des Bopp, Eug. Burnouf, Schleicher, etc. Ni en philosophie, ni en politique, Hovelacque n'admit jamais les transactions et les demi-mesures auxquelles se prêtait volontiers l'esprit plus souple et plus pratique de Chavée.

En 1867, Chavée fonda la Revue de Linguistique, avec le concours d'Hovelacque et de ses autres élèves préférés, J. Girard de Rialle, A. de Caix de SaintAymour, entre autres. Il ne m'appartient pas de raconter ici l'histoire de cette Revue ni de dire pour quelle part elle a contribué au mouvement scientifique con

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