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pagne et de la France devait être le principal moyen de cette distribution des forces respectives. Mais le règne de la maison d'Autriche dans la Péninsule semblait être un obstacle insurmontable à ce dessein. La France essaya de vaincre la difficulté par des mariages; nous verrons bientôt quel fut le caractère d'inefficacité de ce moyen. Richelieu soutint la ligue des princes protestants d'Allemagne contre la maison de Hapsbourg. La guerre de trente ans n'eut pas d'autre but que de constituer l'Allemagne en État d'indépendance contre l'Empereur, car ce n'était pas seulement dans le Midi que la prépondérance de l'Autriche avait été menaçante, elle avait suscité de justes craintes dans le Nord. Mazarin poursuivit les plans de Richelieu, et il eut la gloire de conclure la paix de Westphalie, qui termina la guerre de suprématie entre l'Autriche et l'Allemagne, par le triomphe de la liberté allemande. Ce fut la première occasion importante où les idées nouvelles, qui avaient prévalu dans les esprits, à l'occasion de la politique européenne, purent être appliquées. Jamais l'Europe n'avait vu d'aussi grandes, d'aussi compliquées négociations.

On s'attaqua aussi à la branche espagnole. Elle fut ruinée dans les guerres de la minorité de Louis XIV, et la paix des Pyrénées lui fut imposée. La frontière française fut portée, vers l'Est, au Rhin; vers le Midi, aux Pyrénées, et fortifiée au Nord par l'accession ou la construction d'une ligne considérable de villes fortes. Enfin, Louis XIV épousa Marie-Thérèse d'Autriche.

Mais alors a commencé une nouvelle phase de la question. La branche espagnole de la maison de Hapsbourg s'était comme épuisée; dégénérée graduelle

ment, depuis Charles-Quint jusqu'à Charles II, elle était près de s'éteindre. La France, ne pouvant pas compter sur une amitié solide avec l'Espagne autrichienne, porta ses vues vers l'occupation de ce royaume, et Louis XIV, au lieu de se borner à l'union des deux peuples, parut ambitionner la fusion des deux États en une seule monarchie. Pendant les cinquante dernières années de son règne, sa politique fut de s'établir en Espagne, en tout ou en partie, ou au moins d'en expulser la maison d'Autriche. Louis XIV était d'accord avec l'Europe, en ce point qu'une réunion nouvelle de la monarchie espagnole à la couronne impériale était compromettante pour la sûreté générale. Mais on redoutait ses desseins, et l'on voyait dans l'adjonction de l'Espagne à la France un côté extrême de la question, également menaçant pour l'équilibre européen. Le but essentiel de l'Europe désintéressée était donc d'éviter la réunion de l'Espagne, soit avec la France, soit avec l'Autriche. La prééminence que la France avait acquise, et que Louis XIV avait personnellement obtenue par la grandeur de son caractère et l'éclat de son règne, donnait, à ce sujet, une force singulière à des appréhensions qu'exagérait la malveillance. On ne pouvait, sans doute, imposer à l'Espagne une dynastie étrangère qu'elle n'eût pas librement acceptée; mais on pouvait exiger la séparation des souverainetés espagnole et française dont la réunion était menaçante pour l'Europe.

Le maintien de l'équilibre, que l'Europe crut souvent compromis, depuis la paix de Westphalie, fut l'objet constant de l'attention publique, et tous les

traités du dix-septième siècle eurent pour objet d'en assurer la garantie. A cet intérêt d'équilibre politique se joignit, à la même époque, un intérêt de commerce et de richesse, né de la civilisation croissante des États, et surtout de la possession des colonies du NouveauMonde. Les intérêts commerciaux prirent, dès lors, place à côté des grands intérêts politiques; et, pour les puissances maritimes, telles que la Hollande et l'Angleterre, ils se confondirent avec l'intérêt politique; car, à l'égard de ces États, la richesse et le crédit étaient une force qui balançait la puissance territoriale des Rois du continent. L'intérêt commercial de tous les États, et tout d'abord de l'Angleterre et de la Hollande, compliqua donc la situation des affaires en Europe; elle donna naissance à des combinaisons nouvelles et à des complications inattendues; mais les deux intérêts se réunirent constamment pour empêcher la réunion des deux couronnes de France et d'Espagne sur une même tête.

§ III. LES MARIAGES DE LOUIS XIII ET DE LOUIS XIV.

La grande affaire du règne de Louis XIV a été la succession de la couronne d'Espagne. Ce ne fut pas seulement une affaire de famille, ce fut encore une question nationale pour les deux pays pour la France une question de sécurité, je dirai presque d'existence politique; pour l'Espagne une question d'indépendance et de liberté. L'Espagne avait peut-être pris en aversion la maison de Hapsbourg, qui l'avait ruinée; mais les intérêts de sa liberté politique et de son indépendance souveraine étaient surtout engagés. Ils étaient menacés

par les prétentions diverses des puissances. Les droits de la maison de France sur la succession d'Espagne provenaient de deux sources, le mariage de Louis XIII et le mariage de Louis XIV.

A la mort de Henri IV, la Régente maria Louis XIII à la jeune Infante Anne d'Autriche, pour consolider la paix de Vervins et prévenir la guerre qui allait éclater entre la France et l'Espagne; mais on fit renoncer l'Infante à son droit éventuel de succession, par le contrat de mariage passé le 12 août 1612. La maison de Hapsbourg, qui avait été écartée du trône de France par la loi salique, ne voulut pas que la maison de France pût trouver, dans une alliance avec elle, un avantage de succession que la loi française avait refusé à la dynastie espagnole. Indépendamment de la raison secondaire de réciprocité qui inspirait l'idée d'une modification de la loi fondamentale, en cette occasion, une autre raison plus grave y poussait la maison d'Autriche; elle tirait son origine des grandes considé– rations de balance politique qui dès lors dominaient dans les esprits, et dont les guerres du seizième siècle avaient fait sentir la nécessité. La clause du mariage est très-remarquable en ce qu'elle énonce avec précision les motifs de la renonciation imposée et acceptée. Nous devons la reproduire avec d'autant plus de soin qu'elle a été supprimée, dans la relation du contrat insérée au manifeste publié par la maison d'Autriche, en 1701, après la mort de Charles II (4).

« Leurs Majestés très-chrétienne et catholique ont désiré faire les>> dits mariages, afin de tant plus perpétuer et assurer, par ce double » lien, la paix publique de la chrétienté, et, entre leurs Majestés,

(1) Voy. ce manifeste dans Dumont, VIII, part. 4, pag. 10 et suiv., et infra, § 4.

D

>> l'amour et la fraternité qui est souhaitée d'un chacun ; et en con» sidération des justes raisons qui montrent la convenance de ces » mariages, par le moyen desquels et avec la faveur et grâce de >> Dieu l'on peut espérer de très-heureux succès pour le grand bien » et augmentation de la loi et religion chrétiennes, au bénéfice com» mun des royaumes, sujets et vassaux des deux couronnes; comme » aussi qu'il importe au bien de la chose publique et conservation » d'icelle, et pour empêcher que lesdits royaumes ne s'unissent et pré» venir les occasions par lesquelles ils se pourraient unir, comme pour » y garder l'égalité qui se prétend, a été accordé et convenu par le » présent contrat que leurs Majestés veulent tenir lieu, force et vi>> gueur de loi ferme et stable à tout jamais en faveur de leurs royau» mes et de toute la chose publique d'iceux, que la sérénissime In» fante dona Anna et ses enfants, mâles ou femelles, ou leurs descen»dants, en quelque degré qu'ils se trouvent, ne puissent succéder » aux royaumes, états et seigneuries qui appartiennent à sa Majesté » Catholique (4) » etc.

L'Infante Anne était mineure, à l'époque où fut conclu le mariage. Elle renouvela fidèlement sa renonciation après avoir atteint l'âge légal, et le Roi son époux la confirma de son côté. Quant au Roi d'Espagne son père, il transforma, sur la proposition des cortès, la renonciation dont il s'agit en loi de l'État, le 3 juin 1619. Cette loi fut insérée, en 1640, dans la Nueva recopilacion de las leyes de Castilla, et depuis lors elle a été textuellement reproduite dans la Novisima recopilacion de 1805.

La renonciation d'Anne d'Autriche n'avait pas d'autre motif que celui d'empêcher la réunion des deux couronnes sur la tête d'un seul et même prince, le Roi de France. Ce n'était donc pas comme sang de X France que les enfants et descendants d'Anne d'Autriche étaient écartés de la couronne d'Espagne, c'était comme héritiers directs; d'où il suit que cette qualité d'héritier direct disparaissant, l'exclusion n'a(1) Voy. le texte, aux pièces justificatives, no 3.

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