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vait plus de motif et tombait; et, ce qui le prouve, c'est l'interprétation que lui donna un Roi d'Espagne (Charles II), dans son testament de l'an 1700, dont nous parlerons plus tard; c'est, encore, qu'en 1713 X on a demandé une nouvelle renonciation au duc d'Orléans, petit-fils d'Anne d'Autriche, tandis qu'on aurait pu se contenter de celle de son aïeule, dont la validité primitive n'avait jamais été contestée par la maison de France.

Dès cette époque de 1612 commence donc un système d'amitié projetée entre les deux pays, amitié cimentée par les mariages, mais avec la condition déclarée que l'union ne pourrait point aller jusqu'à porter les deux couronnes sur la tête d'un seul prince. La nécessité sentie de rapprocher le lien des deux États est proclamée; mais elle s'arrête devant la réunion possible des royautés. La maison de France doit être alliée du trône espagnol, mais le Roi de France ne doit pas s'y asseoir. Dans la réalité finale, rien n'est † donc exclu, que le Roi de France, de la couronne

espagnole; tel est le sens évident du traité de mariage, telle est la limite de sa portée. Le reste n'est que clause de style, cautèle de procureur, et toute la suite de cette grande affaire en est la démonstration claire et nette.

On dira peut-être que, dans ce système, l'exclusion des filles de l'Infante n'avait pas de motif. Il est facile de répondre à l'objection, car, d'un côté, la maison d'Espagne ne reconnaissait pas la loi salique, puisqu'elle avait voulu récemment, sous la Ligue, succéder au trône de France, du chef d'une femme; d'un autre côté, la maison d'Autriche voulait se placer, vis

à-vis de la maison de France, dans une exacte condition de réciprocité, par rapport aux avantages de successibilité. Donc, tous les autres cas, autres que ceux de succession directe du chef de la Reine Anne, demeuraient dans le droit commun; et les princes de la maison de Bourbon descendants d'Anne d'Autriche restaient, par rapport à une Infante d'Espagne, dans la condition où se trouvaient les autres princes étrangers qui pouvaient prétendre à la main de l'héritière de la couronne espagnole. Ils n'étaient point exclus par une raison de race; ils étaient exclus, s'il y avait lieu, par une raison d'état, limitée dans sa sphère, à cause de leur rapport avec la couronne de France, et lorsqu'ils trouvaient, dans leur origine même, un droit simultané à cette dernière couronne et à la couronne d'Espagne; mais ils n'étaient pas exclus lorsqu'ils étaient appelés à un titre autre que celui d'enfant et d'héritier de France.

Il y a de l'importance à fixer, dès à présent, le sens de la renonciation d'Anne d'Autriche, car dès longtemps les ambitions rivales ont voulu donner à cet acte un caractère qu'il n'a pas, celui d'une exclusion de famille et d'une incapacité naissant du sang et du nom de France. C'est le sang de France tout entier, disait la maison de Hapsbourg, dans un manifeste de 1701, c'est le sang de France qui est exclu du trône d'Espagne. Ce manifeste devint celui de la coalition ellemême, à une certaine époque de la guerre de la succession; mais, dix ans plus tard, le traité d'Utrecht proclamait Philippe V, petit-fils d'Anne d'Autriche, Roi légitime des Espagnes.

Des conditions à peu près pareilles à celles du ma

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riage de Louis XIII furent écrites dans le contrat de mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse d'Autriche, du 7 novembre 1659. On y lit ce qui suit:

« Art. 2. Que Sa Majesté catholique promet et demeure obligée » de donner et donnera à la sérénissime Infante dame Marie-Thérèse, >> en dot et en faveur de son mariage avec le Roi très-chrétien de >> France... la somme de 500 mille écus d'or sol, ou leur juste valeur, » en la ville de Paris.

» Art. 4. Que, moyennant le payement effectif fait à Sa Majesté » très-chrétienne de ces 500 mille écus d'or sol..., ladite sérénissime » Infante se tiendra pour contente du susdit dot, sans que par ci-après » elle puisse alléguer aucun droit... pour cause des héritages et plus » grandes successions de Leurs Majestés catholiques, ses père et mère... >> attendu... qu'elle en doit demeurer excluse; et, avant l'effectua>>tion des épousailles, elle en fera la renonciation en bonne et due >> forme...

» Art. 5. Que d'autant que Leurs Majestés très-chrétienne et ca>>tholique sont venues et viennent à faire le mariage, afin de tant » plus perpétuer, par ce nœud et lien, la paix publique de la chré»tienté, et, entre Leurs Majestés, l'amour et fraternité que chacun » espère en elles; et en contemplation aussi des justes et légitimes >> causes qui montrent et persuadent l'égalité et convenance dudit >> mariage... comme aussi pour ce qu'il touche et importe au bien de la » chose publique et conservation desdites couronnes, qu'étant si gran» des et si puissantes, elles ne puissent être réduites en une seule, et que dès à présent on prévienne les occasions d'une pareille jonction. » Doncqués... Leurs Majestés accordent et arrêtent par contrat et >> pacte conventionnel entre elles... que la sérénissime Infante d'Espa>> gne, dame Marie-Thérèse, et les enfants procréés d'elle, soit mâles ou femelles, et leurs descendants... en quelque degré qu'ils se puissent trouver, voire à tout jamais, ne puissent succéder aux » royaumes, états, seigneuries, dominations, qui appartiennent et » appartiendront à Sa Majesté catholique (1). »

II y avait dans ce contrat, comme dans celui de 1612, non-seulement une prévoyance relative à l'intérêt des États de l'Europe, mais encore l'expression d'un sentiment de dignité espagnole. Cependant, il faut reconnaître que si l'on a pu reprocher à Louis XIV

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(1) Voy. l'acte tout entier aux pièces justificatives, no 4.

l'ambition de réunir les deux monarchies, ses désirs ont été singulièrement provoqués par la négociation même du mariage et par les circonstances qui l'entourèrent.

Marie-Thérèse était fille aînée du roi d'Espagne et ses deux frères avaient une frêle santé. Les documents curieux laissés par M. de Lionne sur la paix des Pyrénées, dont il fut l'un des négociateurs, nous montrent que la renonciation à la couronne d'Espagne fut vivement débattue entre les plénipotentiaires espagnols et ceux de France. Ceux-ci n'en voulaient pas, et ils ne l'acceptèrent qu'avec des restrictions. Ce fut d'abord la corrélation exprimée entre le payement des 500,000 écus et la renonciation; ensuite, la convention tacite de ne pas payer la dot, pour ménager au royal époux le droit de réclamer la résolution de la clause; enfin, l'assurance donnée par D. Louis de Haro que si la couronne d'Espagne venait à perdre les deux jeunes princes qui vivaient alors, il n'y aurait aucun sujet de leur monarchie qui, nonobstant toutes les renonciations qu'on pourrait exiger de l'Infante, ne la regardât après cela comme leur véritable Reine... parce que, disait-il, un simple article de traité ne peut pas détruire les maximes fondamentales d'une monarchie, etc... et qu'encore qu'il reconnût mieux que personne toutes ces vérités, il n'était pas néanmoins assez hardi pour oser proposer dans les conseils d'Espagne le désistement de cette renonciation... après l'exemple si formel du dernier mariage d'une Infante avec un Roi de France (1).

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Sur quoi M. de Lionne nous apprend que ces considérations ayant été représentées au Roi, Sa Majesté vou

(1) Voy. M. Mignet, Négociations relatives à la succession d'Espagne sous Louis XIV, tom. I, pag. 43 et suiv.

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lant d'un côté donner la paix à la chrétienté, et voyant d'autre part les nullités de cette renonciation, avancées même par le principal ministre d'Espagne, on passa sur ce point, comme les Espagnols le désiraient, et l'on souscrivit à la renonciation, en ne croyant satisfaire qu'à une susceptibilité de la part de l'Espagne. Voilà ce qui résulte de la relation de M. de Lionne, postérieure de quelques mois seulement au traité de mariage.

Quoi qu'il en soit, la Reine Marie-Thérèse souscrivit, en exécution du contrat, un acte de renonciation formelle à la couronne d'Espagne, le 2 juin 1660, avant de sortir d'Espagne. Dans cet acte, rédigé avec un luxe si prodigieux de protestations et de clauses prohibitives, qu'on peut croire que l'art des notaires y a épuisé toutes les ressources du style usité en pareilles rencontres, on trouve reproduit le motif déterminant de la renonciation: pour le bénéfice commun des royaumes, sujets et vassaux des deux couronnes, eu égard à ce qu'il importe à l'état public et à leur conservation, qu'étant si grandes elles ne viennent pas à se joindre, et que l'on prévienne les occasions qu'il y pourrait avoir de les joindre (1).

L'acte de mariage de Louis XIV, et par conséquent la renonciation, ainsi que le motif politique qui en est donné, font partie intégrante du traité des Pyrénées (2), du 7 novembre 1659. Mais le mariage ne fut célébré, à Bayonne, que le 9 juin 1660.

Une circonstance est ici particulièrement digne d'attention, à savoir que la dot de 500,000 écus d'or

(1) Voy. cette pièce, in extenso, aux pièces justificatives, no 5.

(2) Voy. Dumont, Corps diplomat., tom. VI, part. 2, pag. 284, et tom. VIII, part. 1, pag. 16.

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