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saient sans doute ni à la réunion de l'Espagne à la France, ni à la fondation d'une dynastie française au delà des Pyrénées, mais ils augmentaient la puissance territoriale de la France et sa prépondérance en Europe; ils évitaient la réunion de la couronne espaメ gnole à la couronne impériale, et Louis XIV s'en montrait satisfait. S'il ne gagnait pas les Pays-Bas, il obtenait un royaume en Italie.

Le cabinet de France éprouva donc un grand embarras lorsque le testament de Charles II arriva, le 9 novembre, à Fontainebleau, où se trouvait Louis XIV en ce moment. On peut lire, dans les Mémoires de M. de Torcy, l'exposition des raisons d'État invincibles qui décidèrent le monarque à l'acceptation. La note suivante fut communiquée immédiatement aux ambassadeurs de Hollande et d'Angleterre :

« L'état des affaires est entièrement changé par le testament du » roi d'Espagne. Si les princes de France refusent la couronne après » que le Roi catholique a rendu justice à M. le Dauphin, en appelant >> les princes ses fils, les sujets de cette monarchie se feront un de» voir d'obéir à l'Archiduc, et de reconnaître en sa personne les dis>> positions du Roi leur maître. Tous lui seront aussi fidèles qu'ils l'ont » été, depuis un si grand nombre d'années, au précédent Roi d'Es» pagne. Il faudra conquérir, non-seulement des places, mais des » états, des royaumes entiers, pour exécuter le traité. Entreprendre » une guerre longue contre la monarchie d'Espagne réunie dans tou» tes ses parties, soutenue par des alliés intéressés à maintenir le >> testament, soumise à un Roi qu'elle regardera comme légitime, les » premiers héritiers ayant renoncé à leurs droits rien n'est plus op» posé à l'esprit du traité de partage, rien de plus contraire à cette >> heureuse tranquillité que le Roi s'est proposé de maintenir, con» jointement avec ses alliés.

» Lorsque Sa Majesté accepte le testament, les monarchies de » France et d'Espagne demeurent séparées, comme elles l'ont été » depuis tant d'années. Cette balance égale, désirée de toute l'Eu>> rope, subsiste bien mieux que si la France s'agrandissait par l'ac» quisition des frontières de l'Espagne, par celle de la Lorraine, par

>> celle, enfin, du royaume de Naples et de Sicile. Sa Majesté est per» suadée qu'elle donne une preuve éclatante de sa modération en >> renonçant aux grands avantages que sa couronne recevait d'un pa>> reil traité, et que la résolution qu'elle prend de conserver la mo»narchie d'Espagne dans son ancien lustre est encore plus conforme » à l'intérêt général de toute l'Europe (1). »

Le testament de Charles II n'était en vérité que l'expression légale de l'indépendante volonté d'un État souverain. Il fut accepté comme tel par l'assentiment des Espagnols. Il introduisait donc à côté de la question de droit des gens, déjà pendante et relative au danger de la réunion de la couronne espagnole avec une autre puissante couronne, quelle qu'elle fût, une question de liberté nationale non moins grave, au point de vue du droit public européen, et non moins sérieuse pour les intérêts intimes de tous les États indépendants. D'après la constitution espagnole, le Roi était législateur souverain, et les États, les Cortès confirmaient de leur imposante autorité cette délégation de la puissance nationale que le Roi puisait alors dans le droit du sang. C'était donc la nation elle-même qui, par le testament du Roi défunt, élisait le duc d'Anjou, Roi d'Espagne. Il était inique d'imposer à l'Espagne un autre souverain. L'Europe coalisée pouvait disposer peut-être d'une force suffisante pour accomplir ce dessein, mais le droit était contre l'Europe; et par un effet admirable des lois de la Providence, il arrive rarement que la force prévale contre le droit. Ce fut cependant l'œuvre qu'entreprit une coalition mal inspirée, et le droit prévalut sur la force. La cause du libre choix de l'Espagne, la cause de la souveraineté d'un État indépendant triompha, en même temps que

(1) Voy. M. Mignet, loc. cit., Introduction.

la cause des intérêts européens, par une équitable combinaison des droits de tous.

Suivons la marche des faits jusqu'au dénoûment. Louis XIV s'étant décidé pour l'acceptation du testament, Philippe, duc d'Anjou, fut proclamé Roi. Il fut reçu avec enthousiasme par les Espagnols, qui voyaient en lui le prince de leur choix et non un maître imposé par l'étranger (1). A Naples seulement, la prestation du serment de fidélité éprouva quelques retards provoqués par les partisans de la maison d'Autriche. Philippe V fit son entrée solennelle à Madrid le 14 avril 1701. La plupart des puissances de l'Europe, telles que les États d'Italie, la Suède, l'Angleterre, la Hollande et les puissances du Nord, continuèrent leurs relations pacifiques avec la France et reconnurent tacitement le nouveau Roi. Le Roi de Portugal et le duc de Savoie conclurent même des traités d'alliance avec lui (2). Tout le monde parut d'abord avoir pris son parti sur les événements accomplis, excepté l'Empereur d'Autriche; mais plusieurs faits nouveaux compromirent la situation.

Louis XIV, en posant la couronne sur la tête de son petit-fils, avait dit: Il n'y a plus de Pyrénées. Le mot était noble et grand; l'Europe avait paru l'accepter dans le sens politique qu'il offrait, elle ne l'accepta pas dans sa réalité trop positive. L'Angleterre et la Hollande faisaient à l'Espagne d'immenses fournitures

(1) Voy. Flassan, loco cit., pag. 209, et M. Mignet, loco cit., Introduction.

(2) Voy. les Mémoires de Lamberty, tom. I; Dumont, loco cit., tom. VIII, part. 1, pag. 6-31, et Koch, Tableau des révolutions de l'Europe, tom. II, pag. 23 (édit. de 1823). - Voy aussi Mably, loco cit., tom. II, pag. 78.

de leurs fabriques; les manufactures de France les supplantèrent bientôt dans ce commerce lucratif (1). Les vieilles lois de Charles Quint prohibaient à tous les navires étrangers l'entrée des colonies espagnoles; non-seulement Louis XIV fit occuper par ses flottes les stations principales des Indes espagnoles, mais un traité conclu le 17 août 1701 ouvrit au commerce de la France une porte qui restait fermée aux autres puissances maritimes de l'Europe, et octroya à la compagnie de Guinée l'assiento ou privilége pour l'introduction et la vente des esclaves nègres dans l'Amérique du Sud (2). Une escadre française occupa le port de Cadix. C'était déjà beaucoup que cette lésion des intérêts commerciaux, il n'y fallait pas joindre des actes d'hostilité politique et des manifestations inquiétantes pour le maintien de l'équilibre européen.

Jacques II étant mort à Saint-Germain, le 16 novembre 1701, Louis XIV reconnut incontinent le prince de Galles, son fils, pour Roi d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande. Guillaume III, considérant cette reconnaissance comme une injure directe et une rétractation de la reconnaissance qu'il avait obtenue à Ryswick de Louis XIV lui-même, rappela de Paris son ministre, le comte de Manchester. La nation anglaise se montra irritée, et Louis XIV, qui avait cru seulement imposer à Guillaume III, par une menace,

(1) Voy. un très-curieux livre, publié en Hollande, sous le titre suivant : Raisons qu'a eues le roy très-chrétien de préférer le testament de Charles II au partage de la succession d'Espagne, les avantages qui lui en reviennent, avec les intérêts des princes de l'Europe dans un si grand événement. A Pampelune (Hollande), 1701, pet. in-12.

(2) Voy. Dumont, loc. cit., pag. 83.

communiqua aux cours étrangères une note explicative de sa conduite (1). M. de Torcy exprime des regrets à l'occasion de cette reconnaissance compromettante.

Vers ce même temps, Louis XIV faisait sonder la cour de Madrid sur la proposition de céder à la France les Pays-Bas (2), et cette démarche ayant été infructueuse, il fit occuper par les troupes françaises, à l'improviste et le même jour, toutes les places des Pays-Bas dont les Hollandais avaient la garde, en vertu du traité de Ryswick, à titre de barrière. Les Hollandais évacuèrent les Pays-Bas; mais cette invasion soudaine, qui n'était motivée que sur leur inimitié future et présumée, fit imputer à Louis XIV un nouveau projet de réunion de ces provinces à la France.

Enfin, par des lettres patentes du mois de décembre 1700, Louis XIV avait déclaré formellement conserver à son petit-fils le droit de succéder, à son degré, à la couronne de France (3). C'était violer le testament de Charles II lui-même, réunir les deux monarchies sur une même tête et menacer l'équilibre de l'Europe. Le Roi disait, quelques jours avant, au connétable de Castille : « Les nations française et » espagnole seront tellement unies, que les deux dé»sormais n'en formeront plus qu'une (4). » On pouvait craindre que ces paroles magnanimes et affectueuses ne prissent un jour une signification trop littérale. Il était difficile de justifier les lettres patentes de

(1) Voy. Flassan, loc. cit., tom. IV, pag. 210 et suiv.

(2) Voy. Flassan, loc. cit., pag. 226.

(3) Voy. Dumont, tom. VII, part. 2, et tom. VIII, part. 1. pag. 325. — Lamberty, tom. I, pag. 388.

(4) Flassan. loc. cit., pag. 209.

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